Dix ans d'ouverture des marchés de l’énergie : surtout un levier pour l’innovation

Depuis l’ouverture à la concurrence des marchés français du gaz et de l’électricité pour tous les consommateurs, y compris les particuliers, il y a exactement dix ans ce 1er juillet, les acteurs historiques ont conservé des positions dominantes et les prix n’ont pas baissé. Mais le paysage a évolué sur fond d’innovation profitable aux consommateurs et ça n’est sans doute qu’un début.
Dominique Pialot
Depuis le 1er juillet 2007, le consommateur peut choisir son fournisseur d'électricité.

C'est il y a dix ans que la France a fini de transposer les directives européennes sur l'électricité et le gaz visant la construction d'un marché intérieur de l'énergie européen. Après les industriels les plus énergivores en 1999, les professionnels et collectivités locales et 2004, c'est depuis le 1er juillet 2007 que l'ensemble des 30 millions de clients particuliers et petits professionnels d'EDF et les 11 millions de clients de GDF-Suez ont toute liberté de s'approvisionner en électricité et en gaz auprès de fournisseurs dits « alternatifs ».

Le font-ils ? Très peu. En dix ans, seuls 15,1% des consommateurs d'électricité ont quitté EDF, et 24% de ceux de GDF-Suez, entretemps devenu Engie. En outre, le marché de l'électricité reste éclaté entre de nombreux acteurs (Lampiris - racheté par Total-, ENI, Engie, Enercoop, Ekwateur) et seul Direct Energie affiche 2,2 millions de clients et sa rentabilité.

Peu de soutien des pouvoirs publics

Sur le front des prix, aucune réelle baisse jusqu'aux récentes initiatives d'achats groupés menés par l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, qui peuvent entraîner jusqu'à 200 euros d'économies sur la facture annuelle.

Cette situation est très différente de celles observées suite à l'ouverture des marchés au Royaume-Uni ou en Belgique, où l'opérateur historique Electrabel détient aujourd'hui moins de 50% du marché de l'électricité.

« Que ce soit le médiateur de l'énergie, le CRE ou la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), les pouvoirs publics n'ont pas soutenu l'ouverture aux alternatifs », regrette Julien Tchernia. Le fondateur d'ekWateur cite un exemple récent de ce qu'il considère comme une forme d'obstruction. « Alors qu'ekWateur vient d'obtenir la licence - jusqu'à récemment réservée à EDF - d'acheter à des producteurs d'énergie renouvelables aux tarifs de rachat en vigueur, de leur côté la procédure d'application pour pouvoir vendre à d'autres qu'à EDF est si complexe qu'elle en est dissuasive. »

Pour Emilie de Possesse, directeur exécutif responsable du secteur Energie chez Accenture, « Les marques historiques conservent un capital confiance important, et les Français leur restent très fidèles. La notion de service public reste très forte, elle s'illustre sur des sujets tels que la sécurité ou des garanties de délai de remise en service, observe-t-elle. Le réseau électrique français est l'un des plus fiables du monde.»

Vers la fin des tarifs réglementés

En revanche, concernant les tarifs, les alternatifs ont pâti du retard dans la mise en œuvre de l'ARENH (accès régulé à l'énergie nucléaire historique). Ce dispositif qui oblige EDF à vendre chaque année à d'autres fournisseurs, une partie de sa production à un tarif régulé, aujourd'hui fixé à 42 euros le mégawattheure, n'existe que depuis 2010.

« Au démarrage, les premiers fournisseurs alternatifs qui se sont lancés ont souvent récupéré les clients uniquement intéressés par l'approche prix et les nouveaux accédants, qui n'étaient pas forcément les segments les plus profitables » ajoute Ali Shahandeh, directeur de l'activité « Expérience client énergie » chez Accenture.

Si la concurrence a joué sur la fourniture de l'électricité, qui a vu son prix divisé par trois en 10 ans, comme elle ne représente qu'une petite partie de la facture essentiellement composée de taxes et coûts de transport, cette stratégie n'est pas tenable dans la durée. D'ailleurs, à l'image de Poweo racheté par Direct Energie, certains n'ont pas survécu à cette approche par les seuls prix.

La fin des tarifs régulés (TRV) - réservés aux acteurs historiques qui proposent également des offres de marché - inscrite dans la directive européenne et qui a dopé la concurrence sur le marché des entreprises et des collectivités ou elle est déjà effective, fera peut-être bouger les choses.

Big bang chez les opérateurs de réseaux

En dépit de cette concurrence encore timide, le paysage de l'énergie a bien changé ces dix dernières années. Plusieurs acteurs ont changé de nom afin de clarifier la nouvelle situation, à savoir des activités de transport et de distribution toujours régulées, bien distinctes et indépendantes des activités de production et de commercialisation libéralisées. C'est ainsi que GDF-Suez est devenu Engie et ERDF, en s'adaptant à la distribution d'électricité produite par d'autres que sa maison mère EDF, est devenue Enedis.

Mais la transformation va au-delà des noms.

« Les opérateurs de réseau ont dû continuer d'assumer leur mission de service public tout en investissant dans des innovations technologiques rendues indispensables par la transition énergétique », souligne Emilie de Possesse.

Ils sont par ailleurs potentiellement menacés par le développement, plus récemment, de tendances telles que l'autoconsommation et la tentation par certains acteurs de créer des boucles locales en s'affranchissant du réseau, qui risquent de peser sur leur financement, aujourd'hui largement lié au volume qu'ils transportent.

Offres de services tous azimuts et nouveaux entrants

Mais c'est sur le front de l'innovation et des services que la concurrence se fait la plus rude, au bénéfice des consommateurs. Les fournisseurs d'électricité et de gaz, y compris les historiques qui investissement massivement pour ce faire, rivalisent de propositions de digitalisation de la relation (sur laquelle la France accuse encore un certain retard) mais aussi de nouveaux services dépassant largement l'énergie.

« On voit apparaître des offres intégrant des services relevant par exemple de la banque et de l'assurance, souligne Ali Shahandeh. On assiste à l'émergence d'une approche holistique du smart home. »

Pour l'heure, le consommateur ne mord pas tellement à l'hameçon. « Nos études font ressortir à quelque 40% la proportion de consommateurs « dormants », pas encore intéressés par le sujet, reconnaît  Emilie de Possesse. Cela signifie qu'il reste un vrai potentiel marché ».

De quoi inciter les historiques à poursuivre dans cette voie, d'autant plus qu'ils doivent désormais faire face à de nouveaux concurrents, désireux d'exploiter une large base de clientèle pour se mettre eux aussi à vendre de l'électricité. C'est de que fait déjà Casino avec son offre Green Yellow, et que pourraient imiter demain d'autres acteurs de la grande distribution, voire de la téléphonie mobile.

Si le marché met du temps à s'ouvrir au grand dam des fournisseurs alternatifs, « ces dix dernières années ont contribué à un effort collectif de pédagogie et à une prise de conscience du consommateur concernant sa facture d'énergie », conclut Emilie de Possesse.

Une bonne chose à l'heure de la transition énergétique et des choix auxquels va devoir faire face l'exécutif dans les prochaines années.

Dominique Pialot

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Commentaires 29
à écrit le 05/07/2017 à 10:05
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Le fond du sujet : - la production d'électricité en europe se fait majoritairement avec du combustible fossible, charbon notamment - avec l'avènement des hydrocarbures de schiste aux USA, les prix de ces combustibles s'est effondré, celui de l'éle...

à écrit le 03/07/2017 à 9:57
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La seule véritable innovation est la CSPE prise sur tous les français pour financer on ne sait trop quoi !

à écrit le 02/07/2017 à 22:46
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Les bordelais n'ont pas accès au marché du gaz verrouillé par gaz de Bordeaux ; merci Juppé ! Inadmissible ! Que font la CRE et la Commission Européenne ? Les associations de consommateurs sont elles mêmes silencieuses... Il faut supprimer ces ancien...

à écrit le 02/07/2017 à 19:48
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il est très délicat de choisir un fournisseur, l'offre est en fonction du style consommation, et n'est pas adaptée à tous les clients .... je ne vais pas dire prudence ... mais analyse (type de chauffage, éclairage ...

à écrit le 02/07/2017 à 18:42
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On se moque de qui là? La mutualité d'un monopole public vaut bien mieux qu'une concurrence débridé qui ne recherche que d'avoir le monopole des consommateurs captifs!

à écrit le 02/07/2017 à 11:43
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Pourquoi EDF nous envoie des factures rétroactives , c'est à dire ils nous demandent de l'argent en plus, sur des factures vieilles de 1 et 2 et 3 ans et qu'on a déjà payées ? C'est légal ? C'est normal ?

le 02/07/2017 à 16:50
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C'est parce que le gouvernement n'a pas appliqué la loi qui veut que les prix de l'électricité doivent prendre en compte l'augmentation des coûts de production. Ségolène royal a refusé les augmentations de prix proposées, en conséquence les acteurs d...

le 02/07/2017 à 16:50
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C'est parce que le gouvernement n'a pas appliqué la loi qui veut que les prix de l'électricité doivent prendre en compte l'augmentation des coûts de production. Ségolène royal a refusé les augmentations de prix proposées, en conséquence les acteurs d...

à écrit le 02/07/2017 à 11:00
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Il faut dire que ce dernierement (3 à 5 àns ) que des fournisseurs alternatives se présente, les monopoles d'état ons su garder la main mise sur la clientèle .... Ensuite, l'électricité est vendu à un prix bien superieur à la réalité de la production...

le 02/07/2017 à 16:52
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En fait c'est faux, la théorie économique dit que pour les industries a réseau, c'est le monopole d'état bien géré qui est le plus efficace. Multiplier les intervenants ne peut rendre le système que moins efficient et favoriser les rentes de certains

à écrit le 02/07/2017 à 9:15
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La vérité est que la mise en concurrence n'a pas profité aux consommateurs puisque les prix ont fortement augmenté. Parce que la concurrence a complexifié et désoptimisé le système, et pour d'autres raisons (subventions aux renouvelables, réinvestiss...

à écrit le 01/07/2017 à 19:36
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Je ne vois pas l'utilité d'ajouter un comptable qui ne produit et ne vend rien mais encaisse des bénéfices sur le dos des français. Ce système est complètement opaque , voire malhonnête, car on ne sait à qui on a à faire lors de démarchages

à écrit le 01/07/2017 à 18:43
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"Le font-ils ? Très peu. En dix ans, seuls 15,1% des consommateurs d'électricité ont quitté EDF" C'est d'ailleurs étonnant que toute cette population généralement de droite qui souhaitent la déréglementation et la concurrence ne se ruent pas sur c...

à écrit le 01/07/2017 à 17:39
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c'est une arnaque légale pour dépouiller les français des entreprise publiques qu'ils ont financés au profit d'opérateurs privés ; obliger EDF à vendre 1/4 de sa production à prix coutant à ses concurrents , du jamais vu dans un monde libéral ; il y ...

à écrit le 01/07/2017 à 17:39
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Je viens de changer de fournisseur, deux mois de comparatifs, les plus visibles ne sont pas les meilleurs. Bref surtout éviter la hausse prévue au mois d’août, ainsi que cette histoire de facture rétroactive ! Bien ...

à écrit le 01/07/2017 à 17:11
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L'électricité bon marché engendre du chomage. Vive le chomage.

le 02/07/2017 à 18:02
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Je ne crois pas ! C'est surtout la gestion d'EDF qui est cause ... le 1% du chiffre d'affaire pour le CE d'EDF, la catastrophique histoire de l'EPR (c'est EDF qui est en quelque sorte caution de l'usine à gaz)! I...

à écrit le 01/07/2017 à 16:47
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L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, c'est multiplier les acteurs qui chercheront toujours à faire du profit à moindre coût, en utilisant les moyens de production que d'autres auront construit. En ce cas, EDF est la propriété de T...

le 02/07/2017 à 18:07
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Je vous laisse le soin de payer les factures rétroactives et engraisser le CE d'EDF 1% du chiffre d'affaire !!!!

le 02/07/2017 à 18:13
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.... J' oubliais l'augmentation du mois d' Août ! Masochiste c'est un goût que je ne partage pas .... libre à vous !

à écrit le 01/07/2017 à 16:44
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Je doit avouer que passer 3 heures a trouver quel opérateur va être le moins cher me gonfle déjà rien que d'y penser. D'autant plus qu'il faudra faire toute la paperasse qui va avec... Le dogme d'aujourd'hui est de penser que privatiser des servic...

à écrit le 01/07/2017 à 16:27
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Entre monologue et illusions ? Il me semble qu'à l'origine, c'est surtout la France qui souhaitait l'ouverture des marchés de l’énergie, espérant certainement vendre les surplus de production nucléaire. Ce qui est le cas, puisqu’on exporte plus qu...

le 01/07/2017 à 17:46
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Truc assez drôle, la suisse par exemple importe du courant français la nuit (pas cher) pour remonter l'eau dans ces barrages, et revend plein tarif à la France le jour !

le 02/07/2017 à 8:06
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@pmxr : pourquoi pas ? Le stockage de l'électricité par la Suisse ayant une valeur ajoutée, normal qu'il la facture. En France on fait aussi du stockage de ce type, mais les possibilités sont plus limitées.

à écrit le 01/07/2017 à 15:22
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Il est regrettable de ne pas trouver un mot sur le fait que la concurrence dans le domaine de la fourniture d'électricité favorise le court terme au détriment du long terme, alors que l'on sait que la plupart des investissements performants (écologie...

à écrit le 01/07/2017 à 13:06
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Oui à la concurrence Non aux subventions publiques déguisées pour les nouveaux acteurs parasites : pourquoi Edf est il oblige de leur vendre de l'électricité sous le prix de marché ?? S'ils veulent acheter cela doit être au prix du marché ou sinon il...

le 01/07/2017 à 17:50
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"direct énergie" c'est le pire dans histoire de concurrence !

le 01/07/2017 à 17:57
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"direct énergie" c'est le pire dans l' histoire de concurrence !

à écrit le 01/07/2017 à 12:47
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Qu'a réellement apporté au citoyen lambda l'ouverture à la concurrence? Les différences de tarifs ne sont pas faciles à cerner sauf pour les gros consommateurs et les économies du début sont vite annihilées par la suite. Le marché de l'électricité ...

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