Affaire Volkswagen : "Le manque de contrôles est criant"

Le scandale des motorisations truquées rappelle la nécessité d'un système de vérification fiable aussi dans le cadre de la lutte internationale contre le réchauffement climatique, estime Pierre-André Jouvet, professeur d'économie à l'Université Paris Ouest et directeur scientifique de la chaire d’Economie du climat. Un impératif dont les Etats et l'ONU devraient tenir compte lors de la négociation d'un nouvel accord sur le climat à Paris en décembre.
Giulietta Gamberini

LA TRIBUNE. La polémique qui a enflé ces derniers jours concernant la nature des contrôles sur les émissions des véhicules, qui sont jusqu'à présent menés en laboratoire et non pas en conditions réelles, vous paraît-elle justifiée?

PIERRE-ANDRE JOUVET. Il faut rappeler que cette approche et cette polémique ne sont pas spécifiques aux contrôles sur les voitures. La mesure des effets sur la santé des cigarettes est contestée pour les mêmes raisons... Et si l'objectif poursuivi est celui de réduire les émissions, les limites fixées permettront de l'atteindre malgré les écarts -prévisibles- entre les conditions des tests et la conduite réelle.

Le cas de Volkswagen, qui a sciemment modifié un logiciel et commis donc une véritable tricherie, soulève, plutôt que la question des modalités des contrôles, celle de leur rapport avec le caractère strict de la norme. Plus les normes que l'on adopte sont sévères, plus le coût de leur respect va être élevé pour l'industrie. Les entreprises peuvent avoir la tentation de comparer ce coût au poids de la sanction prévue et à la probabilité qu'elle soit appliquée.  En dehors de toutes autres considérations et notamment des effets de réputation, un calcul purement économique consiste à déterminer s'il est plus intéressant de frauder ou de respecter les lois. Or, aujourd'hui, on voit bien que pour certains acteurs du secteur automobile la probabilité de se faire attraper est trop basse, ce qui pousse inévitablement à la fraude.

Avant de décider du niveau des normes, le législateur devrait donc vérifier d'être suffisamment armé en termes de contrôles. Certes, il doit évidemment aussi trouver le juste équilibre entre l'intérêt social poursuivi par la norme et le coût de ces contrôles.

Cela pose justement la question de comment déterminer la valeur de la santé et du climat...

Oui, et ce n'est pas un exercice facile, aussi parce que la monétisation de tels biens individuels et collectifs est souvent mal perçue par l'opinion publique. Il n'empêche que les moyens à la disposition des économistes existent, fondés sur des considérations statistiques et scientifiques, en matière de santé comme de climat.

En quelle mesure par ailleurs les effets sur le climat sont-ils pris en compte dans la fixation même des limites des émissions des voitures?

Les limites des émissions des véhicules à essence ou diesel sont fixés en tenant compte en premier lieu de l'autonomie énergétique et de la structure industrielle des pays qui fixent ces normes. Cela explique par exemple le régime fiscal favorable assuré par la France au diesel - dont l'opportunité est depuis longtemps contestée. La santé publique est également un paramètre important. Dans ce cadre, les effets de ces émissions sur le climat n'ont jusqu'à présent constitué que le dernier des critères pris en compte. Il n'existe en fait qu'un lien indirect entre les limites fixées aux véhicules en termes d'émission de particules et les engagements pris par les Etats en matière de réduction de la CO2 rejetée. Mais, dans les deux cas, baisser les émissions concourt à l'objectif climatique.

Puisque la tricherie de Volkswagen a été révélée aux Etats-Unis, peut-on considérer que la législation européenne est moins efficace que celle américaine?

Non, il ne me semble pas qu'il existe une faiblesse particulière de l'Europe par rapport aux Etats-Unis. En revanche, il est certain que les politiques en matière d'autonomie énergétique adoptées des deux côtés de l'Atlantique poursuivent des objectifs opposés. On peut alors se demander si les contrôles menés sont neutres par rapport aux considérations économiques et industrielles de chaque zone. Et on ne peut pas s'empêcher de penser que les Américains seront plus pointilleux sur le diesel. Et en ce sens Volkswagen, qui est le leader mondial de ce secteur, était sans doute particulièrement exposé.

En Europe pourtant, si les règles sont établies à Bruxelles, leur mise en oeuvre est laissée aux Etats membres. Est-ce qu'une plus grande centralisation serait souhaitable?

Éloigner les contrôles des Etats, qui sont les plus sensibles aux considérations d'autonomie énergétique, permettrait sans doute d'en garantir davantage l'indépendance. Le scandale poussera d'ailleurs sans doute à une réflexion quant à l'opportunité d'adopter aussi des règles internationales en la matière, notamment dans le cadre du traité de libre-échange transatlantique en discussion.

Quel pourra être l'impact du scandale Volkswagen sur la COP 21?

Je pense que l'impact sur les négociations elles-mêmes sera faible. Mais, en remettant l'accent sur la question des contrôles, cette affaire rappelle que cet aspect est aussi essentiel lorsqu'on parle de la lutte internationale contre le réchauffement climatique. Quels que soient les engagements qui seront finalement pris par les Etats parties à la COP 21, ils devraient impliquer l'acceptation d'un mécanisme de contrôle, que dans le jargon climatique on l'appelle MRV (mesure, reporting, verification) et dont aujourd'hui encore peu de pays sont équipés.

Certes, la mise en place d'un tel système de mesure au niveau international pose inévitablement la question de son financement, auquel pourrait notamment être consacrée une partie des 100 milliards de dollars annuels promis -à partir de 2020- à Copenhague par les pays riches. La chaire d'économie du climat a formulé une proposition pour résoudre ce volet du problème: nous avons suggéré la mise en place d'un système de bonus-malus.

Les pays dont le taux d'émissions se situerait au-dessus de la moyenne mondiale par tête devraient payer une somme proportionnelle au niveau de leur dépassement, ceux dont le taux d'émissions se situerait en dessous recevraient des financements. La condition de participation au mécanisme serait évidemment la mise en place des MRV.

Selon nos calculs, à partir d'un prix de un dollar la tonne de CO2, un tel système permettrait de générer un flux financier Nord-Sud de la valeur de 14 milliards d'euros, suffisant pour financer les contrôles. A 7-8 dollars la tonne, on couvrirait l'ensemble des 100 milliards promis.

Comment interpréter l'ampleur de la réaction au scandale Volkswagen?

L'ampleur de la polémique sur le diesel, qui dure depuis plusieurs années, en est sans doute la principale cause. Mais elle reflète aussi une défiance grandissante vis-à-vis des constructeurs, comme des Etats qui ne jouent pas leur rôle de garantie. Dans ce contexte, les ONG deviennent les chevaliers blancs du système...

L'affaire Volkswagen peut-il justement avoir un impact sur l'engagement des entreprises?

Le risque que d'autres ONG finissent par enquêter sur d'autres constructeurs pourrait certes les pousser à être plus vertueux... mais l'affaire pourrait aussi rapidement retomber, si la possibilité de se dire non concernés devait leur être laissée. Une chose est cependant sûre: on n'arrivera pas à l'objectif d'une limitation du réchauffement climatique en dessous des 2° sans l'engagement de l'industrie.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 15
à écrit le 27/09/2015 à 11:48
Signaler
Il faut juste arrêter de fabriquer des voitures Dans 2 ANS, la lévitation non polluante sera présenté

à écrit le 27/09/2015 à 11:14
Signaler
"l'opportunité d'adopter aussi des règles internationales en la matière, notamment dans le cadre du traité de libre-échange transatlantique en discussion" Le noeud du problème est là. Les US veulent à tout prix ce Traité qui leur sera éminemment ...

à écrit le 27/09/2015 à 11:14
Signaler
"l'opportunité d'adopter aussi des règles internationales en la matière, notamment dans le cadre du traité de libre-échange transatlantique en discussion" Le noeud du problème est là. Les US veulent à tout prix ce Traité qui leur sera éminemment ...

à écrit le 27/09/2015 à 8:19
Signaler
Enfin cela ressort (trop tard): BOSCH aurait fourni le software "interdit" à Volkswagen en 2007 et aurait dit de ne pas l'utiliser. http://www.spiegel.de/wirtschaft/unternehmen/vw-wusste-in-abgas-affaere-schon-frueh-bescheid-a-1054926.html Des lan...

le 25/12/2015 à 22:49
Signaler
ha ha.. le sujet standard? BOSCH a inscrit dans ses normes de compliance interne, ils doivent changer de place les employés de services critiques tous les x ans? certains du service application et programmation software audi etc. sont dans le service...

à écrit le 27/09/2015 à 7:33
Signaler
Qui est responsable des normes de pollution en France ?? Qui effectue les contrôles ?? Comment imaginer qu'on laisse les constructeurs faire ?? Les têtes doivent tomber le minimun c'est de prendre une voiture de série de temps en temps pour voir si...

à écrit le 26/09/2015 à 23:11
Signaler
Quand le soufflet va retomber, tout rentrera dans l ordre et la tricherie reprendrà ses droits car ce comportement est inhérent au système actuel qui dévoie l esprit et la liberté d entreprendre.

à écrit le 26/09/2015 à 21:24
Signaler
Sur le point d'arriver et sans ces problèmes de pollution et de tricheries en fait insurmontables sont les véhicules électro-solaires classe "Cruiser" 2/4 places qui sont les plus efficients au plan énergétique : - très bonne autonomie y compris de n...

à écrit le 26/09/2015 à 19:09
Signaler
toute cette histoire Volkswagen est bien connue depuis tres longtemps des specialistes qui travaillent dans l industrie automobile. Comme il n y a pas de remunerations et de protection efficaces des lanceurs d alertes (soit les internes de Volkswagen...

à écrit le 26/09/2015 à 13:11
Signaler
Il est exact de dire qu'une sorte de courbe de Phillips existe dans les entreprises pour tous les risques comme elle existe au gouvernement pour le chômage, une manière cynique de jouer ses pions. Il n'est pas exact de dire que la fraude est faibleme...

à écrit le 26/09/2015 à 12:14
Signaler
C'est tellement criant que la magouille perdure depuis des années et que personne n'a jamais rien remarqué. Heureusement qu'on a les résistants de la dernière heure pour jouer les héros et dénoncer les malversations :-)

à écrit le 26/09/2015 à 11:19
Signaler
Chère Giulietta "L'affaire Volkswagen peut il ..." !!!! ....et moi qui croyais qu' ''affaire" était féminin j'aurais écrit peut elle ?

à écrit le 26/09/2015 à 11:10
Signaler
En dehors de la tricherie, un véhicule qui ne fait que des parcours urbains .... sera vraisemblablement polluant ... un mixe entre parcours urbains et autoroutes (4 X voies) est nécessaire pour renter dans les normes !

à écrit le 26/09/2015 à 10:36
Signaler
vu que c'est un grand professeur il a appris dans ses cours de cybernetique qu'un systeme de complexite n a besoin d'un systeme de complexite n+1 pour etre controle pour le reste, les estimations econometriques, on sait ce que ca vaut!!! d'ailleur...

le 26/09/2015 à 11:31
Signaler
La baisse des émissions de CO2 ne viendra pas de l'augmentation des contrôles et des sanctions mais de volontés politiques qui s'abstiendraient du poids des groupes de pression ( lobbys) et cela est difficilement imaginable aujourd'hui au niveau pla...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.