Cancer : "On perçoit les limites dans l'immuno-oncologie" Laurent Lévy, Pdg de Nanobiotix

L'industrie pharmaceutique se focalise sur l'immuno-oncologie et ne s'oriente pas assez vers d'autres solutions, selon Laurent Lévy, Pdg de Nanobiotix, qui développe une stratégie thérapeutique basée sur les nanotechnologies pour mieux soigner les cancers . Il mise sur le traitement des patients à des stades plus précoces de la maladie. Interview.
Jean-Yves Paillé
"Notre objectif est d'augmenter l'efficacité de la radiothérapie à doses égales et pourquoi pas, dans le futur, de permettre de réduire les doses de radiothérapie nécessaires", explique Laurent Lévy.

LA TRIBUNE - Vous développez des nanoparticules d'oxyde d'hafnium pour augmenter l'efficacité de la radiothérapie. Pourtant, l'immuno-oncologie semble être la priorité stratégique de la plupart des laboratoires pharmaceutiques et biotechs en cancérologie...

LAURENT LEVY - Le marché en oncologie ne s'oriente pas vers la radiothérapie, en effet. Quand on parle d'oncologie aujourd'hui, c'est à 80-90% d''immuno-oncologie. Les résultats publiés il y a quelques années ont montré qu'avec cette stratégie thérapeutique dopant les défenses immunitaires qui attaquent les tumeurs, on pouvait augmenter significativement le nombre d'années de survie des patients. Cela a déclenché une vague dans l'industrie pharmaceutique. Mais, aujourd'hui, on perçoit les limites de cette approche. Elle fonctionne, mais pas chez tous les patients. Il y a aussi des effets secondaires qui peuvent être très importants, souvent de grades III ou IV.

Depuis plus d'un an, nous avons développé un programme en immuno-oncologie avec notre produit NBTXR3 qui pourrait potentiellement transformer les tumeurs qui n'induise pas naturellement de réponse immunitaires (froides) en tumeurs chaudes : qui induisent une réponse immunitaire permettant d'attaquer les cellules tumorales.

Vous pensez que l'on risque de délaisser des patients avec cette stratégie de focalisation autour de l'immuno-oncologie ?

Plus largement le sujet est celui de la médecine individuelle personnalisée. Plus on avance, plus on risque de mettre des patients sur le côté. Cette stratégie thérapeutique se concentre en outre sur les patients qui sont en fin de traitements classiques et pour lesquels on a peu de solutions. Ceux qui développent des molécules en immuno-oncologie s'intéressent principalement à des sous-populations de 20.000-30.000 patients et parfois vraiment beaucoup moins. Une multitude de sous-groupes qui vont tester une multitude d'approches thérapeutiques. Ainsi, on ne traite qu'une partie des cancers avec des molécules de plus en plus personnalisées.

Cela a également un impact sur les prix. Plus on réduit le nombre de patients traitables, plus on doit augmenter le coût du médicament par patient pour que celui-ci soit rentable.

Vous misez sur la radiothérapie, mais elle ne semble pas être un synonyme d'innovation...

Il y a tout un marché de l'oncologie qui n'est pas adressé, et c'est la radiothérapie. Les fabricants de matériel s'y intéressent. Mais quasiment aucun laboratoire ou biotech n'offre de produit associé à ce stade de traitement. La radiothérapie intervient à des stades plus précoces de cancers.

Lors des radiothérapies, les rayons traversent les tissus sains avant d'atteindre la tumeur et provoquent des dégâts. La dose qui serait nécessaire ne peut donc pas toujours être délivrée , à cause de effets secondaires dans les tissus sains environnants.

C'est là qu'intervient notre technologie et notre produit NBTXR3. Nous avons conçu des nanoparticules denses en électrons, qui, soumis aux rayons de radiothérapie, ont vocation à en démultiplier les effets en délivrant une énergie létale pour les cellules cancéreuses, sans augmenter les effets secondaires dans les tissus sains environnants. Nous réalisons une injection unique de nanoparticules à l'intérieur de la tumeur avant la radiothérapie.

Techniquement, ce produit pourrait potentiellement être utilisé dans l'ensemble des cancers solides dans le futur. Et ce, parce que la technologie que nous avons développée avec le produit NBTXR3 est fondée sur les principes universels de la physique. C'est le principe de la physique des nanoparticules, on peut l'adresser à tous les patients.

L'efficacité est-elle la même pour tous les cancers ?

Il y a aura des dosages différents en fonction des cancers, mais il s'agira du même produit. Nous avons sept essais cliniques actuellement en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.

Nous avons un essai en cours sur les sarcomes à tissus mous. Ce sont des tumeurs qui se développent le plus souvent dans les muscles, la graisse, les vaisseaux.... Elles peuvent être grosses, et sont souvent agressives et difficiles à retirer. La radiothérapie améliorée avec notre produit a pour objectif de rendre ces patients opérables.

Un autre essai se concentre sur les cancers tête et cou. La population de patients de cet essai est fragile, ils n'ont souvent comme solution que la radiothérapie. Parmi nos objectifs il y a donc préserver et améliorer la qualité de vie des patients ainsi que la survie sans progression locale ou générale de la maladie. Nous avons également un essai en cours sur la prostate, un autre sur les cancers du foie (les cancers hépatocellulaires et les cancers métastatiques émanant de cancers colorectaux ou du sein par exemple) et un dans le cancer du rectum. Le cancer de la prostate, les cancers tête et cou et les cancers du foie devraient délivrer des résultats cette année.

Notre objectif avec notre technologie est donc d'augmenter l'efficacité de la radiothérapie à dose égale et pourquoi pas dans le futur de permettre de réduire les doses de radiothérapie nécessaires.

Nous souhaitons naturellement à terme cibler d'autres indications d'oncologie.

Avez-vous assez de recul pour éviter tout risque pour la santé des patients sur le long terme avec la technologue des nanoparticules ?

Notre produit passe par toutes les étapes validantes : il est testé sur l'animal et l'homme. Si on arrive au bout de la chaîne, c'est parce que les autorités considèrent qu'on a un recul suffisant. On n'est pas inquiets sur ce sujet. Nous sommes soumis aux même degré d'exigence que l'ensemble des produits de santé, et à ce jour, notre produit présente un profil de sécurité plus que correct.

Votre produit thérapeutique pourrait-il obtenir le feu vert des autorités dans les mois prochains ?

Nous sommes dans une étape critique, avec une première autorisation de mise sur le marché que nous attendons cette année. Nous sommes en phase III sur le sarcome. Dans cet essai, on compare l'efficacité de la radiothérapie seule, à la radiothérapie associée aux nanoparticules.

Dans cet essai, un comité d'experts indépendant va regarder l'efficacité et la sûreté du produit sur une centaine de patients, Ils vont poser une question: doit-on arrêter ou continuer l'essai. La réponse viendra au début de printemps. Une réponse positive serait un élément validant.

In fine, on espère un marquage CE cette année en Europe pour ce produit. Notre produit n'est en effet pas considéré comme un médicament en Europe mais comme dispositif médical, cela s'explique car c'est le mode d'action, physique, qui est pris en considération.

Vous développez vos produits de bout en bout, c'est plutôt rare pour une biotech française...

Nous n'avons pas besoin de faire des essais cliniques avec 1000 ou 2000 patients pour montrer le bénéfice de cette approche. Selon les indications, nous avons besoin de 100, parfois moins, ou de quelques centaines de patients. Pour le sarcome, il va s'agir d'un essai sur 156 patients.

Concernant le coût des essais cliniques, il est certes non négligeable, mais les marchés potentiels sont colossaux. Nous pourrons adresser le marché seuls dans un certain nombre de pays européens. Pour d'autres, nous n'excluons pas de nouer des partenariats commerciaux.

Jean-Yves Paillé

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 26/02/2017 à 15:08
Signaler
Un reportage récent de la BBC expliquait que le cancer est un virus analogue à celui de la grippe, à savoir qu'il est mutant et que d'un patient à un autre, d'une région à une autre ou d'une année sur l'autre, on a pas affaire à la même souche...d'où...

le 28/02/2017 à 9:37
Signaler
Attention, le cancer n'est absolument pas un virus, mais il est effectivement différent d'un patient à l'autre, comme c'est le cas d'un virus...

à écrit le 26/02/2017 à 10:26
Signaler
Une solution vraiment intéressante en effet et il est dommage d'avoir à attendre qu'elle soit rentable pour qu'elle puisse combattre ce fléau, car c'est un véritable fléau le cancer et une société digne de ce nom devrait mettre tous les moyens à sa d...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.