"Il y a des risques de non-prise en charge de patients si le système ne bouge pas"

En quinze ans, Medtronic a multiplié son chiffre d'affaires par quatre et est devenu le premier fabricant mondial de technologies médicales. La société ne vise plus d'acquisitions géantes, mais cherche à développer des innovations organisationnelles. En parallèle, elle a créé un think tank pour réclamer la mise en place d'un nouveau modèle de prise en charge des technologies médicales et du patient au sein du système de santé français, explique Laurence Comte-Arassus, présidente de Medtronic France.
Jean-Yves Paillé
Avec le lancement du think tank "Cercle valeur santé" , la présidente de Medtronic France explique vouloir "casser les barrières" pour "réorganiser les modes de financement du parcours du patient".

LA TRIBUNE - Vous avez réalisé la plus grosse acquisition de l'histoire des dispositifs médicaux en mettant la main sur Covidien il y a deux ans,et de multiples autres. Votre boulimie d'acquisitions est-elle intacte ?

LAURENCE COMTE-ARASSUS - Notre objectif n'est pas de réaliser de grosses acquisitions. Mais nous sommes toujours à l'écoute pour effectuer des rachats qui ont du sens et qui nous permettent de développer des innovations technologiques et organisationnelles, car nous ne travaillons pas seulement sur le produit lui-même. Ainsi, nous avons récemment mis la main sur Diabeter, une société proposant un parcours de soin différenciant permettant un meilleur suivi des patients diabétiques, pour que l'équilibre de leur taux de glycémie s'améliore. 

Initialement, nous étions composés de trois groupes, puis on est passés à quatre et maintenant à cinq avec l'intégration du groupe Covidien en 2015, devenu Medtronic Minimally Invasive Therapies group. D'abord, nous nous sommes développés sur des produits qui stimulent électriquement  le cœur, puis on a grandi autour de ce domaine thérapeutique. L'acquisition de Covidien avait pour objectif de rajouter des gammes de produits que nous n'avions pas, pour travailler sur de nouvelles pathologies, dont l'obésité morbide et certains cancers. Il y avait peu de produits en commun, à part quelques produits cardiovasculaires. Nous avons ensuite cédé quelques actifs (fabrication d'aiguilles et de cathéters) pour nous recentrer sur ce que nous savons faire.

On vous a reproché de chercher à bénéficier avant tout des avantages fiscaux induits par la location du siège social de Covidien (à Dublin, en Irlande)...

L'intégration n'a pas été faite dans cet objectif précis. Il y a une vraie logique de stratégie dans cette acquisition. Et nous avons payé l'ensemble de nos taxes aux États-Unis...

Quels domaines thérapeutiques comptez-vous développer en priorité, aujourd'hui ?

Nous comptons notamment sur le développement de valves mitrales (dispositif médical pour éviter les reflux de sang du coeur, NDLR), qui permettent aux patients de sortir dès le lendemain de l'opération. On peut aussi citer nos produits autour de la stimulation cérébrale profonde, notamment dans la maladie de Parkinson,une thérapie issue d'une découverte grenobloise.

En outre, nous voulons accélérer dans la robotique pour permettre aux médecins d'opérer plus de patients, plus vite, mais aussi à moindre coût avec des machines modulaires. Le coût exorbitant de la robotique dans la chirurgie est un problème aujourd'hui. Il ne faut pas créer des innovations technologiques pour se faire plaisir, ce qui a parfois été un peu le cas de nos ingénieurs, il y a des années. Ces innovations doivent correspondre aux attentes du système de santé, et potentiellement être des innovations organisationnelles, afin que le médecin puisse donner plus de temps aux patients. Ce sont des axes obligatoires pour développer nos produits.

Vous misez également sur un "pancréas artificiel". Mais celui-ci n'est pas totalement automatisé. Medtronic compte-t-il développer un système avec lequel le patient diabétique n'aura plus à programmer des injections d'insuline ?

Beaucoup de sociétés veulent développer un pancréas artificiel parfait. La réalité est différente. Si vous portez un capteur de glycémie, vous verrez que celle-ci n'est jamais la même selon les jours même si vous ne changez pas vos habitudes, même pour un non-diabétique. Cela est plus complexe que ce qu'on peut penser: notre corps ne réagit jamais de la même façon. Les paramètres à prendre en compte sont très nombreux. Cela pose de gros problèmes pour la conception des algorithmes. Je suis certaine que cette technologie arrivera, mais je ne saurais dire à quel moment...

Votre "pancréas artificiel", déjà lancé aux États-Unis, va-t-il être commercialisé en Europe et en France ?

Le système MiniMed 670G, destiné à lutter contre  l'hypoglycémie et l'hyperglycémie,  obtiendra le marquage CE dans quelques mois, à la rentrée. Notre stratégie en France sera de voir comment accélérer sa prise en chargecar actuellement, nous "galérons" pour que notre autre pompe à insuline, la MiniMed 640G, avec un capteur de glycémie destiné à réduire les hypoglycémies.

Le  premier dossier déposé pour bénéficier de la première version du forfait innovation (dispositif de prise en charge des dépenses liées à un produit par l'Assurance maladie) concernait ce type de système (pompe + capteur), il y a de plus de sept ans. On l'avait  retiré, car le forfait innovation n'était pas près à fonctionner à l'époque.

Aujourd'hui, on a une bonne chance d'aboutir à une prise en charge et nous avançons dans la négociation tarifaire. 6.000 patients atteints d'un diabète de type 1 sont concernés en France, et ce sont les malades les plus graves.

Notre concurrent Abbott a vu son capteur de glycémie remboursé récemment, c'est une bonne nouvelle. Il a certainement bénéficié d'un effet de volume, car  son produit concerne 300.000 patients diabétiques dans l'Hexagone.

Vous lancez le think tank "Cercle valeur santé" et allez publier un manifeste à la rentrée "pour un système de santé fondé sur la valeur". Ce think tank est-il là pour pousser le système de santé à prendre en charge vos capteurs de glycémies ?

Il y a des risques de non-prise en charge de patients si le système ne bouge pas. D'ailleurs c'est presque le cas aujourd'hui, lorsqu'on constate la mauvaise prise en charge du diabète de type 1, entrainant des risques de cécité y compris pour des personnes très jeunes.

Avec ce think tank, qui regroupe entre autres des associations de patients, entreprises, directeurs d'hôpitaux, nous voulons voir comment innover ensemble en termes d'organisation et de prise en charge. Il faut casser les barrières.

En réfléchissant au parcours global autour du patient, on doit pouvoir réorganiser les modes de financement et réfléchir sur du long terme. Des enveloppes pourraient être réduites, d'autres pourraient être augmentées.  Il est normal qu'un cadre soit fixé. Aujourd'hui c'est l'Ondam (objectif national des dépenses d'Assurance maladie, NDLR). Il faut réfléchir à la façon de faire différemment, et surtout en privilégiant la concertation. Pas comme le CEPS a pu le faire l'année dernière, en nous informant d'un projet de baisse de 15% sur certains dispositifs médicaux sans prévoir le temps nécessaire à la concertation. Si l'on ne peut plus mettre nos innovations sur le marché, on finira par ne plus le faire.

On milite pour passer d'un monde médical quantitatif à un monde qualitatif. En France, la T2A (tarification à l'activité, NDLR) est de rigueur. Elle a permis de mettre des coûts sur des interventions, et c'est positif. Mais on ne doit pas tomber dans l'excès: la T2A incite à faire du volume et occulte la réflexion sur le patient, sur les indicateurs importants pour ce dernier. L'idée du "Cercle valeur santé" est de comparer les parcours et voir comment on peut les prendre en charge différemment.

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 2
à écrit le 21/07/2017 à 15:58
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Prise en charge ou tests de masse sur les patients ? Dans tous les cas la prise en charge revient très chère il faut miser sur la réglementation agro-alimentaire et l'information des populations pour minimiser et faire de la prévention sur les proc...

à écrit le 21/07/2017 à 13:07
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oui c'est sur, quand on refuse de se mettre en france pour se faire plumer par tous ceux qui n'en foutent pas une, ces derniers expliquent que c'est antipatriotique (!!!!!!!!!) et que c'est un pb fiscal ( ce qui n'est pas faux, et ils parlent en conn...

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