La méthode de Luca de Meo pour enterrer le Renault de Carlos Ghosn

Le plan de transformation du groupe automobile français annoncé par son nouveau patron italien, détricote un à un les fondamentaux mis en place pendant plus de dix ans par Carlos Ghosn. Pour rétablir sa rentabilité, Renault va se concentrer sur la création de valeur, en lieu et place de la stratégie de volumes cher à l'ancien patron. Mais, le plan de Luca de Meo va encore plus loin puisqu’au-delà d’une rationalisation industrielle et d’un profond travail de repositionnement des marques, le groupe Renault veut se projeter dans le monde de la mobilité.
Nabil Bourassi
(Crédits : ALBERT GEA)

Il fallait bien un néologisme pour rendre compte de l'ampleur du projet de transformation initié par Luca de Meo pour redresser Renault. Au pays de la révolution française, le nouveau patron du groupe automobile tricolore a baptisé son plan stratégique "Renaulution", contraction des mots Renault et révolution.

L'ombre de Carlos Ghosn

Avant de présenter les grandes lignes de son ambitieux plan stratégique, l'ancien patron de Seat a pris le temps de livrer son analyse de la situation, et les choix qui ont conduit le groupe au bord du précipice (crise d'identité, ventes en baisse, marge opérationnelle en chute libre...). Son verdict est sans appel: il faut définitivement tourner la page des années Carlos Ghosn et vite.

"Tout le système était axé sur la croissance des volumes, cette approche a échoué", a-t-il martelé implacablement en propos liminaire à sa présentation. Depuis l'arrestation spectaculaire de Carlos Ghosn en novembre 2018, le management, notamment mené par Clotilde Delbos DG par interim, avait largement entamé le déboulonnage de ce fondement stratégique.

Mais Luca de Meo va plus loin et s'est livré à une quasi autopsie de cette stratégie pour mieux l'enterrer. C'est ainsi que, selon lui, le groupe s'est doté de capacités de production surdimensionnées (5 millions de capacités, pour 3,6 millions de voitures vendues). Mais plus encore, cette stratégie a poussé les ventes sur les segments les plus volumétriques mais pas forcément les plus profitables.

"Renault réalise les deux tiers de ses profits sur le segment B, alors que le segment C rapporte trois fois plus", a-t-il souligné. Sur la stratégie d'internationalisation, il juge aussi sévèrement le bilan qui a consisté à chercher des "gisements de volumes" et non de "bénéfices": "après dix ans d'internationalisation, nous vendons des voitures dans 130 pays, mais c'est en Europe que nous réalisons les trois quarts de nos profits, voire la moitié avec cinq pays seulement". "Nous sommes devenus plus grands mais pas meilleurs", a-t-il cruellement résumé.

Compétitivité

Le mot volume disparaît donc du fronton du siège de Boulogne-Billancourt pour faire place au concept de valeur. Toute la stratégie du groupe automobile est désormais tournée autour de cette notion... C'est une vraie révolution pour la culture d'entreprise de Renault.

La Renaulution est un plan qui consiste à "restaurer la compétitivité du groupe Renault". Trois phases ont été définies. La première intitulée "Résurrection" s'inscrit en prolongement des mesures annoncées en mai dernier par Clotilde Delbos et visant à économiser 2 milliards d'euros sur trois ans. Il s'agit de réduire les coûts fixes et variables dans le monde. Luca de Meo veut tirer sur tout ce qui dépasse: les frais généraux, le portefeuille de motorisations, la réorganisation des équipes... L'objectif est d'économiser jusqu'à 600 euros par voiture vendue à horizon 2023. Un objectif ambitieux et qui rappelle le plan de redressement de PSA engagé en 2014 par Carlos Tavares, Back to the Race. "En 2020, nous avons déjà baissé les coûts de 20%" a-t-il rappelé. Les capacités de production seront également clairement rabotées pour établir des ratios d'utilisation au-dessus de 110%, voire 120% en 2025, loin des 79% actuels.

Sur la méthode, Luca de Meo veut en finir avec l'organisation complexe du groupe. Selon lui, il y a trop de silos et de responsabilités partagées, ce qui est inefficace et coûteux. Il veut installer une nouvelle organisation et des circuits de décision beaucoup plus courts avec un maximum de deux couches hiérarchiques. De même, il veut repenser des verticales décisionnaires en autonomisant davantage les marques et ne plus travailler par des directions régionales. Dacia et Alpine auront ainsi leur propre organisation, aux côtés de Renault. A l'instar d'un Carlos Tavares, Luca de Meo rêve d'une entreprise plus agile dans ses process décisionnaires.

Retravailler les territoires de marques

On sait que Luca di Meo travaille depuis juillet sur la deuxième phase de ce plan: la Rénovation. Il s'agit cette fois de refonder la gamme de chaque marque. Dès son arrivée chez Renault, l'ancien de chez Seat a visité les studios de design pour voir les projets en cours de développement: "trop de petites voitures" avait-il, en substance, observé. Pour lui, le mot d'ordre est de repartir quasiment d'une feuille blanche pour rebâtir un portefeuille de marques puissantes et dotées de gamme entièrement renouvelée. Cette stratégie qui courra de 2023 à 2025 sera fondée sur deux piliers: l'électrification et la reconquête du segment C, la catégorie de la Mégane.

Comme Carlos Tavares, qui avait remis de l'ordre entre un Peugeot et un Citroën dont les territoires de marques se chevauchaient parfois, Luca de Meo veut redessiner les contours de chaque marque. Il juge que Renault et Dacia, mais aussi Alpine, ont largement débordé les uns sur les autres, avant d'ajouter de nouvelles piques à l'endroit de l'ancien management : "pas de ciblage clair des clients, pas de hiérarchie distinctive des technologies, pas de calendrier défini dans l'allocation des technologies...".

Renault cessera donc de commercialiser des modèles Dacia sous sa propre marque dans les pays émergents. "Pour qu'une marque soit puissante, sa stratégie produit doit être homogène", a-t-il théorisé. Et de convoquer le septième art pour illustrer l'avenir de la marque au losange qui, comme "la nouvelle vague", doit incarner "une alternative intelligente et culte" du mass market. Renault s'emploiera ainsi à développer un langage de marque tourné autour de la modernité à travers un effort sans précédent d'électrification. Là où cette technologie faisait l'objet d'une gamme à part, et assez réduite (un seul modèle de masse), Renault va passer à la vitesse supérieure avec une gamme entièrement électrifiée à terme. D'un côté, le 100% électrique, de l'autre, l'hybridation. Selon Luca de Meo, l'électrification sera un important levier de profits pour Renault. D'autant que le coût des chaînes de traction électriques est en baisse tendancielle. Il a d'ailleurs présenté un concept de Renault 5 dans le style "néo-rétro" préfigurant l'ambition d'une offre 100% électrique abordable.

Alpine passera également au tout électrique, avec des modèles à vocation exclusive, apanage des marques haut-de-gamme. Enfin, Dacia restera la marque accessible du groupe et qui s'appuiera sur Lada en Russie.

La connectivité avec un nouvel écosystème

Pour créer de la valeur, Luca de Meo a recyclé une de ses marottes mise en place chez Seat autour de la connectivité. Selon lui, la clé du succès sera la capacité, notamment pour Renault, de se positionner sur les services connectés. Il a ainsi annoncé le lancement d'un écosystème d'applications dédiées à l'automobile et appelé "Software République". Cet écosystème sera pensé avec différents partenaires comme Orange, Atos, Dassault Systèmes ou STMicroelectronics. Ce projet est aussi intéressant qu'ambitieux face aux géants que sont Apple et Google qui ont d'ores et déjà préempté une partie de l'univers de connectivité automobile à travers leur interface de duplication de smartphone (CarPlay et Android Auto).

Mais Luca de Meo voit encore plus grand avec son projet d'offensive dans la mobilité et qui constitue le troisième axe de son plan: Révolution. Il lance Mobilize dont il espère réaliser 20% du chiffre d'affaires du groupe en 2030. Cette nouvelle marque dirigée par Clotilde Delbos aura pour mission de faire de Renault un protagoniste de poids dans la mobilité de demain (autopartage, modèle dit de la souscription, leasing...).

L'Alliance n'est pas oubliée

Bien entendu, Luca de Meo n'oublie pas que Renault participe à l'Alliance avec Nissan et Mitsubishi, dont les deux PDG ont pu s'exprimer en fin de conférence. Il a confirmé la stratégie mise en place dès le mois de mai par Jean-Dominique Senard, le président de Renault, et accessoirement, patron de l'Alliance, notamment à travers le principe de "leader-follower". Il a rappelé qu'à termes, 80% des modèles des trois groupes devront être bâtis sur trois plateformes partagées. Idem pour les technologies, notamment autour de l'électrification. Sur les motorisations, il estime qu'il est impératif de maîtriser le coût de développement d'un moteur puisqu'avec l'inflation des normes environnementales, Luca de Meo craint que le coût soit multiplié par 2,5. Il a donc annoncé que Renault développera un seul moteur essence dont la puissance sera modulée grâce à une hybridation électrique plus ou moins forte. La technologie E-Tech, "la perle cachée de Renault", s'imposera alors comme la norme.

Enfin, dernier volet de cette stratégie, l'internationalisation. Renault va passer en revue les implantations géographiques et évaluer les forces et faiblesses. Luca de Meo veut resserrer les gammes et en finir avec les modèles dédiés à tel ou tel marché. Les parts de marché ne pourront plus justifier d'avoir des modèles peu rentables. Ce faisant, le patron de Renault prend le risque de réajuster à la baisse des positions favorables (en volumes) sur des marchés clés comme le Brésil (7% de parts de marché).

Des ratios financiers prudents

Car on ne l'aura pas assez écrit, toute la stratégie de Luca de Meo consiste à dégager de la valeur. Par exemple, le travail de repositionnement des marques doit permettre d'augmenter le prix d'achat moyen de 5.000 euros pour 2023 et de 7.000 euros en 2025. Si on ajoute à cela les efforts de réduction des coûts fixes, Renault vise une marge opérationnelle de 3% en 2023 et de 5% en 2025.

Cette prévision paraît très prudente puisqu'en 2019, le groupe dégageait une marge de 4,5%. A l'époque, toutefois, cette performance avait déçu puisqu'il s'inscrivait en baisse de deux points sur un an. A titre de comparaison, le groupe PSA était à 8,5% en 2019. Pour la nouvelle direction de Renault, il n'est pas question d'afficher d'objectifs trop ambitieux compte tenu des incertitudes qui pèsent encore sur le marché, et tandis que le monde est encore loin d'être débarrassé du Covid-19.

Luca de Meo n'a pas vraiment mâché sa critique sévère de la gestion passée. Pour autant, il a évité la comparaison avec la méthode Tavares, le patron de PSA, dont il apparaît clairement qu'il appliquera la même recette: réduction des coûts fixes, saturation des lignes de production, repositionnement des marques... Et dont il a aussi débauché quelques cadres de premier choix: Gilles Le Borgne pour l'ingénierie, Gilles Vidal pour le design... Est-ce un gage de succès ? Ce qui est sûr c'est que Luca de Meo est, de l'avis de tous, déjà parvenu à restaurer une dynamique positive parmi des équipes traumatisées par plus de deux années de crise managériale...

Nabil Bourassi

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Commentaires 7
à écrit le 16/01/2021 à 15:43
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Alors Luca, combien de pertes, de deficits, de licenciements et d'usines fermees ? On n'a pas le temps, on enterre Carlos Ghosn...

à écrit le 15/01/2021 à 20:54
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De Meo n'arrête pas de marteler cela, mais c'est faux, et aucun journaliste ne semble creuser un peu. La politique de Carlos Ghosn n'était pas une course au volume, ou sinon que sur la fin. De ce que j'en avais compris, à sa prise de fonction, il vou...

à écrit le 15/01/2021 à 18:14
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Sans chercher à vouloir réhabiliter tel ou tel, il faut revenir à l'histoire de R. des 30 dernières années, où sa transformation radicale à partir des années 90, sous la houlette de LSchweitzer, puis de CGoshn son dauphin, avec le triomphe de la stra...

le 22/01/2021 à 6:57
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Je partage votre analyse. Carlos Ghosn était bon. Il a d'ailleurs été le premier à se lancer dans la voiture électrique en 2010..! ( Renault Zoé et Nissan Leaf) Effectivement l'égo , la pingrerie, de Carlos Ghosn lui ont fait perdre de vue son exce...

à écrit le 15/01/2021 à 14:10
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Cette fois c’est clair,ont tourne la page d’une gestion pour le moins déplorable et l’on prépare l’avenir.Ça n’avait pas encore été posé si clairement.Merci pour cet article.

à écrit le 15/01/2021 à 10:41
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C'est avec le recul que l'on va s'apercevoir que Carlos Ghosn n'a fait qu'accélérer la faillite de Renault et Nissan plus occupé a faire des montages financiers et industriels qu'a s'occuper réellement de ses marques qui non jamais résolues leurs pro...

le 15/01/2021 à 15:38
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Et l'affaire croquignolesque d'espionnage ! Carlos Ghosn c'était Luis de funès dans la folie des grandeurs ! Et des cadences...

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