"Il faut ouvrir à tous le traitement de l'hépatite C"

Selon Michel Joly, président de la filiale française du laboratoire Gilead, la France pourrait ouvrir plus largement et rapidement aux patients l'accès aux traitements de Gilead contre l'hépatite C, sans dépasser les dépenses prévues. Il promet en outre que la nouvelle trithérapie, Genvoya, n'entraînera pas de surcoût pour l'Assurance maladie.
Michel Joly, président de Gilead France.

LA TRIBUNE - Le prix du Sovaldi, votre médicament capable de guérir l'hépatite C, a défrayé la chronique en France. Pourquoi coûte-t-il si cher ?

MICHEL JOLY - Le Sovaldi est arrivé à la fin de 2013 en France et a bénéficié d'une Autorisation temporaire d'utilisation (ATU). Dans cette procédure, le prix est fixé librement par le laboratoire pour permettre de traiter en urgence les patients les plus graves. Nous avons fixé un prix pour ce traitement qui guérit l'hépatite C, à 56.000 euros pour trois mois, un prix européen de référence. À la suite de l'autorisation de mise sur le marché de la molécule en 2014, et aux négociations avec le Comité économique des produits de santé (CEPS), le prix a été fixé par les autorités à 41.000 euros. Nous avons remboursé la différence en multipliant les 15.000 euros de différence par le nombre de patients traités. Il faut rappeler que 41.000 euros est le prix le plus bas de tous les autres pays européens. Il en est de même pour le traitement complet Harvoni, dont le prix a été fixé à 46.000 euros.

Pour déterminer le prix de nos traitements, les autorités de santé se sont basées sur plusieurs critères : le niveau d'innovation, le prix des comparateurs - ce que coûtaient les traitements précédents, environ 30.000 euros par an pour un patient guéri sur trois seulement. Le rapport coût/efficacité du médicament a également été passé en revue, selon des critères de la Haute autorité de santé, et enfin l'impact budgétaire a été déterminé. Néanmoins, il faut rappeler que le prix net, c'est-à-dire le coût réel pour la France, est plus bas. Ce prix net, qui est confidentiel, permet de garantir un prix européen et de donner accès rapidement au médicament partout en Europe. On ne peut pas accepter le même coût en Allemagne ou en Roumanie. Le coût de la guérison de cette maladie potentiellement mortelle a été inférieur à 40.000 euros en 2015, et 95% des patients ont été guéris.

Aujourd'hui les personnes soignées sont les plus touchées par l'hépatite C, certaines se tournent vers le marché parallèle et les génériques...

On nous dit que la ministre a réservé l'accès aux patients sévèrement touché à cause des prix ? C'est faux. Elle a suivi le chemin recommandé par la Haute autorité de santé en 2014. Elle estimait que la France comptait 200.000 personnes touchées par la pathologie, mais qu'il était possible d'en traiter un maximum de 20.000 par an, avec un accès limité aux hôpitaux. L'institution estimait que si l'on ouvrait l'accès à tous, les patients les plus sévèrement touchés pourraient ne pas être soignés et risquaient, pour certains, de mourir...

La question de coûts pour la sécurité sociale n'entre pas en, compte, selon vous ?

Nous estimons qu'il faut ouvrir l'accès au traitement à tout le monde. Le coût va-t-il exploser si l'accès est universel ? C'est la question clé. Nous nous sommes penchés sur cette question, et nous estimons que la réponse est non. La dynamique d'un médicament qui guérit est différente de celle d'un traitement chronique. C'est comme une baignoire qui se vide et qui se remplit. Quand on guérit 15.000 patients par an, on vide le réservoir. En traitant 15.000 personnes par an, en moins de dix ans, l'hépatite C peut être éradiquée en France, sans augmenter d'un euro l'enveloppe de 700 millions d'euros du budget 2015 de la Sécurité sociale. Même en traitant plus de patients chaque année, l'enveloppe ne sera pas dépassée. En effet, le coût des traitements baisse, car la durée de traitement diminue. En 2014, une grande partie des personnes étaient traitées en vingt-quatre semaines. En 2015, la majorité a été soignée en douze semaines, car le traitement était plus optimal. Maintenant, cela peut durer huit semaines, avec un coût inférieur à 30.000 euros... En deux ans, les coûts ont été divisés par deux, et bientôt ce sera par trois !

Vous dépensez moins de 10% de vos revenus en R et D, une part plus faible que la moyenne des grands laboratoires pharmaceutiques, située en général autour des 15%. Pour quelle raison ?

Quand je suis arrivé à Gilead [en 2011, NDLR], les dépenses en R et D atteignaient deux milliards de dollars par an, soit 20% de nos revenus. Désormais, nous sommes proches de 3 milliards. Il est vrai que ce ratio n'augmente pas aussi vite que nos résultats, mais nous ne définissons pas notre stratégie de recherche à partir d'un ratio. Je tiens à rappeler aussi que 40 % de nos effectifs se consacrent à la R et D.

On vous reproche souvent de privilégier des rachats de molécules, comme ce fut le cas avec le Sofosbuvir (Sovaldi), plutôt que de les développer chez Gilead...

C'est mal nous connaître. Nous avons défini des domaines cibles dans le VIH et l'hépatite C et B, dans lesquels nous sommes experts. Nous travaillons dans la virologie depuis près de trente ans. Nous avons une banque de milliers d'antiviraux. Par exemple, lors de l'épidémie d'Ebola, nous avons recherché les molécules efficaces et oui, nous avions un produit à fort potentiel. Nous travaillons pour trouver les molécules nous-mêmes, mais nous nouons également des partenariats avec d'autres chercheurs. Dans tous nos domaines, nous sommes convaincus que les médicaments résultent de l'association de plusieurs molécules, et cela pour l'hépatite C, le VIH, et bientôt la cancérologie. Pour nos traitements dédiés à l'hépatite C et au VIH, nous avons recours à des associations de molécules venant de notre recherche et d'autres, provenant de partenariats.

Il faut aussi rappeler que pour développer le traitement curatif de l'hépatite C, nous avions en 2011 six produits en phase II en développement interne. Nous en avons auparavant abandonné plus de trente. Il nous manquait le produit phare. Nous l'avons trouvé chez Pharmaset en 2011, pour la valeur de 11 milliards de dollars, soit un tiers de notre capitalisation. Nous avons pris ce risque très important, car notre expertise en virologie nous faisait considérer que c'était le bon choix. Et nous avons fait tout le développement de phase III, qui représente 90% des coûts de développement. Le modèle de la pharmacie d'hier, où le chercheur travaille isolé dans son laboratoire pour développer une molécule, est terminé.

Vous négociez l'arrivée en France du Genvoya, une molécule contre le VIH, et avez promis qu'il n'entraînerait pas de surcoût pour l'Assurance maladie. Pourquoi ?

En France, en 2016, l'âge moyen du patient vivant avec le VIH dépasse les 50 ans. À la fin des années 1990, le même patient avait 35 ans et l'objectif de son traitement était la survie, au prix d'une tolérance difficile. Aujourd'hui, le but est de vivre longtemps, avec des traitements mieux tolérés. Par exemple, la première trithérapie dans un comprimé, lancée en 2009 en France, est sortie de toutes les recommandations, car le niveau de tolérance n'est plus acceptable sept ans seulement après son lancement. Des traitements nouveaux sont absolument nécessaires. La nouvelle trithérapie Genvoya est adaptée aux patients VIH d'aujourd'hui. Genvoya remplacera les traitements précédents, sans surcoût pour l'Assurance maladie. Notre stratégie est de rendre nos médicaments obsolètes avant que nos concurrents le fassent à notre place. Nous voulons toujours innover pour garder un temps d'avance.

Quels seront vos relais de croissance ?

Nous investissons dans différents domaines pour construire un troisième pilier après l'hépatite C et le VIH. Les cancers du sang, par exemple. Nous avons lancé le Zydelig en 2014. Pourra-t-on guérir ce cancer demain comme l'hépatite C aujourd'hui ? Nous travaillons également sur des traitements curatifs contre l'infection chronique liée au virus de l'hépatite B ou du VIH/Sida.

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