Marc de Garidel, PDG d'Ipsen "Il y a eu un marché avant le Médiator, un marché après"

Alors que pour la première fois dix ans, le nombre de molécules mises sur le marché est en augmentation et de nouveaux marchés importants s'ouvrent, notamment dans les pays émergents, Marc de Garidel ne cache pas son inquiétude. En raison du scandale du Médiator, la réglementation est renforcée un peu partout dans le monde, y compris en France, ce qui rend plus coûteux les médicaments et plus difficile leur prise en charge. Marc de Garidel préside aussi le « G5 », association d'entreprises pharmaceutiques françaises qui réunit Ipsen, Biomérieux, Guerbet, Pierre Fabre, Sanofi, Stallergènes, LFB et Théa.
Marc de Garidel / DR

LA TRIBUNE - L'industrie pharmaceutique trouve-t-elle des relais de croissance pour compenser le déclin des marchés de santé en Europe ?
MARC DE GARIDEL - C'est vrai que le marché mondial de la pharmacie est en pleine évolution. En 2012, la croissance du marché mondial a été proche de zéro en net. L'industrie pharmaceutique reste toutefois portée par certaines grandes tendances de fond, qui contribueront à augmenter les dépenses de santé, et, donc, à alimenter la croissance du secteur : le vieillissement de la population mondiale, certaines pathologies comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète et l'évolution de la science avec l'arrivée de médicaments innovants. En 2012, le nombre de molécules approuvées par les autorités de santé ont été en hausse très sensible par rapport à la tendance de ces dix dernières années. Est-ce purement conjoncturel ou un retournement de situation ? Ce qui est sûr c'est que l'industrie pharmaceutique a réalisé beaucoup d'efforts dans le domaine des maladies rares et les entreprises arrivent aujourd'hui avec des solutions thérapeutiques innovantes, en particulier pour les maladies orphelines.

Et les pays émergents ?
L'émergence de certains pays comme la Chine, la Russie et le Brésil grâce à l'augmentation du pouvoir d'achat et des politiques délibérées d'investissements dans la santé, sont déjà des relais de croissance pour notre industrie. Pékin souhaite ainsi faire passer les dépenses de santé de 4 % à 8 % de son PIB. La Russie a également annoncé un plan très ambitieux d'ici à 2020. Au Brésil, la couverture du médicament est de mieux en mieux prise en charge par les autorités. Dans le reste de l'Asie, il y a des zones très intéressantes pour l'industrie, notamment en Malaisie, en Indonésie ou en Thaïlande, des pays en plein développement économique avec des populations en forte hausse. D'où des besoins en croissance dans le domaine de la santé.

Mais il y a un côté plus sombre avec les dépenses de santé qui stagnent, voire régressent en Europe. Quelle est votre analyse ?
En Europe, les marchés pharmaceutiques sont depuis quelque temps en récession. En 2012, les dépenses de santé de plusieurs pays majeurs ont reculé : la France (environ -2%) - c'est historique -, l'Italie (-5%), l'Espagne en déclin, la Grèce en fort déclin, le Portugal et même certains pays de l'Est, qui ont commencé à enregistrer des baisses comme la Hongrie. C'est un dossier qui pèse beaucoup sur la performance des entreprises. Au-delà, nous avons de réelles inquiétudes car on ne voit aucune amélioration en Europe à court terme, c'est-à-dire dans les trois ans à venir. De grands laboratoires ont engagé de profondes réorganisations en Europe. Et aujourd'hui nous sommes pessimistes sur cette zone de marché. Nous devons également faire face au renforcement de la réglementation. Les autorités de santé sont de plus en plus exigeantes pour l'enregistrement des molécules. Il faut démontrer qu'un médicament doit avoir une valeur ajoutée par rapport à l'existant. Cela passe par des essais comparatifs qui coûtent très chers.

Pourtant le nombre de molécules approuvées par les autorités de santé est en augmentation...
Dans certaines maladies, notamment les maladies orphelines, il y a des besoins thérapeutiques non satisfaits, pour lesquels les autorités reconnaissent plus facilement la valeur ajoutée. En revanche, avec les pathologies relativement déjà bien couvertes, l'apport thérapeutique doit être démontré. Le surcoût est réel pour les entreprises.

Est-ce lié à l'impact du scandale du Médiator ?
La France a vécu le choc du Médiator. Il y a eu un marché avant le Médiator, un marché après. La meilleure preuve, c'est qu'actuellement, le marché français décline. Le principe de précaution appliqué à l'extrême accentue en France la prudence sur certains dossiers, comme celui de la fameuse pilule contraceptive. Mais d'une manière générale, les autorités de santé demandent aux laboratoires de plus en plus d'informations, d'essais cliniques et d'échantillons importants de patients. Le renforcement de la réglementation, pas seulement en France mais un peu partout dans le monde, m'inquiète beaucoup dans le cadre de la prise en charge des médicaments. L'Allemagne, qui facilitait le lancement rapide de médicaments innovants sans trop de contrainte de remboursement, a durci sa politique à l'image de ce qui a été fait en France.

Les laboratoires ont une mauvaise image dans l'opinion publique, n'y a-t-il pas eu trop d'abus de leur part pour vendre des médicaments avec un faible service médical rendu ? C'est le cas d'Ipsen avec le Tanakan...
Nous les laboratoires, on a tous intérêt à défendre le bon usage du médicament et on est tous d'accord là dessus. Il faut que le système de santé français soit plus efficient. Ceux qui s'en démarquent prennent leur responsabilité et doivent en payer les conséquences. A l'inverse, il ne faut pas punir, ni faire peur aux patients. Il faut repartir sur une base plus saine et regarder le futur. L'industrie pharmaceutique est l'une des rares industries à haute valeur ajoutée en France. Ne mettons pas en danger ce joyau. C'est ce que nous a expliqué le Premier ministre à l'automne dernier. S'agissant du Tanakan, nous avons conduit une grande étude clinique dans la prévention de la maladie d'Alzheimer. Les résultats sont contrastés mais nous pensons que les patients qui le prennent sont quand même mieux protégés que les autres.

Concrètement quel est l'impact du renforcement des réglementations sur Ipsen ?
Nous sommes obligés de consacrer une part importante de notre chiffre d'affaires (20 %) à la R&D. Une part importante de ces coûts est liée aux nombreux essais de phase III, qui sont menés sur nos produits avant l'enregistrement sur les différents marchés dans le monde. Et comme les exigences des autorités de santé sont plus élevées, il faut faire des essais avec plus de patients. Il y a quelques années, les laboratoires testaient des traitements pour soigner le cancer du sein sur quelques centaines de patients, aujourd'hui il en faut des milliers. Ce qui coûte beaucoup plus cher.

Ce qui vous oblige à faire des arbitrages de plus en plus pointus ?
Exactement. Pour répondre à ces nouveaux défis, nous nous sommes recentrés sur les domaines thérapeutiques où nous avons des positions de leader. En revanche, tous les domaines où nous ne sommes plus au premier plan, nous arrêtons. Nous sommes également très attentifs à essayer de « tuer » les molécules le plus tôt possible si elles ne sont pas efficaces. D'une façon générale - c'est l'une des grandes évolutions scientifiques de ces dernières années -, les laboratoires ont tendance à passer plus de temps en phase I et en phase II, donc en phase précoce chez le patient pour mieux discerner le comportement de la molécule étudiée. On veut également réduire le risque d'échec de la phase III, la phase qui coûte le plus cher. L'une des raisons qui a fait exploser les coûts de R&D ces dernières années, est le nombre d'échecs des produits en phase III. Un produit sur deux ne passe pas cette phase du développement clinique.

Industriellement, quels sont les impacts ? Conservez-vous finalement l'usine de Dreux ?
Nous gardons cette usine. La très bonne tenue de notre activité de médecine générale à l'international, notamment en Chine et en Russie avec des hausses de ventes spectaculaires en 2012, a été décisive. En outre, les demandes de localisation de certaines productions, notamment en Russie, ont été reportées. Troisième raison, je me suis rendu compte - c'est le bénéfice d'avoir eu des discussions avec des repreneurs potentiels -, que notre outil industriel à Dreux était compétitif et que le vendre à un autre groupe n'était pas une très bonne décision économiquement.

Si je comprends bien, Ipsen ne cédera pas son pôle de médecine générale en dépit des difficultés en France...
On le garde ! L'activité de médecine générale en France a souffert en 2012. Ipsen a réalisé près de 125 millions d'euros de chiffre d'affaires l'an dernier, comparé à 175 millions en 2011. Soit un recul de 30 %. En revanche, sur la partie internationale, le groupe a réalisé 200 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'international, un chiffre en croissance. Quand on voit nos succès avec le Smecta et le Tanakan en Russie ou en Chine, il n'y a pas de raison de se priver de ce segment d'activité. Ipsen a des marques très fortes, de bons produits. Avec le pouvoir d'achat qui augmente rapidement dans ces pays-là, les patients russes ou chinois, qui paient leurs médicaments, préfèrent prendre par exemple Smecta, l'original, plutôt qu'une vague copie de notre produit.

Les pays émergents sont-ils le moteur de la croissance d'Ipsen ?
Depuis que je suis arrivé à la tête d'Ipsen, on a réinvesti dans les pays émergents. Cela se traduit aujourd'hui par une accélération de la croissance. A titre d'exemple, en Russie, Ipsen a enregistré des taux de croissance de 14 % entre 2010-2011 et de 18 % entre 2011-2012. En Chine, deuxième filiale du groupe en taille, Ipsen réalise un chiffre d'affaires d'environ 130 millions d'euros et emploie pratiquement 700 personnes. Nous enregistrons 15 % de croissance par an depuis plusieurs années. Nous avons fêté notre 20e anniversaire en Chine et y avons été un des laboratoires pionniers. D'ici à 2015, la Chine pourrait probablement devenir la première filiale du Groupe devant la France. La Russie représente plus de 75 millions d'euros de chiffre d'affaires ; elle emploie 200 salariés. Les ventes ont crû en deux ans de 17 % (CAGR) en médecine générale. Le troisième marché où le groupe a beaucoup connu une forte croissance (23 % en 2012), est le Brésil. Dans ces trois pays, la croissance composée depuis 2005 s'élève à plus de 21%. Mais notre moteur numéro un est notre activité dans le domaine de la médecine de spécialité, dont le chiffre d'affaires a augmenté de 11 % en 2012.

Justement comment Ipsen se situe-t-il par rapport à ses concurrents ?
Je suis vraiment très satisfait des résultats de 2012. Le plus important, est que nos aires thérapeutiques, la neurologie, l'endocrinologie et l'uro-oncologie ont des taux de croissance qui s'accélèrent d'une année sur l'autre à plus de 10 % par an. C'est très rare dans notre industrie actuellement. Ipsen a l'une des meilleures performances du marché au niveau mondial avec une croissance de 5 % en 2012 en dépit des difficultés de la médecine générale en France. Notre motivation aujourd'hui est de faire partie des entreprises les mieux positionnées pour le futur. Il nous reste à redresser les activités aux Etats-Unis, pays important dans le cadre de la vision stratégique à 2020 d'Ipsen. Notre objectif est de doubler le chiffre d'affaires. Aux Etats-Unis, nous devons revenir à l'équilibre d'ici à 2015. C'est l'ordre de marche que j'ai donné à la filiale américaine. Ipsen y a perdu plus de 35 millions d'euros en 2011 et plus de 10 millions en 2012 (incluant les revenus de notre partenaire Medicis). Nous nous améliorons mais ce n'est pas suffisant. La profitabilité du marché américain est telle que si Ipsen réussit aux Etats-Unis, ce pays contribuera tout seul au doublement du chiffre d'affaires en 2020 et au triplement des profits. C'est l'un des gros enjeux d'Ipsen.

Et les acquisitions ?
Ce ne seront pas forcément de grandes acquisitions mais probablement un mix de différentes petites opérations. Ipsen réfléchit à acquérir des droits commerciaux de molécules déjà commercialisées en particulier aux Etats-Unis. Nous regardons aussi l'acquisition de droits de molécules qui sont en phase de développement avancée, en phase III, et que l'on pourrait commercialiser dans les zones géographiques où Ipsen est fort, notamment en Europe et dans les pays émergents. Enfin, troisième point, faire une acquisition de technologies dans les domaines des peptides et des toxines où Ipsen fait référence. Acquérir des technologies complémentaires nous permettrait de garder le leadership au niveau mondial sur ces plateformes technologiques pour amener de nouveaux produits à l'horizon 2020 sur le marché.

Que pensez-vous de l'environnement fiscal en France ?
La bonne décision du gouvernement a été de protéger le crédit d'impôt recherche. Pour Ipsen, cette mesure est très importante car une bonne partie de notre R&D est réalisée en France, en particulier aux Ulis et à Dreux. En revanche, l'élargissement de l'assiette de la taxe sur la promotion va engendrer un surcoût pour Ipsen de plusieurs millions d'euros, montant bien supérieur à celui du crédit d'impôt compétitivité emploi récemment adopté. La situation n'est pas positive, mais nous avons conscience que le gouvernement veut aider ce secteur pour lui redonner de l'oxygène et de la croissance.

Avez-vous été confronté à des cadres qui souhaitaient s'exiler fiscalement ?
Non, nous n'avons pas eu ce cas de figure. Mais la tonalité de l'environnement français est difficile. Notre problème est plutôt pour attirer des talents. Faire venir des internationaux à Paris dans le contexte actuel est très difficile. Le gouvernement en est conscient. Nous avons annoncé le 25 mars dernier dans le cadre du comité stratégique de filière des industries de santé des premières pistes de travail pour relancer notre secteur.

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Commentaires 3
à écrit le 22/05/2013 à 18:46
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Marc de GARIDEL a beaucoup d'avenir selon un de mes amis rencontré aujourd'hui sur le vol Paris-Bokaro Seel City de 7h21

à écrit le 04/04/2013 à 17:12
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Et pendant ce temps là, les victimes du médiator attendent, et mieux, meurent!

à écrit le 03/04/2013 à 9:23
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"Quand on voit nos succès avec le Smecta et le Tanakan en Russie ou en Chine, il n'y a pas de raison de se priver de ce segment d'activité. Ipsen a des marques très fortes, de bons produits" Il est certain que ces 2 produits, Smecta un placebo pour ...

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