Augmentation de capital d'EDF : le coûteux sauvetage du nucléaire français

L’augmentation de capital annoncée ce 7 mars par EDF s’inscrit dans une dynamique de renflouement par l’Etat des acteurs du nucléaire, qui pèse lourdement sur les finances publiques.
Dominique Pialot
L'Etat français contraint de renflouer les acteurs du nucléaire.

[Article publié le 8 mars à 6h30 et mis à jour à 18h avec la clôture du cours de Bourse d'EDF au plus bas historique]

C'est ce 7 mars que EDF a lancé son augmentation de capital "d'environ 4 milliards d'euros", annoncée en avril 2016. Il s'agit à l'époque de faire face à un « mur d'investissements » dans lequel le projet de construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point dans le sud de l'Angleterre (18 milliards) et les charges de maintenance de son parc nucléaire (grand carénage, estimé par l'opérateur à 50 milliards, par la Cour des Comptes à 100 milliards) pèsent particulièrement lourd. Sans compter le rachat en novembre dernier d'Areva NP, imposé par l'Etat pour un montant de 2,5 milliards d'euros.

Le secteur énergétique fragilisé par l'effondrement des prix de gros

Cette opération, à laquelle l'Etat actionnaire s'est engagé à participer à hauteur de 3 milliards, fait suite à la recapitalisation par l'Etat d'Areva entérinée en janvier dernier pour un montant de 5 milliards d'euros.

Ces démarches sont menées dans le cadre «d'une réorganisation et un redéploiement», d'aucuns diraient d'une tentative de sauvetage, de la filière nucléaire française.

Le secteur de l'énergie dans son ensemble traverse une mauvaise passe, notamment en Europe, où les prix de gros connaissent une baisse brutale. Pour EDF, celle-ci coïncide de surcroît avec l'ouverture à la concurrence du marché des particuliers. Les résultats présentés en février par l'opérateur historique font état d'un chiffre d'affaires en recul de 5,1% et de 6,7% pour l'excédent d'exploitation brut (EBITDA).

La filière nucléaire française dans la tourmente

Dans ce secteur énergétique en plein bouleversement, le nucléaire est tout particulièrement fragilisé. Il subit le contrecoup de l'accident de Fukushima, qui a tout à la fois incité certains pays à abandonner progressivement cette énergie, et entraîné une hausse des coûts liée à de nouvelles exigences en matière de sécurité. Et se trouve de plus en plus fréquemment en concurrence avec des énergies renouvelables qui ont vu ces dernières années leurs coûts s'effondrer.

Dans ce contexte, la filière française présente un visage à part. Areva n'a échappé à la faillite qu'au prix d'un démantèlement de ses activités. Après avoir cédé sa division NP (conception, fabrication et maintenance des réacteurs) à EDF, et engagé celle de la branche Areva TA (propulsion nucléaire navale) auprès de l'Etat, le CEA et DCNS, elles sont aujourd'hui restreintes au cycle du combustible, depuis l'extraction du minerai d'uranium jusqu'au traitement  des combustibles usés. Un flou subsiste au sujet de l'EPR en construction à Olkiluoto en Finlande et qui accuse déjà plusieurs années de retards et un dépassement de budget de plusieurs milliards. EDF a en effet refusé de le reprendre bien qu'il soit initialement logé dans la division NP.

EDF bientôt scindé en deux ?

Quant à EDF, malgré un renforcement de ses fonds propres avoisinant les 8 milliards, incluant l'augmentation de capital et la prise de dividendes de l'Etat actionnaire sous forme d'actions plutôt que de cash sur les exercices  2015, 2016 et 2017 ses perspectives à court terme restent sombres comme l'a précisé son PDG, annonçant pour 2017 une année encore difficile avant un rebond.

Il lui faut d'ailleurs encore séduire d'autres investisseurs que l'Etat pour un milliard d'euros. L'opérateur historique va solliciter ses 800 000 actionnaires individuels (parmi lesquels ses salariés), mais table essentiellement sur des investisseurs institutionnels, comme l'a précisé son PDG Jean-Bernard Lévy dans un entretien aux Echos. Mais, outre un endettement qui demeure élevé à à 37,4 milliards d'euros, le refus constant de toute hausse des prix par le gouvernement (la Commission de régulation de l'énergie à qui revient désormais de les encadrer pourrait se montrer plus compréhensive), ou encore la menace européenne qui plane sur les tarifs réglementés, pourrait freiner leurs ardeurs. Sans compter les incertitudes sur les chantiers de l'EPR ou le coût du démantèlement sur lequel subsiste un certain flou, dénoncé notamment par un récent rapport parlementaire.

L'opérateur historique pourrait-il être amené à scinder ses activités comme l'ont fait les allemands RWE et E.ON ? Certains observateurs le pensent, mais la direction a jusqu'à présent toujours démenti.

La valeur des participations de l'Etat en chute libre

Outre leur renflouement, le poids de l'Etat dans ces entreprises grève les finances publiques en faisant chuter la valeur du portefeuille de l'agence des participations de l'Etat (APE) avec la dégringolade de leurs cours de Bourse. Ce mercredi, l'action EDF a perdu près de 8%, terminant à 7,91 euros, son plus bas historique depuis son introduction en Bourse il y a 11 ans. Le secteur de l'énergie, qui représentait 81% du portefeuille de l'APE en 2008, n'en pèse aujourd'hui plus que 46%.

L'agence a d'ailleurs choisi le plus mauvais moment pour vendre ses actions Engie (dans l'objectif affiché de soutenir la filière nucléaire), au plus bas avant de remonter à peine quelques semaines plus tard après la publication de ses résultats médiocres mais attendus, et des perspectives rassurantes présentées par l'entreprise.

Et cette litanie de cession de participations n'est sans doute pas terminée, puisque l'Etat doit encore prendre une décision d'ici à la fin 2017 concernant les 20% qu'il détient dans Alstom...

De quoi apporter de l'eau au moulin de la Cour des Comptes, qui lui a recommandé à récemment de réduire son taux de participation dans certaines entreprises publiques.

Dominique Pialot

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Commentaires 27
à écrit le 09/03/2017 à 8:32
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Suite. Je précise: -économique, la croissance et le chomage. -sociaux, le financement des retraites et du chomage. -environnementaux, action sur le climat et l'épuisement des ressources.

à écrit le 09/03/2017 à 8:20
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La comparaison entre les formes d'énergie est complexe et nécessite de tenir compte de nombreux paramètres, que ce soit économiques, sociaux ou environnementaux. Sans faire de publicité, le livre de Benjamin Dessus me semble une base de discussion in...

à écrit le 08/03/2017 à 15:12
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Les Suisses vendent 2 centrales nucléaires à 1 Franc suisse. EDF a décliné l'offre. Alors qu'il y a peu ça achetait n'importe quoi aux USA en GB a un prix prohibitif. Quid de la valorisation des centrales nucléaires d'EDF au bilan comparativement?...

le 08/03/2017 à 19:54
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La valeur d'un actif s'étudie dans le cadre d'un marché, avec les règles qu'il comporte. Si ce marché est déformé par des règles mal calibrées, qui par exemple subventionnent trop certains acteurs, alors les prix qui en ressortent sont eux aussi dé...

à écrit le 08/03/2017 à 14:34
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Ce n'est pas un problème français c'est bien un problème "nucléaire" qui n'est plus compétitif et qui abouti à des difficultés pour Westinghouse, Toshiba, EDF, Areva, les 2 opérateurs suisses etc. Augmenter les prix n'a donc pas de sens dès lors que ...

le 08/03/2017 à 19:47
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Le stockage à grande échelle (de l'ordre de 100TWh) n'existe pas encore, et personne ne sait si il existera un jour à des prix abordables. Se baser sur son existence comme vous le faites pour prévoir un mix 100% ENR d'ici telle échéance, c'est prend...

à écrit le 08/03/2017 à 14:26
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comme DAB ,c'est la gestion DES POLITIQUES qui à été mauvaise . ex par ideologie on impose à edf de racheter du courant plus cher que sa production L'autorité de régulation du BIDON sur le prix de l',energie ,jamais elle ne pointe du doigt les p...

à écrit le 08/03/2017 à 13:22
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Si l'Etat payait sa dette CSPR (+7 MD) euros, il n'y aurait pas eu besoin f'AK, réalisée au pire moment avec le cours au plus bas.

le 08/03/2017 à 14:53
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Si EDF payait sa R&D grassement payée depuis 50 ans par l'état (CEA etc...) il faudrait rembourser 60 milliards au minimum.

à écrit le 08/03/2017 à 12:05
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Il est évident que le choix du nucléaire a été un choix politique et qu'aujourd'hui on peut se demander si c'était économiquement le meilleur choix. Par contre, ce choix permet à la France de mieux tenir son rang de puissance mondiale. on ne paie pr...

le 08/03/2017 à 14:35
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Il y a déjà eu des scissions, d'une part entre EDF et GDF, devenu Engie et dans les énergies renouvelables avec la création de EDF EN. D'abord une entité à part, puis EDF est monté dans le capital jusqu'à l'absorber en 2011. Qu'en est il de sa rentab...

le 08/03/2017 à 14:58
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Le choix du nucléaire est un choix militaire. Sur le plan économique c'est une catastrophe malgré se que raconte les zozos. Qui va "gérer" les friches radioactives laissées par cette industrie pendant un temps infini tout en ne produisant plus aucune...

le 08/03/2017 à 19:50
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Le choix économique du nucléaire se justifie pleinement aujourd'hui par le coût de sa production, qui nous permet d'avoir une électricité moins chère que nos voisins européens. La non prise en compte de l'ensemble des coûts du parc nucléaire françai...

le 09/03/2017 à 13:27
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Mais bien sur, tellement pas cher qu'il faut déjà recapitaliser une filière en faillite. Alors que l'on est pas encore dans le dur du sujet, a savoir le démantèlement et le stockage de tout se Barnum. Ca serait pas des boites étatique (Areva/EDF) ç...

le 10/03/2017 à 6:27
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Ça n'est pas parce que les coûts sont élevés que la boite doit être recapitalisée, c'est parce que les coûts ont été faibles mais les revenus encore plus faibles. Et une tranche nucléaire totalement démantelée voit son terrain déclassé : Tous les ...

à écrit le 08/03/2017 à 11:21
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Scinder ses activités en deux ? L'intérêt d'une telle opération pour RWE ou EON est de préparer la défaisance de leur important parc thermique, afin de ne garder que les activités réglementées ou subventionnées (réseaux, ENR), seules rentables. ...

le 08/03/2017 à 14:48
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Les centrales thermiques sont bien moins adaptées ni efficientes techniquement comme économiquement que le stockage aux énergies renouvelables, encore une approche erronée de vouloir lier les 2 ce qui n'est pas le cas dans la dizaine de scénarios qui...

le 08/03/2017 à 19:39
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@ Mines Paristech Vous parlez du stockage comme si c'était déjà une réalité alors que c'est tout sauf le cas, techniquement comme économiquement. D'où sort ce chiffre de 22% ? Chiffre qui n'a jamais été expérimenté nul part puisque le stockage à g...

à écrit le 08/03/2017 à 10:39
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La France est seule en Europe à maintenir une filière nucléaire et le savoir faire qui va avec ( y compris militaire). Sans cette maitrise nous passerions du statut de puissance (grande ou moyenne) à celui de colonie américaine .. ou russe.

le 08/03/2017 à 15:03
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Les Etats-Unis font de moins en moins de nucléaire depuis des décennies sans pour autant perdre leur situation de puissance militaire. Les centrales uranium sont au contraire un handicap majeur en cas de guerre. La Chine aura tout au mieux 4% de son ...

à écrit le 08/03/2017 à 10:28
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l'état n'est pas le meilleur actionnaire pour edf , entre le blocage des prix et l'imposition faite à l'entreprise de céder à prix coutant 25% de sa production à ses concurrents impossible de s'en sortir dans de bonnes conditions ; c'est devenu un i...

à écrit le 08/03/2017 à 10:21
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Il faut commencer par recapitaliser, mais la solution passera aussi par une augmentation des prix de l’électricité en France. A force d'argumenter sur le bas coût du nucléaire, il y a un état de confusion et même d'illusion qui a été entretenu et ...

le 08/03/2017 à 11:05
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Les coûts concernant le nucléaire sont aussi connus que le permet l'avancement des chantiers. Voir le rapport de la Cours des Comptes de 2012, ainsi que les rapports parlementaires rédigés avant et après. Le problème n'est pas l'absence d'éléments fa...

le 08/03/2017 à 16:51
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La production nucléaire a surtout permis une forte baisse de la consommation de charbon, essentiellement utilisé pour produire de l’électricité. Charbon également très employé dans l'industrie et remplacé par le gaz. (statistiques : http://www.stati...

à écrit le 08/03/2017 à 9:49
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Il ne reste plus qu'à compartimenter le nucléaire d'Edf dans une "bad filiale" et "c'est repartit". Youpee. Je reprends ma dernière facture, page 4 : "Origine 2015 de l'électricité : 89,7 % nucléaire,...". "Engie"... "...soutenir la filière nucléai...

à écrit le 08/03/2017 à 9:07
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1. Votre article indique "les charges de maintenance de son parc nucléaire (grand carénage, estimé par l'opérateur à 50 milliards, par la Cour des Comptes à 100 milliards) pèsent particulièrement lourd.". La cours des compte indique dans son rapport ...

à écrit le 08/03/2017 à 8:40
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Entre l'austérité allemande et le nucléaire EDF ne peut pas accomplir sereinement son rôle de service public. Et pour le ou les demeurés qui haïssent sans comprendre pourquoi, juste par dogme, les fonctionnaires, ces derniers n'y sont absolument ...

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