A trois mois de l'élection présidentielle, le ton se durcit entre l'Etat et EDF. Tandis que la direction et les syndicats du groupe dénoncent respectivement un « véritable choc » et un « pillage » après les annonces du gouvernement, ce dernier cherche, lui, à minimiser l'impact de ses mesures sur les résultats de l'entreprise. Quitte à accuser par voie de presse le fournisseur d'électricité de gonfler sa facture, afin de légitimer sa propre politique face à l'explosion des prix de l'énergie.
En effet, dans un article publié ce vendredi par Le Figaro, l'exécutif affirme non seulement qu'EDF exagère le niveau de ses pertes, et sous-entend même qu'il aurait manoeuvré pour profiter d'un effet d'aubaine fin 2021. Deux « allégations » que le fournisseur historique a « formellement démenti » dans la foulée, assurant dans un communiqué avoir agi dans le « strict respect de ses procédures et de sa politique de couverture » et des « règles d'information financière ». EDF se montre ainsi bel et bien « combatif » comme son PDG, Jean-Bernard Lévy, avait promis de l'être dans son courrier envoyé la semaine dernière aux managers.
Pour rappel, c'est une mesure annoncée jeudi dernier qui avait mis le feu aux poudres : afin de protéger les Français de la flambée des prix de l'électricité, Bercy avait fait savoir que l'Etat augmenterait de 100 à 120 TWh les volumes qu'EDF devra céder en 2022 à prix coûtant aux fournisseurs alternatifs, dans le cadre du dispositif ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Autrement dit, l'entreprise, qui a déjà vendu sa production pour l'année par anticipation, devra désormais en racheter 20 TWh sur les marchés (qui frôlent actuellement les 250 euros/MWh)...afin de les revendre à ses concurrents au prix de 46,2 euros/MWh seulement. Ce qui devrait peser près de 8 milliards d'euros sur l'excédent brut d'exploitation du groupe, avait communiqué EDF dans la soirée.
30 à 35 TWh auraient été vendus fin 2022
Mais selon la « source de l'exécutif » citée par Le Figaro, l'électricien n'avait en fait pas tout écoulé fin 2021 : au 1er décembre, il avait même conservé « entre 30 et 35 TWh de sa production 2022 ». Or, malgré des négociations en cours avec l'Etat sur une éventuelle hausse du plafond de l'ARENH, EDF « a choisi d'écouler tous ces électrons sur le marché », avance ladite source. « Et ce, même après que le gouvernement confirme le 8 décembre dans la presse qu'il voulait augmenter le volume d'ARENH » dès 2022. Concrètement, cela signifie que le fournisseur historique aurait vendu des TWh dont il savait pertinemment qu'il aurait à les racheter quelques mois plus tard. EDF, lui, nie toute combine, et assure avoir suivi la procédure habituelle, « qui conduit l'entreprise à fermer l'essentiel de ses positions avant fin décembre ».
Ce n'est pas tout : selon la même source gouvernementale, « les 8 milliards mis en avant par EDF, c'est sans la hausse du volume de l'ARENH et en laissant les tarifs des consommateurs et des entreprises exploser ». Et d'assurer que la vente des 20 TWh ne coûtera en elle-même à l'entreprise publique « que de l'ordre de 3 milliards d'euros ». Les 5 autres milliards d'euros manquant à l'Ebitda d'EDF seraient donc dus à la moindre hausse tarifaire résultant de l'action du gouvernement.
« EDF a publié une estimation à date de l'impact sur son EBITDA 2022, dans le strict respect des règles d'information financière, en précisant que les conséquences pour le groupe ne pouvaient pas être déterminées de façon définitive à ce stade, et en fournissant un chiffrage illustratif », réagit le groupe ce vendredi 21 janvier, sans plus d'explications sur ses calculs.
Contacté ce jour par La Tribune, le cabinet de Bruno Le Maire se limite à affirmer n'avoir « aucun doute sur la sincérité de la communication d'EDF ».
Effet d'aubaine
Mercredi pourtant, le ton était tout autre au gouvernement : une source ministérielle assurait alors à La Tribune qu'EDF « ne sera pas aussi perdant qu'il l'affirme », puisqu'il pourra compenser ses pertes de 2022 par un gain réalisé l'année dernière du fait d'un « effet d'aubaine ». En effet, alors que les prix spot explosaient déjà sur le marché de l'électricité, le fournisseur a pu « vendre beaucoup et plus cher » que prévu au deuxième semestre 2021. A tel point que selon plusieurs observateurs, les résultats financiers de l'année dernière, qui seront publiés le 18 février prochain, montreront que le groupe n'est pas aussi affaibli qu'il le prétend. « Il y a des effets d'aubaine partout. La particularité avec EDF, c'est qu'on leur a simplement dit qu'il n'était plus possible d'en profiter étant donné la situation, car c'est une entreprise publique », précisait alors la source en question.
« En l'absence d'action, on aurait fait face à 156 fermetures d'entreprises électro-intensives, et mis 45.000 emplois en péril », justifiait hier le cabinet de la ministre déléguée à l'Industrie.
Un argument partagé par Jean-François Carenço, le président de la Commission de régulation de l'Energie (CRE). En effet, le haut fonctionnaire a volé au secours du gouvernement, en affirmant jeudi sur FranceInfo que la baisse de 8 milliards de l'Ebitda d'EDF n'était « pas souhaitable mais indispensable », puisque sans intervention de l'État, le tarif réglementé aurait bondi à 44,5% pour les particuliers au 1er février (au lieu de 4%).
« Ce qui compte, ce sont les consommateurs, industriels et domestiques. Comment peut-on se moquer des consommateurs ? Oui l'Ebitda, la marge, a baissé de 8 ou 9 milliards. [...] Sauf qu'ils vont revenir un peu en-dessous de ce qu'ils avaient prévu en 2020 pour 2022. Ce n'est pas vrai qu'on pille EDF, ils auront juste moins à gagner. [...] Est-ce qu'EDF peut dire : « j'aurais pu gagner 8 milliards », et pendant ce temps, des entreprises ferment ? Ce n'est pas possible. EDF lui, n'est pas menacé de fermeture », a-t-il tempêté.
Un point de vue que ne partage pas une ancienne personnalité d'EDF :
« Quand une entreprise investit 15 milliards par an, est en cash-flow [flux de trésorerie, ndlr] négatif et que, par conséquent, son endettement augmente, chaque milliard compte ».
Pour les partisans d'EDF dans ce débat avec l'Etat actionnaire, « les résultats 2021 seront très loin de compenser le préjudice de 2022 ». D'autant que, hasard du calendrier, l'entreprise publique se trouve dans le même temps confrontée à des prévisions de production historiquement basses, à cause d'anomalies identifiées ou suspectées dans plusieurs de ses réacteurs nucléaires. De quoi, s'inquiètent-t-il, fragiliser un peu plus le groupe, à l'aune de décisions structurantes pour l'avenir énergétique du pays.
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