Pourquoi la lutte contre l'antibiorésistance intéresse si peu les fonds d'investissement ?

La lutte contre l'apparition de "super-bactéries" résistantes aux antibiotiques est un problème de santé mondial. Mais les fonds d'investissement restent frileux, inquiets de l'absence de modèle économique pour les nouvelles solutions thérapeutiques.
Jean-Yves Paillé
La lutte contre la résistance aux antibiotiques est avant tout "une approche très gouvernementale, avec des programmes de développement nationaux dans une optique de santé publique et non pas d'un retour sur investissement", juge Martial Descoustures chez Invest Securities, société d'ingénierie financière au service des entreprises.

Dix millions de morts par an en 2050, des coûts astronomiques craints par les systèmes de santé ( 2% à 3,5% du PIB mondial) sur la même période... La résistance aux antibiotiques est une vraie bombe à retardement. Elle suscite une inquiétude profonde aux sommets des Etats. L'ONU a décidé de prendre le problème à bras-le-corps en réunissant les chefs d'Etat à l'automne 2016 pour trouver des solutions. Quelques mois plus tôt, David Cameron, alors Premier ministre britannique, poussait un cri d'alarme lors du G7.

Quelques levées de fonds de plus de 10 millions d'euros

Pour autant, les labos pharmaceutiques sont encore peu investis dans la recherche de solutions contre la multiplication de ces super-bactéries résistantes. Allergan, MSD (Merck & Co), GSK et Pfizer développent à eux quatre seulement cinq nouveaux antibiotiques sur les 41 en phase clinique. Les biotechs travaillant dans la lutte contre la résistance microbienne se sont quant à elles multipliées ces dernières années. Elles jouissent de l'arrivée des premiers investissements significatifs émanant du capital-risque dans le domaine. Cette année, Britain's Destiny Pharma a levé plus de 19 millions d'euros en Bourse, dont une partie auprès de Rosetta Capital, pour développer notamment un médicament prévenant la résistance aux antibiotiques après une opération chirurgicale. Aux Etats-Unis, VenatoRx Pharmaceuticals a collecté 42 millions de dollars. Les Français ne sont pas en reste avec Eligo Bioscience qui vient de recueillir ce mardi 26 septembre 20 millions de dollars auprès du fonds américain Khosla Ventures.

"L'antibiothérapie est le parent pauvre de la pharma"

Pour les levées de fonds d'un plus de 10 millions d'euros, c'est à peu près tout. Pour les fonds d'investissement, ce n'est pas la ruée vers l'or, en dépit des immenses enjeux de santé soulevés. "L'antibiothérapie est le parent pauvre de la pharma. En termes de création de valeur, il y a beaucoup moins d'intérêt à développer un antibiotique qu'un médicament en oncologie ou dans des thérapies avec des besoins non satisfaits", fait valoir à La Tribune Martial Descoutures chez Invest Securities, société d'ingénierie financière au service des entreprises. Trouver un modèle dans la lutte contre l'antibiorésistance est compliqué.

"Une société qui dispose d'un produit capable de contourner toutes les résistances va devoir d'abord passer par toutes les phases de prises d'antibiotiques avant de donner son produit au patient  On a potentiellement une population faible, qui ne sera pas prise en charge de suite. La montée en puissance des ventes ne pourra se faire que lentement, ajoute Martial Descoutures.

Et si quelques sociétés ont pu lever des sommes importantes auprès des sociétés de capital-risque, plusieurs d'entre elles développent des activités qui vont au-delà de l'antibiorésistance. A l'instar d'Eligo Bioscience qui développe une plateforme biothérapeutique visant à traiter les maladies bactériennes à leur source et améliorer la santé globale du microbiome.

Des investissements surtout publics

Des sociétés ont toutefois pu lever des fonds en travaillant uniquement sur la question de la lutte contre l'antibiorésistance parce que plusieurs institutions financières versent des millions d'euros dans le domaine, analyse Thierry de Catheu, président de Biotech Agoras, spécialiste des investissements dans le secteur.

"Il y a une stimulation forte que l'on retrouve les organismes comme la BEI [qui a récemment financé Da Volterra pour 20 millions d'euros, Ndlr], ou la BPI [l'institution a versé 14,6 millions d'euros pour la biotech française Deinove, Ndlr]. Et le 'capital-risqueur' s'intéresse à des positions dérisquées."

Car depuis 2016, les pouvoirs publics s'activent. L'Union européenne a lancé en juin un plan d'action pour intensifier la lutte contre la résistance aux antibiotiques. En décembre, Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, a annoncé le déblocage de 330 millions d'euros de crédits en cinq ans pour la France.  Le Royaume-Uni quant à lui s'est associé aux États-Unis pour créer le consortium Carb-X avec un investissement sur cinq ans attendu à près de 300 millions de dollars. Ce dernier a d'ailleurs octroyé en juillet un financement important à la société toulousaine Antabio.

"La lutte contre la résistance aux antibiotiques est une approche très gouvernementale, avec des programmes de développement nationaux dans une optique de santé publique et non pas d'un retour sur investissement", juge Martial Descoutures.

Régulation, prévention, pollution... des fronts multiples

Il faut dire que, pour lutter contre la résistance aux antibiotiques, le développement de produits thérapeutiques est un facteur parmi tant d'autres; les front sont multiples. Il faut réguler les prescriptions médicales, mener des actions de prévention sur la consommation de ces produits thérapeutiques, lutter contre les rejets des usines entraînant la résistance aux antimicrobiens, limiter l'utilisation d'antibiotiques dans les élevages...

Trouver le modèle économique, problème numéro un

Pour attirer plus de capital-risque dans la lutte contre la résistance aux antibiotiques, les gouvernements vont devoir faire en sorte de "mettre le prix qui va avec l'offre de lutte contre la résistance aux antibiotiques", souligne à La Tribune Xavier Duportet, fondateur d'Eligo Bioscience. Une revendication que l'ensemble de l'industrie pharmaceutique porte. En janvier 2016, plus de 80 sociétés pharmaceutiques et de diagnostics ont lancé un appel à trouver un modèle économique pour le développement de nouveaux antibiotiques

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 5
à écrit le 28/09/2017 à 12:23
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La lutte contre l'antibiorésistance existe déjà à travers l'utilisation de la phagothérapie, inventée en France il y a plus d'un siècle et pratiquée couramment en Géorgie. Le principe est d'utiliser les virus pour tuer les bactéries. Ça marche très b...

à écrit le 27/09/2017 à 20:06
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Plus besoin, par exemple, d'antibiotiques et de cortisone depuis 10 ans chaque hiver, depuis que j'utilise l'huile essentielle de Teatree à chaque premier symptome de laryngite, angine etc Mais ce domaine là n'intéresse pas les labos , pas assez g...

à écrit le 27/09/2017 à 12:04
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Si déjà les Français cessaient de prendre des antibiotiques au moindre rhume... On en consomme beaucoup trop.

à écrit le 27/09/2017 à 9:55
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La recherche médicale assurée par le privé est une recherche à but "lucratif". Elle n'est pas destinée à trouver des solutions pour soigner une humanité terrestre jugée pléthorique. C'est une conséquence des politiques néo-libérales.

à écrit le 27/09/2017 à 9:27
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"inquiets de l'absence de modèle économique" C'était vraiment une excellente idée d'avoir confié la recherche médicale à des gens qui ne pensent qu'à l'argent, bravo ! D'autant que si nous développons des résistances aux antibiotiques c'est p...

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