Contre vents et marées, les big pharmas voient la Chine comme un Eldorado

Novartis, Sanofi et AstraZeneca s'enthousiasment du potentiel de croissance de la Chine, avec le gonflement de sa classe moyenne, ses malades chroniques de plus en plus nombreux, et y voient un relais de croissance clé à l'avenir. Mais le ralentissement économique du pays et la pression sur les prix des médicaments posent question.
Jean-Yves Paillé
La Chine est le marché pharmaceutique numéro deux, avec 115 milliards de dollars de ventes de médicaments l'année dernière, selon IMS Health.

Jeudi 2 juin, Joe Jimenez, dirigeant de Novartis n'a pas caché son enthousiasme sur le fort potentiel de la Chine, aujourd'hui marché pharmaceutique numéro deux mondial, avec 115 milliards de dollars de ventes de médicaments l'année dernière, selon IMS Health. Le patron du groupe suisse assure que la croissance des revenus de l'industrie pharmaceutique en Chine continuera à dépasser celle de l'Europe et des Etats-Unis dans les années à venir.

"La Chine a le potentiel sur les dix ans pour devenir une force majeure dans l'industrie pharmaceutique", assure-t-il dans le Financial Times, mercredi 1er juin.

Le même jour, Novartis a annoncé l'ouverture d'un centre de recherche et développement à Shanghai d'une valeur de 1 milliard de dollars. "La Chine sera très importante en R&D sur le long terme", assure le patron du premier laboratoire pharmaceutique mondial.

Le 25 mai, c'était le même son de cloche chez Sanofi, qui possède également un hub de R&D à Shanghai. Lors d'une conférence sur les pays émergents, le Français a annoncé donner la priorité Chine dans sa recherche de croissance dans les pays émergents. Le groupe pharmaceutique est déjà bien placé et se revendique 3e laboratoire pharmaceutique du pays, qui représente sa deuxième source de revenus du français après les Etats-Unis.

Le numéro 1 en Chine est AstraZeneca, devant Pfizer. Le laboratoire britannique voit dans le pays une plateforme de croissance clé. Il a annoncé en décembre un milliard de dollars d'investissement sur dix ans en Chine pour développer sa production de médicaments (innovants notamment) en s'associant avec la société WuXi AppTec. Si le groupe est numéro un en Chine, c'est parce qu'il s'est lancé dans des marchés porteurs: les maladies respiratoires et le diabète.

De plus en plus de maladies chroniques

Le diabète fait en effet partie des pathologies dont la prévalence croît très fortement en Chine. Un argument qui laisse penser aux big pharmas que la Chine prendra de plus en plus de place dans leur croissance.

Au total, un quart des personnes diabétiques dans le monde en vivent en Chine, soit 109,6 millions de personnes. Il y en aura 150,7 millions en 2040, selon la Fédération internationale du diabète. Cette forte hausse des maladies chroniques s'explique d'une part par le vieillissement de la population, et ce, malgré l'assouplissement de la politique de l'enfant unique. "Dans 35 ans, il y aura plus de 340 millions de Chinois supplémentaire de plus de 65 ans, l'équivalent de la population américaine", souligne le patron de Novartis.

D'autre part, la classe moyenne en Chine connait une croissance qualifiée d'"explosive" par le cabinet de conseil Mckinsey. Pour les Chinois, cela implique un mode de vie sédentaire, une alimentation plus riche en graisse et en sucre, facteur principal de l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques. Mais également des revenus plus élevés, et un donc un accès au soin largement amélioré. Ainsi, Mckinsey estime que le revenu par foyer en zone urbain pourrait doubler entre 2013 et 2022. Si tout se passe bien.

Mise en place de systèmes d'assurance maladie

Par ailleurs, les réformes de santé lancées en Chine suscitent l'enthousiasme des laboratoires pharmaceutiques, qui espèrent voir l'Etat et les assurances mieux rembourser les dépenses santé des habitants. Le 13e plan quinquennal dévoilé en mars "propose une assurance médicale pour les familles urbaines et celles des régions rurales afin de couvrir les maladies graves", rapporte l'organe de presse officiel du gouvernement chinois, Xinhua.

"Le mouvement est enclenché en Chine pour mettre en place des systèmes d'assurance maladie, bien qu'encore basiques aujourd'hui", note Peter Guenter. Marc Danzon, ancien directeur régional de l'OMS pour l'Europe va plus loin: "La Chine est le pays émergent qui fait le plus d'efforts dans la santé". Avec la Russie, "la Chine a fixé l'objectif de gagner un an d'espérance de vie dans les 5 ans à venir",  ajoute-t-il.

Par ailleurs, la Chine a multiplié les initiatives pour moderniser et désengorger ses hôpitaux. Le gouvernement chinois autorise les étrangers à investir dans ses établissements hospitaliers depuis quelques mois, ou encore Alibaba propose un "hôpital du futur" ou les utilisateurs peuvent réserver leur rendez-vous en ligne, pour fluidifier les visites.

Un système de santé aujourd'hui inefficace

Concernant le système de santé plus largement, le gouvernement multiplie les investissements dans le numérique. Les dépenses en e-santé atteindront 110 milliards de dollars en 2020, et devraient permettre de contribuer à rationaliser et réduire les coûts.

Au total, selon le cabinet McKyndey, la Chine va dépenser 1000 milliards de dollars dans la santé en 2020, contre 357 milliards en 2011. "Les dépenses santé en pourcentage de PIB dépassent les 6% aujourd'hui. En 2020, elles iront au-delà des 7%, assure à La Tribune Olivier Wierzba, directeur associé du Boston Consulting Group.

Néanmoins, il reste beaucoup de travail à faire. "Dans les hôpitaux de Shanghai, on peut voir des files de patients venant des zones rurales. ils peuvent consulter les professionnels de santé 3 à 4 minutes, si tout va bien... Le développement d'un bon système santé est une priorité absolue pour désengorger", assure Peter Guenter.

Car aujourd'hui, "de par sa construction, le système de santé chinois est très inefficace et coûte cher", expliquait Olivier Wierzba.

La croissance des big pharmas au ralenti en 2015

Les laboratoires pharmaceutiques fondent donc leur espoir sur une amélioration du système de santé chinois. Mais pour le moment, s'ils connaissent en général des croissances à deux chiffres en Chine, ils subissent à la pression sur les prix des médicaments, en raison du ralentissement de la croissance du pays. L'année dernière, la croissance d'AstraZeneca est passée de 22% à 14% en un an, celle de Merck est tombée de 13 à 8%, quand celle de Pfizer a diminué de 15 à 10%, selon des chiffres compilés par Bloomberg.

Comme le souligne l'agence, la Chine du mal à s'adapter rapidement au vieillissement de sa population et à la forte hausse des maladies chroniques. Les plafonds fixés pour les budgets sont vite atteints et poussent les autorités locales à négocier avec les industries pharmaceutiques pour réduire les prix des médicaments. Récemment, le pays a assuré avoir remporté des baisses de prix de plus de 50% sur cinq types de médicaments importés et notamment des anticancéreux.

L'accélération de la croissance des géants pharmaceutiques internationaux passe également par un regain de confiance de la Chine envers les laboratoires pharmaceutiques occidentaux. Celle-ci a été mise à mal par le britannique GSK qui a écopéd'une amende record de 380 millions d'euros pour corruption en 2014. Selon la justice, le laboratoire avait fait transiter jusqu'à trois milliards de yuans (380 millions d'euros) par des agences de voyages pour faciliter l'octroi de pots-de-vin à des médecins et des fonctionnaires. Cela a impliqué de nouveaux coûts pour que les laboratoires puissent être en conformité avec les nouvelles règles fixées par la Chine.

Jean-Yves Paillé

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