Surdité : la biotech française Sensorion fait le pari d'un nouveau marché

Sensorion développe des traitements pour lutter contre la surdité. Le marché des médicaments dans les pathologies touchant à l'oreille interne, coûteuses pour les systèmes de santé, est aujourd'hui quasi-inexistant. Et aussi risqué que potentiellement lucratif.
Jean-Yves Paillé
Dans le monde, estime l'OMS, les coûts directs (prise en charge par le système de santé) des problèmes d'audition grimpent à 67-107 milliards de dollars par an, sans compter les coûts indirects.de perte de productivité, chiffrés à plus de 100 milliards.

Alors que de nombreuses biotechs tentent de s'insérer dans des marchés matures, l'oncologie notamment, la société Sensorion fait le pari d'un nouveau marché : celui des médicaments contre les maladies affectant l'audition. Avec son produit le plus avancé, le Sens 111, un récepteur antagoniste (interagissant avec des molécules naturelles de l'organisme), la société biopharmaceutique espère réduire les symptômes de la névrite vestibulaire aigüe. Cette réponse inflammatoire à un virus peut entraîner des vertiges importants et des nausées, allant jusqu'à créer des invalidités.

"Cette affection touche 70.000 personnes en Europe, aux États-Unis et au Japon. Une partie d'entre elles ne peuvent pas retourner au travail", explique Nawal Ouzren, directrice générale de Sensorion.

Avec son deuxième produit phare, le Sens 401, la société entend aussi lutter contre la surdité immédiate, à l'origine de pertes d'audition irréversibles pour la moitié des personnes touchées. Ce traitement vise à inhiber la mort des cellules responsables de l'audition, et bloquer les problèmes auditifs. Dans 12 mois, Sensorion espère disposer de trois indications en cours de phases II, si l'on ajoute l'utilisation du Sens 411 contre l'ototoxicité chez les enfants, une altération des fonctions auditives résultant de l'utilisation de certains médicaments, dont des chimiothérapies (Cisplatine).

La perte d'audition, des milliards pour les systèmes de santé

La biotech française veut rentrer dans un marché quasi inexistant pour les traitements médicamenteux. Actuellement, après la prise en charge médicale de départ -sous sédatif par exemple pour la névrite vestibulaire-, les solutions en cas de perte d'audition non enrayée sont les appareils auditifs, de plus en plus performants, mais accentuant l'amplitude des sons déjà perçus, sans forcément permettre de retrouver la plupart fréquences sonores. Ou encore des implants cochléaires, avec une stimulation électrique, utilisés pour des pertes d'audition sévères à profondes. Ces derniers sont très coûteux (plusieurs dizaines de milliers d'euros par implant).

Au total, ce marché des aides auditives représente 4,5 milliards de dollars en 2015, et pourrait grimper à 6,5 milliards en 2024, selon le cabinet de conseil grand View Research. Et dans le monde, estime l'OMS, les coûts directs (prise en charge par le système de santé) des problèmes d'audition grimpent à 67-107 milliards de dollars par an, sans compter les coûts indirects de perte de productivité, chiffrés à plus de 100 milliards.

La concurrence est restreinte dans les médicaments pour ces indications. Fin 2014, il n'existait aucune solution médicamenteuse efficace sur le marché contre les problèmes d'oreille interne et les pertes d'audition liées, selon le cabinet Roots Analysis. Aujourd'hui, on recense une soixantaine d'essais cliniques en cours pour ces traitements, mais seulement une dizaine en phase III. Cela comprend une nouvelle stratégie prometteuse qui démarre timidement, avec un essai de phase I en thérapie génique pour les pertes auditives sévères. Novartis a dû toutefois le suspendre temporairement pour apporter plus de données à la FDA sur le protocole de l'essai clinique.

Nawal Ouzren, qui espère mettre en place des partenariats avec les géants pharmaceutiques, se réjouit de cette faible concurrence:

"Les big pharmas, en recherche de croissance, ont besoin d'aires thérapeutiques peu développées avec peu de compétition."

Un marché ouvert et risqué

Le marché est donc ouvert, mais aussi risqué, car les médicaments candidats connaissent de multiples ratés. En août, par exemple, la biotech Otonomy a subi un échec cuisant en phase III avec l'Otiprio, un traitement contre la maladie de Ménière, une pathologie chronique de l'oreille interne entraînant des pertes d'audition importantes. Bien que disposant d'autres traitements candidats, la société a vu la valeur de son titre quasiment divisé par 6 suite à cette annonce, fin août, pour passer à une valeur de 3,5 dollars qui n'a pas bougé depuis...

Le mois prochain, Auris Medical, une biotech suisse, devrait publier les résultats de la phase III (dernière étape avant une potentielle commercialisation) d'un traitement contre la surdité brutale, avec l'espoir d'un premier traitement de ce type sur le marché. Nawal Ouzren l'attend avec impatience.

"Nous avons besoin d'un bon résultat, qui serait un bon signe. Nous sommes en recherche continuelle de cash. Il s'agit d'un traitement concurrent, mais le mode d'administration est différent du nôtre, il se fait par injection."

Pour développer ce marché, il faudra aussi convaincre les autorités et les professionnels de santé, pas habitués à des traitements médicamenteux s'attaquant aux évolutions de ces pathologies touchant l'audition. Nawal Ouzren,  auparavant, patronne de la division mondiale maladies génétiques de Shire, une des plus importantes biotech au monde, pense toutefois que le marché des traitements pour l'audition est sur le point de décoller.

"Le cas de l'oreille interne me rappelle celui de l'ophtalmologie il y a dix ans. L'industrie pharmaceutique s'y est intéressée, la pratique médicale est montée en puissance en parallèle dans ce domaine."

Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 17/10/2017 à 8:34
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c’est un marché florissant vu l’augmentation de cette pathologie dans la décennie à venir.

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