Energies renouvelables : un œil sur les marchés émergents, l'autre sur la directive européenne

Le colloque annuel des énergies renouvelables a souligné l'émergence des marchés africains. Les acteurs français ont par ailleurs réaffirmé leur opposition aux appels d'offres "à neutralité technologique" que pourrait prévoir la prochaine directive européenne sur les énergies renouvelables.
Dominique Pialot
L'Inde, (qui passe devant l'Allemagne), l'Afrique du Sud, le Mexique et le Chili attirent déjà plusieurs dizaines de milliards de dollars d'investissements dans les énergies renouvelables.

Ségolène Royal, attendue jeudi matin en ouverture du dix-septième colloque annuel de SER (Syndicat des énergies renouvelables), était finalement absente... Mais la ministre de l'Énergie et de l'Environnement avait une bonne excuse : elle assistait, à l'invitation de Mohamed VI, à l'inauguration de Noor I, première « tranche » de ce qui pourrait être à terme la plus grande centrale solaire à concentration du monde, avec une puissance totale de 500 MW.

Implantée à Ouarzazate au Maroc, Noor a suscité bien des convoitises. C'est finalement le saoudien Acwa Power qui a emporté la première tranche et en a confié la réalisation à un consortium espagnol, les phases II et III revenant à l'espagol Sener et au chinois Speco. La France, via l'AFD (Association française de développement) aux côtés d'autres banques de développement, a contribué au financement du projet.

L'Afrique, un marché en devenir

Le Maroc qui accueillera en novembre prochain la COP 22, dispose depuis 2009 déjà d'un plan solaire ambitieux (2 gigawatts en 2020) à 9 milliards, et a réhaussé lors de la COP21 son objectif d'énergies renouvelables à 52% à l'horizon 2030. Mais au-delà, c'est toute l'Afrique qui constitue un nouveau terrain de jeu pour les acteurs de ces filières. En Afrique sub-saharienne, 620 millions de personnes n'ont toujours pas accès à l'électricité, et de nombreux pays se sont fixé des objectifs ambitieux :

  • 13% de renouvelables dans le mix électrique de l'Afrique du Sud dès 2020,
  • 15% dans le mix énergétique du Sénégal,
  • 54% dans celui de Madagascar en 2030,
  • 20% pour la Côte d'Ivoire,
  • 20% de l'électricité du Nigéria...L'Ethiopie, le Kenya, le Mozambique ont également annoncé des objectifs de 5 à 7 GW de capacités renouvelables en 2030.
  • Au Maroc, en Jordanie ou dans les Emirats Arabes Unis, les prix des projets en cours atteignent des niveaux de compétitivité record.

Certes, ce ne sont pas des marchés faciles, mais les acteurs français y ont une carte à jouer, notamment en Afrique du Nord et de l'Ouest. Quoi qu'il en soit, comme le démontrent les chiffres rappelés lors du colloque du SER, l'Europe -encore premier marché mondial en termes de capacités installées- perd chaque année un peu plus de terrain face aux pays émergents ou encore aux Etats-Unis. Avec un tiers des investissements mondiaux (110 milliards de dollars sur un total de 329 milliards), la Chine fait plus que jamais la course en tête, devant les Etats-Unis et le Japon. L'Inde, (qui passe devant l'Allemagne), l'Afrique du Sud, le Mexique et le Chili attirent eux aussi déjà plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Au cours de la rencontre, les intervenants ont souligné que les énergies renouvelables n'avaient pas directement souffert du pétrole très bon marché, celui-ci n'entrant pas en concurrence avec les modes de production d'électricité. En revanche, le baril à 30$ participe d'un contexte économique général morose et renchérit les conditions d'accès au financement, notamment pour les pays émergents.

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La France, un marché en retard qui redémarre

Les acteurs français font par ailleurs face à d'autres enjeux sur le plan national. La ministre de l'Ecologie a promis, dans son allocution enregistrée en ouverture du colloque, de présenter au comité de suivi le décret de programmation pluri-annuelle de l'énergie (initialement prévu avant la fin de l''année 2015) d'ici à la fin du mois de février. Mais sera-t-elle encore en charge du dossier à l'issue du remaniement ministériel qui se dessine ?

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Dans l'ensemble, les acteurs français sont plutôt satisfaits des mesures (appels d'offres, simplifications administratives, etc.) et des objectifs déjà annoncés l'année dernière en amont de la COP, qui semblent avoir redonné un peu d'air aux filières solaire et éolienne. Leur production s'est d'ailleurs accrue de près d'un quart pour atteindre 18,7% de la consommation électrique. Mais avec 14% de sa consommation finale d'énergie, ce qui la situe dans le bas du classement européen, la France a encore bien du chemin à parcourir pour atteindre son objectif de 23% en 2020 et 32% en 2030...

Les acteurs des énergies marines, en particulier, restent sur leur faim. Ils n'ont pas obtenu de précisions concernant le lancement d'un troisième appel d'offres éolien offshore attendu avec impatience. En outre, ces filières sont directement concernées par certaines des «  lignes directrices concernant les aides d'État à la protection de l'environnement et à l'énergie » de la prochaine directive européenne sur les énergies renouvelables. La très libérale « DG compétition » de la Commission européenne prône en effet la généralisation des appels d'offres et, à terme, de tendre vers les appels d'offres compétitifs et la « neutralité technologique ».

La neutralité technologique, une menace pour les filières les moins matures

Ces évolutions inquiètent notamment les acteurs des technologies les moins matures, puisque pour un appel d'offres donné, la technologie la moins disante serait systématiquement choisie sur le seul critère du prix, sans prise en compte, par exemple, des impacts sur les réseaux, de la sécurité de l'approvisionnement, de la nature de la source utilisée (pour la biomasse) ou de la qualité de l'énergie produite. Une catastrophe pour l'éolien offshore ou la biomasse, pour ne citer que deux exemples français, et pour les plus petits acteurs.

D'ailleurs, même la DG Énergie de la Commission y est opposée. Quant à Claude Turmes, député européen vert rapporteur de la directive, il n'a pas de mots assez durs pour dénoncer ce projet. Comme le SER, il y voit un risque de tuer dans l'œuf les filières les moins matures, d'occasionner d'importants dégâts en termes d'aménagement du territoire, avec des régions exclusivement recouvertes de panneaux solaires, d'autres d'éoliennes, et les conséquences sur le plan de la complémentarité des sources et de la concordance entre les schémas de production et de consommation.

Mais c'est surtout en termes de planification qu'il juge dangereuse la neutralité technologique. Dans ces conditions en effet, difficile d'anticiper sur la nature et les volumes d'électricité produits, et donc sur les investissements nécessaires dans les infrastructures, qui doivent pourtant se prévoir des années à l'avance. Impossible également d'éviter les « spaghettis », comme il désigne, dans son langage imagé, les multiples réseaux qui seraient nécessaires pour acheminer l'électricité mono-source de son lieu de production à son lieu de consommation. Il peut compter sur le soutien français pour lutter contre ce projet...Verdict en fin d'année.

Dominique Pialot

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Commentaires 2
à écrit le 05/02/2016 à 15:43
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Les industriels ne veulent rien assumer, jamais, et comme les politiciens leur permettent tout ils vont pas commencer à se responsabiliser. Individualisation des gains, socialisations des pertes. Production de déchets par an par habitant: 354kg P...

à écrit le 05/02/2016 à 14:15
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On se porterait vraiment mieux sans la technocratie Bruxelloise qui a déjà empêché la création de groupe multinationaux européens au prétexte de position dominante. Voilà que nos technocrates veulent détruire la filière des énergies renouvelables.

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