Les secrets de la longévité d'Anne Lauvergeon

En butte à l'hostilité de l'Elysée depuis des mois, Anne Lauvergeon achève son deuxième mandat à la tête d'Areva, et son sort paraît scellé. Pourtant, rien n'est joué. Pour gagner ce qui risque d'être son dernier combat, elle déploie l'arsenal qui lui a permis de sortir victorieuse de dix ans de batailles.
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Sur le papier, le suspense est mince. La patronne d'Areva, dont la tête a - encore - failli sauter il y a un an, après l'échec du nucléaire français à Abu Dhabi, achèvera en juin son deuxième mandat. Sur un bilan controversé. Pourtant, aucun observateur du microcosme de l'énergie ne se risque à parier sur son départ. "Il ne faut pas l'enterrer trop vite. Elle est redoutable", dit l'un d'eux. "Il y a deux grands favoris pour Areva. Le premier, c'est Lauvergeon", lance un autre. Et tous de rappeler que, au printemps 2010, son sort semblait déjà scellé. Elle était, de l'avis de tous, cernée par la colère de Claude Guéant, l'influent secrétaire général de l'Elysée qui avait bataillé pour mener les Français à la victoire aux Emirats, par l'agacement de Nicolas Sarkozy et par l'hostilité d'Henri Proglio arrivé à la tête d'EDF avec la volonté de reprendre en main le nucléaire français.

Non seulement "Atomic Anne" a sauvé sa tête, mais elle mène depuis quelques jours une vigoureuse campagne pour sa reconduction. Elle jette dans cette bataille - sa dernière ? - toutes ses forces et surtout son art de la guerre, aiguisé à l'Elysée, au contact de François Mitterrand, de 1990 à 1995.

D'abord, il semble qu'elle prenne soin de préparer de nombreux contre-feux. C'est en tout cas l'avis, difficile à vérifier, de nombreux observateurs. "Un climat détestable s'est installé. Dès qu'un candidat potentiel sort du bois, Anne Lauvergeon tire sur tout ce qui bouge", écrivait Le Monde la semaine dernière, en citant "plusieurs sources".

Le nom de Marwan Lahoud, numéro deux d'EADS, est avancé ? En privé, Anne Lauvergeon rappelle qu'il est le frère d'Imad, impliqué dans l'affaire Clearstream, mais aussi de Walid, ex-salarié d'Areva, mis en examen pour tentative d'escroquerie en 2007.

Yazid Sabeg, patron de CS, proche de Sarkozy et de Proglio, est en bonne place sur la liste ? Libération consacre trois pages à Alexandre Djouhri, l'agent trouble du pouvoir, et à ses amis personnels Henri Proglio et Yazid Sabeg. "Les articles sur Djouhri sont rarissimes. Ce n'est pas un hasard", affirme un observateur qui veut y voir l'oeuvre d'Anne Méaux, la papesse des relations presse qui travaille pour Anne Lauvergeon.

Alexandre de Juniac, directeur de cabinet de Bercy, intéressé par Areva, saisit en décembre la Commission de la déontologie de la fonction publique ? Avant même l'audience, l'information fuite, grillant sa candidature. "Robert Pistre, membre influent du corps des Mines, conseiller d'Anne Lauvergeon, siège dans cette commission", souligne un détracteur.

Difficile de trier le vrai des spéculations, voire des fantasmes. Certains prétendent même qu'Anne Lauvergeon, elle-même, laisse entendre, en privé, que, en cas d'éviction, elle "aurait des choses à raconter". D'autres vont plus loin : "des documents circulent. On commence à avoir peur à l'Elysée."

Anne Lauvergeon en a vu d'autres. Depuis qu'elle a fusionné Cogema et Framatome fin 2000 pour créer Areva, elle a souvent dénoncé les violentes campagnes de désinformation menées contre elle. En septembre 2002, des rapports internes de Bercy et de la Cour des comptes, très critiques sur sa gestion, assortis de révélations sur son salaire,  fuitent dans la presse. Les journaux s'interrogent - déjà - sur sa longévité à la tête d'Areva. Dès le lendemain, Anne Lauvergeon réplique en dénonçant dans Le Monde les attaques personnelles contre elle. Dans les mois qui suivent, elle distillera dans la presse plusieurs noms d'"ennemis" susceptibles d'avoir fomenté ce coup fourré : un ancien responsable de la Cogema, un ex-ministre de tutelle furieux d'avoir été contré, un rival de l'intérieur...

Au-delà de ces campagnes, la réussite d'Anne Lauvergeon s'appuie sur une combativité hors du commun. Arrivée en 1999 à la tête de la Cogema, qui exploite l'uranium, elle s'est souvenue qu'Alcatel, dont elle gérait les participations industrielles depuis 1997, voulait céder ses 44% du fabricant de réacteurs nucléaires Framatome. Persuadée que l'atome allait rebondir, elle a décidé de construire un groupe nucléaire intégré, de la mine au retraitement, en passant par les réacteurs. Pour y parvenir, elle a mené, et gagné, de très nombreuses batailles qui l'ont opposée à ses ministères de tutelle, à ses pairs du corps des Mines, à de grandes figures de l'industrie...

Son goût pour les luttes musclées s'est exercé dès 2000 pour imposer son schéma d'absorption de Framatome par Cogema, tout en neutralisant les ambitions de certains, comme Pascal Colombani, alors patron du CEA (Commissariat à l'énergie atomique). Elle a mis presque un an à contourner les nombreuses oppositions, dont celle de Christian Pierret, ministre de l'Industrie, en s'appuyant tour à tour sur Bercy, Matignon et l'Elysée. Et s'est même payé le luxe d'accueillir ensuite avec le sourire l'arrivée de Colombani à la tête du conseil de surveillance de la jeune Areva.

Anne Lauvergeon doit en grande partie ses victoires à son maniement très sûr des réseaux et à un sens politique rare dans l'industrie. Nommée en 1999 par Lionel Jospin, Premier ministre de Jacques Chirac, ses appuis transcendent les clivages politiques. C'est Nicolas Sarkozy, à Bercy, qui lance en 2004 le projet d'entrée en Bourse d'Areva, stoppé fin 2005 par Dominique de Villepin.

Aujourd'hui, ses fidèles soutiens se nomment François Fillon, qu'elle croise dans la Sarthe où elle possède une maison de campagne, Christine Lagarde ou, à l'Elysée, Xavier Musca, secrétaire général adjoint. Elle doit beaucoup aussi au corps des Mines, auquel elle appartient. Les anciens dirigeants (Jean-Louis Beffa, Raymond Lévy) de ce puissant corps de hauts fonctionnaires recrutés parmi les majors de Polytechnique - et plus récemment parmi les anciens élèves de Normale sup, comme Anne Lauvergeon - l'ont toujours beaucoup soutenue. Quitte à ouvrir des divisions en leur sein quand un autre mineur, Patrick Kron, à peine Alstom sauvé, se lance fin 2005 à l'assaut d'Areva.

C'est de la justesse de sa vision industrielle et de la foi qu'elle manifeste dans le renouveau du nucléaire - alors que le monde entier l'enterrait - qu'Anne Lauvergeon tiendrait sa longévité, selon ses proches. "C'est ce qui lui a permis de "survivre" à deux présidents de la république, quatre Premiers ministres, neuf ministres de l'Economie... ", répète son entourage. Une chose est sûre, Anne Lauvergeon a su emporter l'adhésion des syndicats maison, qui épousent fidèlement les causes de "la patronne". Et s'assurer la fidélité des dirigeants du groupe, qu'elle fait tourner très vite, évitant les tentations de baronnie.

Enfin, elle a réussi à incarner, en France comme à l'international où elle dispose d'un réseau digne d'un chef d'Etat, le symbole de la réussite féminine. "Un coup de maître, sa photo en couverture de Forbes sur les femmes les plus puissantes de la planète", se souvient un spécialiste de la communication. Difficile de remplacer une icône.

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Commentaires 2
à écrit le 28/06/2011 à 8:43
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Salut à tous besoin d'avis d'expert suivant l'actualité à votre avis entre 1.Louis Gallois (ancien PDG de la SNCF et PDG d'EADS) ET 2.Anne Lauvergeon (fondatrice d'AREVA et PDG d'AREVA jusqu'au 16 juin 2011) = qui aurais pu dire cette fameuse phrase ...

à écrit le 22/02/2011 à 9:55
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Récemment, j'ai vu Anne Lauvergeon à la télévision. Cette femme a de la classe et elle a prouvé ses compétences dans la gestion et la progression d'AREVA. Dans cet environnement de vautours et de machos, c'est remarquable. Je lui suggère de dévoiler...

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