Des experts dénoncent les "erreurs" du rapport Energie 2050 d'Eric Besson

Des biais méthodologiques, des erreurs factuelles et surtout des tours de passe-passe idéologiques au service de convictions pro-nucléaires. Les experts de l'énergie réunis au sein de l'association Global Chance n'ont pas de mots assez durs pour dénoncer le rapport Energie 2050 publié en février par le ministre, Eric Besson.
Photo AFP

« Incompétence des auteurs ou mensonges ? On hésite face à la quantité d'erreurs factuelles de ce rapport. Personnellement, je penche pour un mélange des deux », déclare Bernard Laponche, polytechnicien, ancien ingénieur du CEA, ex-directeur général de l'Agence Française pour la maîtrise de l'énergie (AFME), ancien conseilleur auprès de Dominique Voynet, lorsqu'elle était ministre de l'Environnement.

Pourtant, Eric Besson a réuni le gratin du monde de l'énergie en octobre 2011 pour « mener une analyse des différents scénarios de politique énergétique pour la France à l'horizon 2050 ». La Commission Energie 2050, qui a rendu son rapport mi février, était présidée par Jacques Percebois, universitaire spécialiste de l'énergie et Claude Mandil, ancien directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie.

Une "régression méthodologique totale"

«C'est la première fois qu'une telle commission d'experts n'élabore pas ses propres scénarios et se contente de comparer les scénarios publiés, comme par hasard, dans les semaines qui ont suivi sa constitution, par les différents acteurs du nucléaire en France, le CEA, Areva, RTE, la filiale d'EDF, ou encore l'administration. C'est une régression totale par rapport aux pratiques gouvernementales précédentes», déplore pour sa part Benjamin Dessus, président de l'association Global Chance, ingénieur et économiste, ancien d'EDF, de l'AFME et du CNRS. Il connaît le sujet puisqu'il avait co-rédigé en 2000, à la demande du premier ministre Lionel Jospin, un rapport sur le même sujet, avec Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, et René Pellat, Haut-Commissaire à l'énergie atomique à l'époque.

"L'auteur de la synthèse n'a pas lu le rapport !"

« Percebois dirigeait les travaux et pourtant c'est Mandil qui a rédigé la synthèse en insistant sur la nécessité des économies d'énergie. Manifestement, il n'avait pas lu le rapport puisqu'il n'est pratiquement pas question d'économies dans ce rapport. Et c'est bien le problème », estime Benjamin Dessus.

«Ce rapport confond le système énergétique et la production d'électricité, qui ne pèse que 25 % de l'ensemble. Toute la problématique de la consommation et de sa maîtrise est évacuée », ajoute-t-il. « Le concept de la transition énergétique est réduit à la seule question de la diminution des émissions de CO2 », regrette-t-il. « Le seul endroit où on parle encore d'effet de serre, c'est dans le nucléaire, c'est symptomatique », ajoute-t-il. 

« La sûreté nucléaire posée comme sacrée pour mieux l'évacuer »
Ce rapport considère la sûreté nucléaire « comme une nécessité incontournable, donc acquise. Le coup est assez fort. Les auteurs évitent ainsi de s'interroger sur la sûreté », affirme Benjamin Dessus. « Comme la sûreté est sacrée, on considère qu'elle est assurée. C'est de l'ordre de la croyance religieuse », ajoute-t-il.

Or, les experts de Global Chance sont très critiques sur la sûreté nucléaire. Après Fukuhsima, Jacques Repussard, directeur de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a déclaré qu'il fallait désormais « imaginer l'inimaginable ». « Outre l'impossibilité d'y arriver, cela signifie qu'il faut accepter l'idée qu'un accident comme Fukushima se produise », déclare Benjamin Dessus.

« Avant Fukuhsima, on considérait que tout était très bien au niveau des centrales françaises. La catastrophe japonaise a montré que des agressions extérieures nettement plus forte que prévues pouvaient survenir. L'Autorité de sureté nucléaire (ASN) a demandé que les centrales soient protégées en cas de séismes ou d'inondations de vigueur extraordinaire. Cela gomme toutes les questions qui se posaient avant, sur les centrales elles mêmes. C'est un tour de passe-passe », dénonce Bernard Laponche, en revenant sur les recommandations de l'ASN pour mettre le parc français à l'abri d'un scénario type Fukushima.

 

 "Les économies d'énergies discréditées"

« Lorsque les économies d'énergie sont évoquées, c'est pour les discréditer », regrettent les experts de Global Chance, en montrant du doigt certains passages comme : « Certains scénarios ne sont envisageables qu'au prix de révolutions dans les comportements individuels et sociaux, qui ne nous semblent ni crédibles, ni souhaitables. Il faudra certes adapter fortement nos comportements à de nouvelles contraintes, notamment pour économiser une énergie qui risque d'être chère et largement polluante, mais pas au prix de scénarios qui prônent la mise en ?uvre d'une société autarcique et qui ne ferait que gérer la pénurie dans tous les domaines de la vie courante ».

Le rapport Energie 2050 inclut, à tort, l'électricité nucléaire dans les « énergies primaires » (qui sont en fait « les formes d'énergie disponibles dans la nature avant toute transformation ») ce qui lui permet d'affirmer que le nucléaire contribue à l'indépendance énergétique de la France », poursuit Benjamin Dessus. « Le gouvernement escamote l'uranium et le fait qu'on l'importe. On ne parle d'uranium que lorsqu'il y a des otages au Niger », assène Bernard Laponche.

Rendre obligatoires les expertises indépendantes

« L'autre dissimulation de Besson », selon Global Chance : le rapport ne tient pas compte des engagements officiels du gouvernement en matière de réduction de la consommation d'énergie ou de développement des énergies renouvelables. Enfin, une phrase hérisse particulièrement les experts de l'association anti-nucléaire : la recommandation numéro 3 de ce rapport, « s'interdire toute fermeture administrative d'une centrale nucléaire qui n'aurait pas été décidée par l'exploitant à la suite des injonctions de l'autorité de sûreté ». « Le pouvoir politique devrait s'emparer de la question de la sureté et ne pas s'en remettre à l'ASN, encore moins à l'exploitant évidemment, là c'est aberrant », commente Gobal Chance.

Qui en profite pour prêcher pour sa paroisse. « Le pouvoir politique doit rendre obligatoire des expertises indépendantes. Quand on fait une critique, comme aujourd'hui, d'un rapport, c'est écarté, considéré comme un acte militant. Ce n'est pas le cas en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne », estime les experts de Global Chance.

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Commentaires 4
à écrit le 15/03/2012 à 13:28
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ça fait deux experts écolo contre beaucoup plus d'experts , moi je penche pour les beaucoup plus.

à écrit le 14/03/2012 à 15:16
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Félicitations Mme LOPEZ, encore un article rédigé pour accrocher sans recherche de la vérité. Vous citez comme expert un" conseilleur" de VOYNET dont les apiculteurs connaissent parfaitement le souci écologique qui animait cette ministre. Un second e...

à écrit le 13/03/2012 à 23:13
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quelle mauvaise foi ! ces "experts" prétendent que le rapport Besson ne prend en compte que des scénarios élaborés par des organismes pro-nucléaires ; or les scénarios étudiés incluent aussi le scénario Négawatt ainsi que celui de Global Chance ! Qua...

le 18/03/2012 à 15:00
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Et comment font les japonnais pour se priver du nucléaire ? Ils vivent à la bougie ? Ou ils utilisent les économies d'énergie pour y parvenir ? Résultat : ils consomment autant d'énergie que dans la période 60 -70 ... Cela s'appelle être efficace ;;;...

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