Fabrication de médicaments : les sous-traitants français profitent des déboires asiatiques

Par Jean-Yves Paillé  |   |  756  mots
Les sociétés françaises concevant des molécules ou des principes actifs pour des tiers travaillent insuffisamment sur les nouveaux types de médicaments produits par les biotechs, juge le rapport d'Alcimed.
Les producteurs de principes actifs et de médicaments pour des tiers enregistrent une croissance solide. La réputation des deux géants mondiaux, la Chine et l'Inde, est entachée par de multiples scandales, ce qui permet à la France de bénéficier du regain d'intérêt des grands laboratoires. Ces derniers anticipent les risques sanitaires.

Jusqu'à aujourd'hui, les données sur les producteurs sous-traitants français de principes actifs et de médicaments étaient quasi inexistantes. Et selon un rapport du cabinet Alcimed dévoilé jeudi 9 mars, il se porte très bien. 86 entreprises, des PME et quelques ETI embauchant 17.000 salariés, génèrent 3,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel en France en produisant des principes actifs (1,6 milliard d'euros de revenus) et des médicaments pour des tiers (2 milliards d'euros). La moitié d'entre elles enregistre plus de 5% de croissance annuelle. Preuve de la solidité du secteur, suite à la crise de 2008, il a "mieux résisté que d'autres métiers à la baisse généralisée des emplois de l'industrie pharmaceutique (-9800 depuis 2008)", explique le rapport

Dans le détails, les fabricants français bénéficient d'un positionnement au dessus de la moyenne mondiale dans presque tous les domaines de production, et plus particulièrement dans les princeps (médicament original) biologiques et les principes actifs à haute activité. L'Hexagone fait partie des leaders dans les formes solides orales, les suppositoires et les unidoses. Le seul retard à déplorer est dans le secteur des biosimilaires.

"Parmi leurs principaux points forts, les entreprises françaises ont une expertise historique et les salariés jouissent de formations de haut vol. Les sociétés françaises sont une référence dans le secteur. Elles ont également une capacité de production importante", s'enthousiasme Géraldine Börtlein, membre d'Alcimed, lors d'une présentation à Bercy, jeudi.

Et d'ajouter: "La France jouit également d'un haut de niveau de qualité de production, grâce à une réglementation stricte."

Les autorités sanitaires serrent la vis, les labos investissent plus dans la qualité

En insistant sur l'aspect qualitatif, l'Hexagone fait mieux que résister à la concurrence féroce de la Chine et de l'Inde, les deux premiers marchés mondiaux: elle grignote leurs parts. La France bénéficie particulièrement de relocalisations de productions issues de ces deux géants asiatiques, estime Géraldine Börtlein.

Les grands laboratoire "reviennent en Europe pour produire leurs principes actifs. [...] Ces derniers sont prêts à augmenter légèrement leurs coûts pour garantir la qualité de leur approvisionnement en pricnipes actifs", explique le rapport d'Alcimed.

Si l'Inde et la Chine  produisent 60 à 80% des principes actifs en volume mondial, très axé sur les génériques et biosimilaires, plusieurs problèmes survenus ces dernières années ont entaché la réputation des deux géants et entrainé un durcissement réglementaire des Agences des médicaments européenne et américaine. En juillet 2015, par exemple, l'Agence européenne des médicaments a interdit pas moins de 700 génériques conçus en Inde. Deux ans plus tôt, un rapport sénatorial s'inquiétait de "sérieuses lacunes en termes de traçabilité des produits de santé importés en Europe".

Outre-Atlantique, les Etats-Unis s'inquiètent également. Certains fabricants chinois sont  en porte-à-faux avec le pays à propos de composants chimiques nécessaires à la fabrication de médicaments, dont la production est jugée opaque, et concernent parfois des anticancéreux. L'Agence américaine des médicaments a déjà sévi, comme en 2015 contre Zhejiang Hisun, lui interdisant d'exporter certains composants outre-Atlantique.

La France devrait continuer à tirer profit des déboires des deux géants asiatiques dans les années à venir, estime Géraldine Börtlein. Mais elle ne sera pas seule et sera concurrencée par des pays "comme la Pologne qui sont en train de développer une production de grande qualité", ajoute-t-elle.

Des risques dans les années à venir

Néanmoins, le producteurs français devront faire face à des défis difficiles à relever. "La pression sur les prix des médicaments pourrait entrainer une dégradation de l'emploi dans la production pour tiers de médicaments", estime le rapport d'Alcimed. Egalement, la sérialisation des médicaments qui sera imposée aux entreprises européennes 2019 (les fabricants devront faire en sorte que chaque boîte de médicaments délivrée sous ordonnance soit identifiée à l'aide d'un code unique) devrait entraîner des surcoûts pour les sociétés.

Enfin, les fabricants français travaillent insuffisamment sur les nouveaux types de médicaments produits par les biotechs, juge le rapport du cabinet de conseil. Géraldine Börtlein reste optimiste sur ce point-là: "Les sociétés françaises ont les moyens de concevoir tous les types de médicaments et de principes actifs. Elles ont surtout besoin d'améliorer leur visibilité."