Biotech : incontournable Amérique

Pour développer leurs produits thérapeutiques jusqu'à leur commercialisation, les biotechs françaises doivent séduire les poids lourds américains de l'investissement.
Jean-Yves Paillé
Si une biotech veut développer et commercialiser ses produits thérapeutiques seule, l'américanisation est un passage obligé. "Seul le marché américain peut fournir des montants d'une envergure suffisante pour financer des phases III de grande ampleur", soutient Damien Choplain.

Avant ses mauvais résultats pour un essai clinique de phase III publié le 20 octobre, DBV Technologies faisait figure de modèle parfait pour les autres biotechs françaises. La société, qui conçoit des immunothérapies contre les allergies alimentaires, a réussi à lever suffisamment de fonds pour espérer lancer et commercialiser seule ses produits thérapeutiques aux États-Unis, marché numéro 1 des médicaments.

Après son introduction au Nasdaq en 2015, elle est devenue la biotech française la mieux cotée au monde, avec une capitalisation boursière autour des 2 milliards d'euros. Son cash (trésorerie) atteint 198 millions d'euros au deuxième semestre 2017, sans produit sur le marché.

Son secret ? « L'américanisation », lança un jour Pierre-Henri Benhamou, Pdg et président du conseil de DBV, lors d'une conférence de presse. Les autres biotechs doivent-elles suivre son exemple ?

Fonds d'amorçage : tout va bien

Au départ, aucun problème pour se financer auprès des organismes publics et le capitalrisque quand on est une biotech française avec un projet qui tient la route. Les soutiens financiers affluent pour la phase d'amorçage. La Banque publique d'investissement (Bpifrance) joue un rôle important avec son Fonds accélération biotech santé, créé en 2016 et doté de 300 millions d'euros, mais aussi la Banque européenne d'investissement qui aide 90 biotechs françaises, avec des tranches pouvant dépasser 20 millions d'euros. Au total, les financements comprenant capital-risque, aides institutionnelles et levées de fonds en Bourse ont grimpé à 1,6 milliard d'euros en 2015 dans l'Hexagone, selon le panorama publié par France Biotech, association des entrepreneurs des sciences de la vie. Soit 83,8 % de plus qu'en 2014.

Des sommes importantes, mais dont certaines profitent plus que d'autres. Au sein de l'indice Next Biotech (qui regroupe les biotechs françaises, belges, néerlandaises), les meilleures valorisations françaises sont souvent les DBV et autre Cellectis qui ont pour point commun d'être cotées au Nasdaq. Pour les autres, on tombe en général sous les 350 millions d'euros de capitalisation boursière. « Avec 300 millions d'euros de capitalisation, une société comme Nanobiotix [non cotées au Nasdaq, Ndlr] peut lever de 25 à 30 millions d'euros chaque année et potentiellement plus en cas de succès de ses programmes cliniques », explique Damien Choplain, analyste biotech et medtech chez Gilbert Dupond. Mais en dessous, les biotechs souffrent. « Les sociétés à faible valorisation peuvent difficilement lever plus de 10 % de leur capital », ajoute-t-il.

Très coûteux essais de phase III

Quand on développe plusieurs produits, ces montants sont trop faibles pour gérer seul les trois phases d'essais cliniques nécessaires. Le coût d'un seul essai de phase III, dernière étape avant une commercialisation potentielle, demande en général plusieurs dizaines de millions d'euros... Résultat : la plupart des biotechs françaises privilégient les partenariats (ventes de licences...) avec les grands labos ou biotechs américaines. Sur 91 partenariats mis en place par les entreprises françaises des sciences de la vie en 2015, 53 ont été réalisés avec des sociétés américaines.

Si une biotech veut développer et commercialiser ses produits thérapeutiques seule, l'américanisation est un passage obligé. « Seul le marché américain peut fournir des montants d'une envergure suffisante pour financer des phases III de grande ampleur. Peu de fonds européens peuvent financer cela », ajoute Damien Choplain.

« L'accès au marché américain est possible pour les meilleures biotechs et medtechs, avec un travail de fond auprès des analystes et des banques d'affaires, afin d'intéresser les investisseurs », abonde Philippe Pouletty, président d'honneur de France Biotech et patron du fonds Truffle Capital.

Les sommes en jeu sont astronomiques outreAtlantique. En 2015, seules 8 biotechs européennes ont levé plus de 100 millions de dollars, contre 58 biotechs américaines, selon un rapport d'EY. Certaines d'entre elles ont collecté des sommes astronomiques. Amgen et Biogen, deux biotechs américaines matures, ont levé respectivement 3,5 et 6 milliards de dollars cette année-là.

Cette américanisation pousse désormais des fonds européens à développer une nouvelle stratégie, à l'instar de Sofimac Investment Managers. Le fonds français va mettre en place le CrossLife, un fonds doté de 200 millions d'euros, et s'associer au fonds étasunien Bay City Capital. Objectif : mieux présenter les biotechs françaises innovantes aux États-Unis, leur donner une chance de rencontrer les investisseurs américains et de s'industrialiser un jour.

S'internationaliser pour aller plus vite

Des sociétés françaises n'hésitent pas à s'américaniser tôt. Eligo Bioscience, qui développe des nanorobots thérapeutiques, s'est jetée à l'eau sans même avoir démarré un essai clinique de phase I. Elle a obtenu 20 millions de dollars de Khosla Ventures, société de capital-risque de la Silicon Valley. « Un fonds d'investissement permet d'aller vite dans un environnement très compétitif, et un fonds américain permet de s'internationaliser », confie à La Tribune Xavier Duportet, cofondateur de la société. Avec des organismes publics, il aurait vu certainement ses financements échelonnés sur plusieurs années ; pas commode quand on a besoin de beaucoup de liquidités en peu de temps.

« Lorsqu'ils sont au capital d'une biotech, les beaux noms de venture capital spécialisés dans les sciences de la vie permettent en général d'améliorer la visibilité des sociétés et d'attirer d'autres investisseurs », renchérit Damien Choplain.

Mais cela demande des sacrifices importants.

« Chercher de l'argent aux États-Unis est souvent nécessaire aujourd'hui, reconnaît aussi Philippe Pouletty. Toutefois cela mène au transfert progressif de l'actionnariat, du conseil d'administration, du management. »

Attirer et "dérisquer"

Alors, comment garder les biotechs dans le giron français ? France Biotech milite pour une meilleure européanisation de l'indice Euronext en y intégrant d'autres villes. « Il faudrait qu'une biotech puisse lever 100 millions d'euros sur Euronext », explique à La Tribune Maryvonne Hiance, présidente de France Biotech. Côté capitalrisque, le fléchage de l'épargne des Français est une autre revendication de longue date de l'organisation.

« Il faudrait orienter 5 à 7 % de l'épargne des Français et des Européens vers les innovations radicales à fort potentiel », propose Philippe Pouletty.

Ce dernier milite en outre pour la création d'un statut de « super jeune entreprise innovante » avec une « réduction fiscale pour les investisseurs, d'une exonération totale pour les plus-values à la sortie, et de l'exonération de charges sociales patronales ». Et ce, pendant « quinze ans », à condition que le pourcentage de R & D « soit supérieur à 25 % des dépenses ». Une façon de dérisquer des investissements et passer outre la crainte de la « vallée de la mort ».

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 2
à écrit le 04/11/2017 à 21:51
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Bonjour valbel89 Si vous avez des informations plus précises, vous pouvez me contacter à l'adresse suivante: [email protected]

à écrit le 04/11/2017 à 18:01
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"France Biotech, association des entrepreneurs des sciences de la vie. " Dans les domaine des "sciences de la vie ", j'échange volontiers le mot "entrepreneur" pour celui de "malfaiteur". Si l'objectif humain des labos est louable (encore que, dans c...

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