Grippe A, recherche, médicaments : les vérités d'Alain Mérieux

Pour Alain Mérieux, président de l'Institut Mérieux, "la France est l'un des meilleurs pays pour la recherche". A ses yeux, on en a trop fait en France sur la grippe A.

La Tribune - La gestion de la pandémie de grippe A cet hiver a entrainé de nombreuses polémiques en France. En a-t-on trop fait ?

Alain Mérieux - A mon avis oui. Il est devenu très difficile aujourd'hui de prendre des décisions politiques en matière de santé publique sans se référer au principe de précaution inscrit dans la Constitution. Si j'avais été à la place des hommes politiques, j'aurais évidemment acheté des doses de vaccins, mais peut-être en nombre moins important. En revanche, je n'aurais pas écarté les médecins et les pharmaciens. Beaucoup de gens se sont naturellement tournés vers leur médecin de famille, conséquence : seuls 5 à 7% de la population française a été vaccinée. Il y a eu une erreur à la fois politique et de santé publique.

- La méfiance des Français vis-à-vis du vaccin lui-même vous a-t-elle étonnée ?

- Il s'agit là pour moi d'un faux débat. Je me fais vacciner depuis 40 ans contre la grippe, avec ou sans adjuvant, et je n'ai jamais rencontré de problème. Ce vaccin ne protège pas à 100%, ce n'est pas nouveau, mais c'est le seul à pouvoir arrêter une épidémie. Nous avons eu de la chance que celle-ci s'arrête finalement assez rapidement.

- Que pensez-vous de la polémique sur le rôle et de la rémunération des experts, et leurs liens avec l'industrie pharmaceutique ?

- Dans cette affaire, les experts ont fait comme les politiques, ils ont suivi au maximum le principe de précaution. J'estime qu'ils ne doivent pas toujours être écoutés Le problème est cependant qu'il faut bien prendre une décision. Quant aux liens des experts avec l'industrie, c'est pour moi une évidence après des décennies de travail dans ce secteur : les experts sur une pathologie sont tous plus ou moins conseils des laboratoires pharmaceutiques. A l'Institut Mérieux, nous avons toujours recouru à des experts sur la rage, la méningite... Il est difficile de développer une approche vaccinale sans s'entourer des meilleurs mondiaux dans la profession. J'ajoute que le rôle des experts n'a jamais été d'avaliser nos décisions mais de nous aider à les prendre.

- Ces polémiques ont mis en lumière la défiance de l'opinion publique vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique : est-ce un phénomène nouveau ?

- Oh non, il y a toujours eu une grande défiance vis-à-vis à l'industrie pharmaceutique. Mais, c'est vrai, nous avons aujourd'hui beaucoup plus de mal à faire comprendre à l'extérieur le bien-fondé des nouvelles technologies qu'il y a quarante ans. L'opinion public a été choquée par des questions comme les OGM -à mon avis à tort : ils sont l'un des seuls moyens de faire face aux défis alimentaires qui se poseront dans les années à venir. Maintenant, ce sont les nanotechnologies qui cristallisent la méfiance. Mais c'est une réaction plus subversive que scientifique. Attaquer « ad nominem » un scientifique pour ses positions me semble intolérable en démocratie. Ces mêmes personnes qui critiquent seront peut-être contentes, un jour, d'avoir des proches soignés grâce à ces nouvelles approches.

- Cette tendance à critiquer l'innovation peut-elle constituer un frein au progrès ?

- En tout cas, nous, scientifiques et industriels, devons beaucoup plus expliquer ce sur quoi nous travaillons. En 1999, quand mon père Charles Mérieux a créé le P4 (laboratoire lyonnais spécialisé dans la recherche sur les virus particulièrement dangereux), il a conçu un bâtiment « hors sol » pour pouvoir travailler en toute sécurité sur des virus comme Ebola. Mais ce faisant, il a affolé les populations vivant dans l'entourage du bâtiment! Nous avons dû faire visiter le laboratoire et montrer qu'il obéissait à des normes sécurité draconiennes pour rassurer la population. Il y a 40 ans, on disait « on fait et on n'explique pas ». Aujourd'hui, il faut expliquer intelligemment en même temps que l'on fait. Le problème étant que les bons scientifiques ne sont pas toujours de bons professeurs...

- Il y a aujourd'hui une montée en puissance inquiétante de l'obésité dans les populations les plus pauvres. Vous qui êtes présents dans le diagnostic, est-ce que ce sujet qui vous intéresse ?

- L'obésité est un problème relativement nouveau en France. Mais en matière de diagnostic, nous nous intéressons à des questions de santé publique que nous jugeons plus fondamentales : les maladies infectieuses, les cancers et la cardiologie. Nous mettons au point des tests de prédisposition à telle ou telle forme de pathologie. Mais nous nous limiterons à ces domaines.

- Regardez-vous le secteur des alicaments (aliments santé)?
- Non. Nous nous intéressons à la nutrition via Silliker [société américaine de tests de sécurité alimentaire, détenue à 88%, ndlr], qui contrôle la qualité des aliments et va se tourner de plus en plus vers des activités de sous-traitance en recherche (CRO) sur la nutrition. Nous travaillons avec de petits groupes sur lesquels nous avons une approche plus scientifique qu'alimentaire La nutrition va être clé dans les années à venir. Biomérieux réalise 15% de son activité avec l'industrie dont une grande partie alimentaire. Et Silliker réalise un chiffre d'affaires de 300 millions essentiellement dans ce domaine.

- Peut-on imaginer que des groupes comme le vôtre apportent leur caution à de grands industriels de l'agroalimentaire ?

- Nous travaillons déjà beaucoup avec Danone, originaire comme nous de la région lyonnaise. J'étais un grand ami d'Antoine Riboud et nos fils respectifs se côtoient également. Danone a su se transformer pour passer du contenant [le pot de yaourt en verre vendu en pharmacie, ndlr] au contenu. Ils ont aussi compris avant les autres qu'il était nécessaire de faire de la quantité de masse à bas prix, tout en gardant un équilibre économique. Enfin je partage la vision humanitaire de Franck Riboud selon le slogan « no profit, no loss » (ni profit, ni pertes). Dans les pays en développement, nous sommes en effet souvent plus présents via nos fondations [la fondation Mérieux lutte contre les maladies infectieuses, ndlr] que nos activités industrielles. C'est d'ailleurs pour cela que l'approche de nos fondations ne peut pas être uniquement médicale mais doit être globale : formation et enseignement, alimentation, eau, microcrédit, agriculture locale... vont de pair. Lorsque nous implantons des labos, nous ne pouvons plus nous limiter au diagnostic et aux maladies infectieuses et ignorer les problèmes sociétaux et de malnutrition que vivent les populations au quotidien. Une approche partenariale est indispensable.

- Vous vous intéressez beaucoup à la Chine, dont vous souhaitez faire le troisième pôle stratégique de votre groupe, derrière l'Europe et les États-Unis. Quelles opportunités y voyez-vous ?

- Nous sommes présents en Chine depuis vingt-deux ans. C'est un pays qui me fascine et s'est complètement transformé au niveau économique, mais aussi en science et en technologie. Et le Ministre de la Santé est en train de mettre sur pied une véritable Sécurité sociale à la chinoise. C'est une révolution pour le pays, dans les campagnes notamment. Et les choses vont aller très vite. L'institut Mérieux est présent via deux laboratoires mixtes : l'un créé par mon fils Christophe et qui porte son nom. Il a été apporté à la fondation Mérieux. C'est un laboratoire d'Etat chinois qui travaille sur les pathogènes émergents, en particulier dans les virus respiratoires. Nous avons un deuxième laboratoire à Shanghai au Fudan Cancer Hospital, qui travaille à la mise au point de biomarqueurs (protéines permettant de définir la population pour laquelle fonctionne un traitement) dans le cancer. Initialement prévu pour servir le groupe de diagnostic Biomérieux, il va être étendu à la biotech Transgène lors du renouvellement de notre partenariat avec la Chine, dans quelques semaines. Nous combinerons ainsi diagnostic et approche thérapeutique afin d'ouvrir de nouvelles perspectives.

- Cette rapidité de développement de la Chine ne vous fait-elle pas peur ?

- Ce n'est pas la question. Il ne faut pas toujours s'interroger mais avancer et savoir s'adapter. Le monde change, et son moteur n'est plus l'Europe ni même les Etats-Unis mais l'Asie. Nous devons nous accrocher pour rester à la hauteur. C'est à la fois angoissant et enthousiasmant.

- Justement, à l'heure des Etats généraux de l'industrie, la France a-t-elle encore un avenir en la matière ?

- La France me semble avoir changé par rapport à ce qu'elle était il y a cinq ans. Mon fils Christophe a été leader sur les pôles de compétitivité, avec le biopôle de Lyon en 2005 dédié aux maladies infectieuses, qui a su mobiliser scientifiques, élus et industriels, et est reconnu partout aujourd'hui. Nous avons aussi un projet transversal sur les nouvelles thérapeutiques et les biomarqueurs soutenu par Oseo. Surtout, le crédit d'impôt recherche est un outil fantastique : il a permis à Biomérieux d'économiser 12 millions d'euros l'an dernier. Cet effet est encore amplifié quand on travaille avec la recherche académique française. La France est certainement aujourd'hui l'un des meilleurs pays pour faire de la recherche en termes de fiscalité et d'environnement.

- Mais pensez-vous qu'il existe en France une véritable politique industrielle ?

- Je pense qu'il y a une forte politique en amont de l'industrie. Mais pour notre industrie, qui repose sur la recherche et la technologie, il faut toujours voir plus loin, à dix ans au moins, et savoir prendre les bons virages.

- Que faut-il pour que la recherche reste en France ?

- Il faut des gens compétents en interne mais aussi des partenariats forts avec la recherche française. C'est le cas de l'Institut Mérieux avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l'Institut Pasteur et l'Inserm. Mais nous avons aussi besoin de partenariats internationaux, comme en Chine. Nous allons installer un nouveau laboratoire à Singapour pour travailler sur la tuberculose et les biomarqueurs. Nous sommes présents au Brésil, et aux Etats-Unis où Biomérieux réalise 25% de son chiffre d'affaires.

- Le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) s'est tenu à l'automne dernier à l'Elysée. Les liens entre laboratoires privés et recherche publique évoluent donc ?

- Je suis totalement d'accord avec l'esprit dans lequel s'est tenu le CSIS. Faire travailler en commun la recherche publique et industrielle est indispensable. Au reste, les groupes privés l'ont bien compris : si l'industrie travaille en vase clos, c'est la mort assurée. Mieux vaut avoir une recherche qui s'appuie sur l'extérieur, et en particulier sur la recherche nationale qui confère beaucoup d'avantages. Ne serait-ce que celui de la proximité, précieux pour travailler ensemble.

- De nombreuses sociétés de biotechnologies recherchent actuellement des financements : cela vous tente-t-il ?

- C'est dans cette optique que nous avons créé en décembre dernier Mérieux Developpement, une société d'investissement qui vise à accompagner des start-up biotech en prenant des tickets de un à deux millions d'euros dans des structures encore trop petites pour intéresser des sociétés industrielles comme Biomérieux. Nous y avons alloué 70 millions d'euros pour les cinq ans à venir. L'objectif est de trouver les briques technologiques qui nous manquent et peut-être aussi de nouvelles pistes de travail pour le futur. Nous regardons des dossiers avec le CEA de Grenoble, mais aussi des structures au Québec et en Chine. En France également, car il ne faut pas désespérer de notre pays ! Cette approche nous semble complémentaire de celle que nous avons avec nos Bourses de recherche accordées en Chine ou aux Etats-Unis. Cette partie amont est plus risquée mais incontournable.

- Biomérieux et Transgène sont détenues 59% et 55% par l'institut Mérieux, contrôlé à parité par la fondation Christophe et Rodolphe Mérieux et par vous-même et votre fils cadet Alexandre. Est-ce tenable à terme? Envisagez-vous d'autres investissements ?

- Nous tenons aujourd'hui à rester majoritaires, même si ces sociétés sont cotées en Bourse. Cela permet de rester orientés long terme. Sans cela, Transgène, créé en 1997, serait mort depuis longtemps... C'était un pari fou que celui des vaccins thérapeutiques mais je pense que nous allons le gagner. Nous avons investi plus 250 millions euros dans cette affaire depuis ses débuts. Aujourd'hui, la vente de Shantha en Inde [sociétés de vaccins cédée à Sanofi en juillet 2009 pour 550 millions d'euros, ndlr] nous permet d'avoir la capacité de refinancer Transgène [l'Institut Mérieux va souscrire à hauteur de 55% à l'augmentation de capital de 100 à 150 millions d'euros annoncée en mars, ndlr] et Silliker.
Pour le moment, nous allons nous concentrer sur nos trois secteurs. Bien qu'elles aient des profils et des besoins différents, nos trois sociétés ont en commun la biologie et forment un tout. Cela dit, je reste très pragmatique : si un jour nous rendons compte qu'une de nos sociétés a besoin de s'appuyer sur un grand du secteur, nous le ferons. Ma philosophie managériale est comme celle des bactéries : je m'adapte ! Mais aujourd'hui, nos sociétés seraient freinées si elles étaient dans le giron d'un mastodonte.

- Pourquoi avoir vendu Shantha Biotech ?

- Nous n'avions pas la taille nécessaire pour assurer la fabrication et nous occuper des affaires règlementaires. Nous avons été très sollicités par GSK et Sanofi, et avons finalement donné la préférence à mon ancienne maison. Mais je reste persuadé qu'un de nos grands succès a été d'être allé avant tout le monde en Inde et en Chine. Je suis contre les embargos et les blocus, qui vont toujours à l'encontre de l'intérêt général.

- Vous êtes donc un anti-protectionniste?

- Oh non, je ne suis pas un grand libéral. Par moment, une économie doit être protégée contre les tentatives de spéculation. Sinon, elle conduit à enrichir les actionnaires à court terme et non le pays ou l'entreprise. Les dernières interventions du gouvernement français en la matière ont montré que je n'ai pas totalement tort... On le voit aussi dans le domaine alimentaire : il est indispensable que les pays émergents produisent ce dont ils ont besoin. Je suis favorable à un pouvoir politique capable de conserver le contrôle des entreprises quand il faut les protéger.

- C'est une forme de patriotisme économique ?

- Bien sûr, j'appartiens à mon pays et ma région. Le jour où il n'y aura plus de centres de décisions en France, alors nous serons en danger. Nous ne pouvons pas avoir une recherche publique forte si nous n'avons pas un pendant industriel également solide. Ensuite, la question est de rester compétitifs au niveau mondial. Les deux ne sont pas faciles à concilier.

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