Le recyclage des friches, un levier pour le logement neuf ?

EPISODE 4/4. Dans le cadre du plan de relance, 300 millions d'euros seront débloqués d'ici à fin 2022 pour recycler le foncier déjà artificialisé. Même s'il y a de plus en plus de friches commerciales, il reste une controverse économique et financière sur le montage de telles opérations.
César Armand
(Crédits : Décideurs en région)

Peut-être les professionnels de l'immobilier neuf s'attendaient à des milliards d'euros comme les 6,7 qui ont été débloqués pour la rénovation. Toujours est-il qu'ils ne bénéficieront « que » de 650 millions d'euros d'aides indirectes pour relancer une machine productive à la peine avant même l'actuelle crise économique et sanitaire. Outre 350 millions d'euros pour les maires densificateurs, le gouvernement prévoit de déployer d'ici à fin 2022 300 millions pour financer des opérations de recyclage des friches et de transformation de foncier déjà artificialisé. D'autant que le projet de loi Climat et Résilience, en cours d'examen au Parlement, prévoit de diviser par deux le rythme d'artificialisation d'ici à dix ans.

Dans le détail, 1 million d'euros sera consacré au développement d'outils de connaissance du foncier, 40 millions seront dévolus à la reconversion des friches polluées issues d'ancien sites industriels ou miniers et 259 millions tournés vers le recyclage foncier pour des projets d'aménagement urbain, de revitalisation des cœurs de ville, de périphérie urbaine... Après avoir répondu à des appels à manifestation d'intérêt, les collectivités, les sociétés d'économie mixte, les bailleurs sociaux, les opérateurs de l'Etat ou encore les entreprises privées pourront bénéficier de subventions.

De plus en plus de friches commerciales

Ces sommes suffiront-elles à résoudre la crise du logement ? Rien n'est moins sûr. « Cela fait partie de ces idées de solutions magiques et simplistes comme la transformation de bureaux en logements alors qu'il faut multiplier les outils », juge l'ancienne ministre du Logement Emmanuelle Cosse. « Si c'est clair qu'il y a des friches polluées sur lesquelles nous pouvons avoir des projets d'aménagement, elles ne sont pas toujours situées là où il y a des bassins de vie », poursuit celle qui est désormais présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Selon elle, les entrées de ville, c'est-à-dire là où s'arrêtent les villes, où démarrent les campagnes et surtout où s'étalent des zones commerciales, peuvent constituer des espaces intéressants à réinvestir, car peu aménagées.

Emmanuel Cosse ne croit pas si bien dire. Même le groupe Altarea, leader dans la construction de centres commerciaux, change de braquet sur le sujet. Son directeur général Jacques Ehrmann, ancien directeur exécutif du groupe Carrefour, vient de signer un partenariat avec son ancien employeur sur trois projets de développement urbain. A Nantes (Loire-Atlantique), Sartrouville et Flins-Aubergenville (Yvelines), d'immenses galeries et parkings horizontaux vont être mutés en logements, bureaux, résidences gérées, écoles et espaces verts, en bonne intelligence avec les collectivités territoriales concernées.

« Les friches commerciales se présentent de plus en plus », confirme le directeur général du groupe Réalités, qui a un projet du même ordre en Bretagne. « Il faut savoir repenser ces espaces et refaire de l'urbanité: des services, des logements, de la résidence pour personnes âgées, des transports en sites propres, bref de la ville sur la ville et non de l'étalement urbain », ajoute Luc Belot.

En Île-de-France, où les terrains sont encore plus rares qu'ailleurs, la mixité des usages, reposant sur ce triptyque commerces-bureaux-résidentiel, reste également une valeur sûre pour convaincre les élus locaux. A Yerres (Essonne), le président de Quanim, Michel Piloquet mêle des équipements publics, un parking-relais au pied de la gare RER, une crèche, un poste de police, des logements sociaux, des locaux pour Pôle Emploi et une pépinière d'entreprises.

Une controverse économique et financière

La controverse sur le recyclage des friches est surtout économique et financière. D'un côté, le président-fondateur d'Alila, considère que « cela nécessite beaucoup d'argent pour les rendre saines car la grande majorité est polluée ». « Les décontaminer et les rendre utilisables peut faire augmenter les prix de 1 à 20 ! » assure Hervé Legros. De l'autre, le directeur général d'Eiffage Immobilier déclare savoir « démolir, reconstruire du logement à faible empreinte carbone, réintroduire la nature en ville plutôt que rénover réhabiliter ». « C'est une question de savoir faire et de volonté politique, d'usages apportés. Dire que ça coûte cher est un faux argument », assène Philippe Plaza.

Qui a raison et qui a tort ? En théorie, les propriétaires doivent dépolluer leurs terrains, « mais il y a toujours un risque économique du fait de mauvaises surprises », insiste le président de Sogeprom. « Le recyclage des friches est malgré tout une meilleure solution que l'artificialisation des sols », rappelle Éric Groven. En réalité, il vaut mieux être associé à une entreprise spécialisée pour mener à bien des opérations. Après avoir acquis cinquante sites auprès d'Engie dans toute la France, dont une majorité d'usine-à-gaz, Vinci Immobilier a créé deux sociétés avec Brownfields : la première dépollue et aménage, la seconde vend au prix du terrain le marché.

« Les friches sont un élément important pour construire durablement car ce sont des fonciers bien situés au cœur des villes et des agglomérations. Ce sont des surfaces souvent 100% artificialisées sur lesquelles nous pouvons créer des espaces verts et de la biodiversité », souligne ainsi Bruno Derville, directeur général immobilier résidentiel et régions chez Vinci Immobilier.

Un mariage à trois

Depuis la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR (2014), un mécanisme permet en outre à un tiers, comme Brownfields ou Valgo, de prendre en charge la remise en état d'un site pollué en vue d'un usage futur pour faciliter et optimiser sa réhabilitation. Ainsi, les propriétaires/exploitants pollueurs peuvent donc se décharger de la remise en état d'un site pollué sur ce tiers.

«  Ce n'est plus un binôme exclusivement vendeur-acheteur, mais un mariage à 3 où le vendeur vend son site pollué à ce tiers,le tiers définit avec les autorités administratives tout à la fois l'usage futur et les modalités de dépollution correspondantes, procède aux travaux de dépollution, sollicite les autorisations administratives correspondantes (permis de construire, agrément bureau...), et in fine porte le foncier sur plusieurs années, et où l'acheteur se positionne et investit à un moment où  l'opération est suffisamment sécurisée et avancée tant d'un point de vue opérationnelle et juridique », décrypte Anne Petitjean, avocate associée en immobilier chez Herbert Smith Freehills,

Lire aussi : AZF, Lubrizol... de la fermeture à la seconde vie d'un site industriel

Construire-déconstruire pour répondre aux besoins

De surcroît, être une filiale d'un géant du BTP, où l'aménagement et la construction sont des techniques déjà intégrées, permet de réaliser ce type d'opérations plus facilement. En bord de Seine à Cormeilles-en-Parisis (Val-d'Oise), Bouygues Immobilier transforme ainsi « un foncier nécessitant des démolitions et une dépollution pour être constructible » en 3.000 m² de commerces, 1.200 logements, crèches, école et 100 anneaux pour bateaux dans une marina. Coût des travaux : 120 millions d'euros, rentabilisés par « une valeur des logements supérieure à la moyenne de la ville du fait de l'aménagement qualitatif réalisé », affirme Arnaud Bekaert, directeur général du pôle UrbanEra, International et Commerces.

« Les erreurs d'urbanisme passées nous permettent d'avoir des centaines de milliers d'hectares urbanisés à transformer, à paysager, à densifier, dans lequel il faut rajouter des fonctions selon les besoins du territoire. C'est l'opportunité pour retrouver une qualité paysagère et fonctionnelle, ramener de la biodiversité, corriger les erreurs écologiques de ces dernières décennies », abonde le président du conseil national de l'ordre des architectes.
« Il faut continuer à construire, déconstruire, paysager la ville pour répondre aux besoins d'aujourd'hui tout en permettant de répondre aux besoins de demain, en intégrant le bouleversement climatique, l'anthropocène, les problématiques aiguës de santé publique et d'accueil de toutes les populations », conclut Denis Dessus.

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Retrouvez les quatre épisodes de la série  « La densification, remède à la crise du logement neuf dans les métropoles ? »

Épisode 1. Montpellier doit-elle renouer avec la construction très verticale ?

Épisode 2. Les tours, un sujet toujours tabou ?

Épisode 3. La surélévation, une fausse bonne idée ?

Épisode 4. Le recyclage des friches, un levier pour le logement neuf ?

César Armand

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Commentaires 6
à écrit le 07/03/2021 à 15:50
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Une utilisation intelligente d'un foncier déjà bâti, permettant de limiter l'artificialisation des sols.

le 28/04/2021 à 9:46
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Cela coûte moins cher -financièrement- d'artificialiser plutôt que réaménager. L'""intelligence" humaine s'emploie à réduire son coût financier sans se préoccuper des dettes laissées aux générations futures.

à écrit le 05/03/2021 à 10:55
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Dans la période que nous vivons, le béton a mauvaise presse par son impact sur l'environnement... il s'agit surtout de dégager les sols pour les rendre perméable!

à écrit le 04/03/2021 à 19:31
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J'espère qu'ils penseront à décontaminer les sols 😁

le 30/03/2021 à 18:09
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Bof, on a l'exemple de l'ancien site d'AZF près de Toulouse : plutôt que décontaminer, on pose des panneaux solaires et on laisse le "bébé" aux générations futures.

à écrit le 04/03/2021 à 8:34
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Les délires des spéculateurs immobiliers et leurs conséquences désatreuses sur les salariés.

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