"Dans cinq ans, des recharges électriques dans tout le réseau français de Total"

Le nouveau plan stratégique de Momar Nguer met le cap sur le digital, la voiture électrique et la segmentation du marché. Selon lui, le moteur électrique représentera de 10 % à 20 % des nouvelles immatriculations dans le monde, d'ici à dix ans. Pour anticiper cette mutation, Total envisage d'accélérer l'équipement de ses stations-service en bornes de recharge rapides.
Momar Nguer, Directeur général Marketing et Services du Groupe Total

LA TRIBUNE - Comment jugez-vous le prix du pétrole ?

MOMAR NGUER - Bas ! Sur les trois dernières années, les investissements des majors ont baissé de 30 % environ. Ces investissements n'ont pas seulement pour but de faire croître la production, ils permettent aussi de lutter contre le déclin naturel des champs déjà en production. Les champs se vident au fur et à mesure de leur exploitation et voient leur production baisser de 5 % par an environ. S'ils ne sont pas remplacés, c'est de la production en moins. Donc faute d'investissements, cette baisse de la production ne sera pas compensée. Le résultat relève de l'arithmétique : nous pourrions avoir vers 2019 ou 2020 un déficit d'offre, qui serait de nature à faire remonter les prix - en théorie.

Comment se fait-il que les marchés n'anticipent pas ce scénario ?

Le marché retient plutôt les facteurs qui sont de nature à conforter les prix bas, comme la réticence des gros producteurs à limiter leurs niveaux de production, ou les indices de crise économique. Les prix rebondiront, c'est cyclique. Mais à quel horizon, c'est difficile à dire précisément.

En France, pas de baisse du chiffre d'affaires pour Total ?

En France, le chantier de modernisation et de repositionnement de notre réseau, engagé depuis plusieurs années, nous permet d'afficher une progression de l'activité de nos stations-service comprise entre 2 % et 3 % par rapport à 2015.

Avez-vous été confronté à une guerre des prix en France et à l'international ?

La « guerre des prix » est une expression que je n'utilise jamais. Je suis profondément favorable au marché. Notre rôle est avant tout de nous assurer que nos clients ont le sentiment de payer le prix juste, que ce soit dans l'une de nos 700 stations-service à bas prix Total Access, sur nos aires autoroutières ou partout ailleurs ! Nous avons des prix différents pour des offres différentes, car les attentes des clients ne sont pas toujours les mêmes. Total doit cibler chaque segment du marché. S'il doit y avoir une guerre, c'est moins sur le prix que sur la capacité, l'agilité avec laquelle chacun des acteurs de ce marché comprend les attentes du client.

Les meilleurs seront ceux qui seront capables d'innover le plus, ceux qui sauront comprendre ce que le client attend. Pour être le champion de la proximité client, il faut être poreux à ce qui se passe à l'extérieur, être attentif, être à l'écoute des clients. C'est la base même de notre métier.

Quelles sont les innovations sur lesquelles travaille Total actuellement ?

Quatre millions de personnes passent chaque jour dans nos stations-service à travers le monde. La station, c'est là que l'on serre la main du client. Nous innovons pour que la station devienne un véritable lieu de vie, un « one stop shop », où le consommateur - un commercial, un routier, une famille -peut venir et s'arrêter pour faire le plein, pour se restaurer, pour boire un café, mais pas seulement. Nous voulons développer des espaces de repos et de détente, des aires de jeux pour les enfants du client, un bureau avec une connexion Wi-Fi pour lui permettre de travailler, un casier pour le retrait de ses colis, des solutions pour lui rendre la vie plus simple comme de pouvoir laver ou faire réviser son véhicule, jusqu'à des services de conciergerie personnelle, par exemple. Et si ce client vient en voiture électrique, il pourra demain la recharger sur nos aires. C'est à tout cela que nous travaillons, et bien plus. Dans station-service il y a le mot "service". Nous voulons lui donner encore plus de sens.

Allez-vous utiliser le paiement sans contact ?

Oui, bien sûr, et c'est déjà le cas dans l'ensemble de nos stations. Cela fait partie du service. La station, c'est un lieu de vie, cela doit être un lieu de vie, comme jadis les commerces de proximité ou la poste pouvaient l'être...

Avez-vous une feuille de route pour la France ?

Pour prendre un exemple, j'envisage que, dans les cinq ans à venir, Total puisse proposer à ses clients un réseau de bornes de recharge électrique dans ses stations en France, et cela même si je dois être en avance de phase sur le marché. Cela peut sembler anecdotique, mais, il y a vingt ans, personne ne pensait qu'avoir des toilettes dans une station-service faisait partie de l'offre. Aujourd'hui, tout le monde considère que ce service en fait partie, nos clients le considèrent comme un dû. Je pense que demain, il pourrait en aller de même pour les bornes de recharge électrique.

Quel est le coût de ce plan à cinq ans ?

Ce projet est à l'étude pour en faire un investissement rentable. Gageons que pendant les vingt minutes que durera la recharge, nos clients prendront le temps de venir boire notre très bon café et profiter des services offerts par nos stations !

Le gouvernement a également un plan de déploiement. Converge-t-il avec le vôtre ?

Il faudra naturellement que cela soit fait. Il faut aussi régler la question de l'interopérabilité des standards. Une standardisation au niveau mondial est nécessaire. C'était il y a déjà fort longtemps, mais souvenez-vous des débuts du magnétoscope, alors que les standards étaient différents : c'était affreux !

Mais pour l'instant, on ne peut pas traverser la France en voiture électrique en venant d'Allemagne...

C'est avant tout aux acteurs du marché de trouver des solutions.

Où en êtes-vous avec le concept Total Contact ?

Ce projet est encore en phase de test. Nous l'expérimentons et en tirons les premiers enseignements. Notre idée tourne autour de la proximité et de la vie locale. Nous aurons l'occasion d'y revenir si cette phase d'expérimentation s'avère concluante et que nous décidons de déployer le concept en France.

Quel bilan pour Total Access ?

Plus de 600 000 clients s'arrêtent chaque jour, en France, pour faire le plein dans une Total Access. C'est un concept formidable, né il y a quelques années d'une observation simple : nous ne pouvions plus nous adresser de la même manière à tous nos clients. Ils ont des attentes différentes. Donc, il nous fallait leur parler de façon différente. En l'occurrence, les clients Total Access ont une préoccupation, celle du prix du carburant. Il fallait trouver le moyen d'y répondre au mieux. La différence de prix varie beaucoup entre les stations. Avec Total Access, en faisant le pari d'accroître les volumes pour maintenir l'équilibre de la station, on est en capacité de se mettre au niveau de la concurrence environnante la plus basse possible... Mais sans compromis sur la qualité de nos carburants.

Quels ont été les critères de choix pour Total Access ?

Le maillage. Nous voulions avoir un maillage de Total Access sur tout le territoire. Son modèle, qui repose sur des prix bas, s'équilibre avec une multiplication par deux, voire trois dans certains cas, des volumes de carburants distribués. Il fallait donc trouver des stations situées sur des axes très fréquentés et pouvant accueillir un flux important de clients sans générer beaucoup d'attente. Un des critères de choix était donc la taille des sites, leur accessibilité. Il faut pouvoir être en mesure d'y distribuer 300000 litres de carburant au lieu de 100 000 précédemment.

Ce concept sera-t-il décliné à l'international ?

Non. La perception et les attentes des clients ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre. Par exemple, en Allemagne, les attentes des clients sont focalisées sur les pompes automates, à l'inverse de la France où les clients apprécient le contact humain avec notre personnel.

L'hydrogène arrivera-t-il dans vos stations ?

Notre pilote se situe en Allemagne où nous avons déjà quatre stations équipées à Berlin.

C'est une initiative conjointe entre les autorités allemandes, les compagnies pétrolières et les constructeurs automobiles. On va continuer le développement des stations à hydrogène. Très clairement, cela fait partie des innovations auxquelles nous réfléchissons pour demain.

On a longtemps estimé en France que les pétroliers freinaient...

En tous les cas, Total ne freine pas. En Allemagne, j'ai rencontré en juin le président de l'industrie automobile, auquel j'ai réitéré notre volonté de continuer à être partenaire dans le développement de ce programme. Nous parlons tout de même de construire avec ce consortium 425 stations hydrogènes d'ici à 2025...

Quelle est votre vision de l'avenir de cette industrie automobile ?

Elle évolue rapidement, notamment au vu des mouvements rapides en faveur du véhicule électrique que nous pouvons observer en Chine et aux États-Unis. Le scénario dans lequel les véhicules légers dans les grands centres urbains sont électriques est désormais envisageable. Notamment en Chine, pour des raisons de pollution locale dans les grandes villes. Il est possible que dans quinze ans, de 10 à 20 % des nouvelles immatriculations dans le monde soient des véhicules électriques. L'impact sur notre marché sera mesuré, néanmoins c'est un élément important dont il faut tenir compte.

Les pétroliers ont encore de beaux jours devant eux...

Total est relativement protégé de cette évolution sur le court terme. Pourquoi ? Car nous sommes implantés sur des marchés, où l'électrification sera plus lente. Nous sommes, par exemple, le premier distributeur en Afrique. Le parc automobile va s'y électrifier plus lentement que le parc européen, ne serait-ce que parce que la consommation y est essentiellement dédiée au transport de longue distance. Au niveau du Groupe, nous considérons plus globalement que, sur le plus long terme, il est important de développer un mix plus diversifié, entre pétrole et électricité bas carbone, et produit à partir de gaz et de renouvelables. C'est ce que nous visons avec la création récente de notre branche Gas Renewables and Power.

La digitalisation est-elle votre cheval de bataille pour attirer de nouveaux clients ?

La digitalisation fait dès aujourd'hui partie des attentes des clients. En France par exemple, nous avons une carte « extraordinaire », la carte GR, qui est la « fuel card » de Total, et que nous allons d'ailleurs faire évoluer.

Nous voulons que tout détenteur de la carte puisse gérer avec celle-ci l'intégralité de ses dépenses. Qu'elle lui permette non seulement d'acheter du carburant dans nos stations-service, mais aussi de payer son hôtel, par exemple. C'est ce qu'attend le client. Là-dessus, Nous sommes très, très en pointe.

Cela passe par des partenariats avec des banques ?

Un tel partenariat se construit avec une banque. En Afrique, nous travaillons sur un projet qui permettrait d'agréger toutes les cartes. Nos clients pourraient alors tout payer avec leur carte.

Quel est l'impact du prix du pétrole dans vos métiers de la distribution de carburants ?

Notre activité a une très faible sensibilité au prix du pétrole. La consommation de carburant peut baisser un petit peu quand les prix sont trop élevés. Mais il faut bien comprendre que le carburant reste sur la plupart des marchés une consommation de nécessité.

Sur les marchés africains ou asiatiques par exemple, les automobilistes se déplaceront de toute façon, que le prix soit à 1 dollar ou à 1,30 dollar. Les arbitrages se font donc sur d'autres besoins.

Mais les pays producteurs de pétrole réduisent leurs investissements...

Quand les prix du pétrole sont bas, il y a effectivement des pays producteurs qui freinent leurs investissements publics. Cela veut dire notamment moins de chantiers d'infrastructures, de routes, de travaux publics, de logements, etc. Ces mesures ont donc une incidence sur la demande. En revanche, pour tous les pays non producteurs, une baisse du prix permet de dégager de nouvelles marges budgétaires. C'est notamment le cas dans les pays où les prix sont régulés : quand les prix sont hauts, les gouvernements subventionnent en effet le prix à la pompe afin de le maintenir à un niveau acceptable pour les consommateurs. Globalement, pour Total, l'élasticité reste donc faible.

Justement, pour certains pays producteurs, ces prix bas ont des implications sur leur politique de subventions aux énergies fossiles...

Il est vrai que la chute des cours incite certains gouvernements à réduire les subventions pour se dégager des marges. C'est le cas de l'Arabie saoudite ou du Qatar, par exemple. Lorsque le carburant est à 30 centimes le litre, la propension à consommer est très forte. Lorsqu'il est plus cher, les gens sont incités à être plus vertueux. Il faut néanmoins faire attention à ce que l'on entend par « subventions ». L'absence de taxe sur les produits pétroliers, que l'on constate dans de nombreux pays, ne signifie pas qu'ils sont subventionnés, comme on aurait tendance à le penser en France où s'applique, en revanche, une forte fiscalité sur ces mêmes produits.

Propos recueillis par Michel Cabirol, Philippe Mabille et Dominique Pialot

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BIO EXPRESS

Premier Africain à atteindre ce niveau de responsabilité dans le groupe Total, le Sénégalais Momar Nguer a remplacé, en avril dernier, Philippe Boisseau comme directeur général Monde de la branche Marketing & Services du groupe. Momar Nguer, diplômé de l'Essec, a rejoint Total en 1984 après avoir commencé sa carrière chez Hewlett-Packard. Depuis 2011, il dirigeait la zone Afrique MoyenOrient de la branche Marketing & Services.

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Commentaires 11
à écrit le 18/10/2016 à 12:23
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Total est le premier groupe Francais une grosse machine industrielle, pourtant monsieur Nguer semble être dynamique et posséder une vision a long terme pour le groupe et un temps d'avance sur la concurrence (sauf pour les stations solaires). Nous dev...

à écrit le 17/10/2016 à 10:56
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Les stations service TOTAL ,fonctionnant à l’Énergie solaire,c'est pour Quand??? Nous croyions que TOTAL était champion dans le panneau solaire???? Les Pétroliers Italiens EUX maîtrisent ce concept.

à écrit le 17/10/2016 à 10:19
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IL FAUT EVOLUEZ? TOTAL A CONPRIS QU IL DEVAIS VIVRE AVEC SONT TEMPT LE TOUS PETROLE CA VAS FINIR. ET EN ECONOMIE TOUTE LES CARTES VONT CHANGER DE MAINS???

à écrit le 16/10/2016 à 10:02
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Les hauts fonctios des partis politiques, ne pensent eux, et ne planchent eux QUE ! sur les 78% de taxes pour les nouvelles énergies de l'auto : DESESPERANT.

le 16/10/2016 à 12:14
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Bah oui, l'Etat a besoin d'argent pour fonctionner. Et chacun doit assumer sa contribution aux finances collectives. Bienvenüe dans la vie adulte.

à écrit le 15/10/2016 à 21:56
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Les véhicules électro-solaires sont bien mieux que les véhicules électriques classiques car ils utilisent 10 fois moins de batterie et ont une autonomie 3 à 5 fois supérieure. C'est ce qui se fait de mieux et qui arrive commercialement. L'hydrogène e...

à écrit le 15/10/2016 à 19:37
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Et demain on se fera raser gratis chez TOTAL

à écrit le 15/10/2016 à 16:50
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Qui a le temps de perdre 20 ou 30 minutes a attendre le chargement de sa voiture électrique alors qu'il y a encore une longue route à faire ? Le temps c'est de l'argent mon vieux, arrêtez de nous prendre pour des imbéciles. La voiture électrique ce...

le 16/10/2016 à 12:17
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Pourtant ça correspond à peu près au temps de pause que tout conducteur est censé prendre toutes les deux heures...

le 17/10/2016 à 13:16
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@ Tom: vous mettez deux heures pour rentrer chez vous après votre travail ? De plus je ne pense pas que les livreurs ou les commerciaux peuvent se permettre de prendre 20 minutes de repos toutes les deux heures en plus du repas durant leur journée d...

à écrit le 15/10/2016 à 10:20
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En Coree des lors que vous etes embarque sur une autoroute vous trouvez des stations ou vous pouvez pratiquement tout ce que vous voulez. Service a la pompe avec le sourire et la quantite que vous souhaitez. Tjrs un supermarket. Des restos en veux t...

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