Faut-il importer massivement de l’hydrogène vert ou le produire localement ? Le débat fait rage

De nombreux pays, l'Allemagne en tête, entendent importer de très grands volumes d'hydrogène pour décarboner leur économie, depuis des régions du monde disposant d'énergies renouvelables très compétitives. Cette vision d'un commerce longue distance de la molécule verte ne fait pas l'unanimité, notamment pour des enjeux de souveraineté. La France, par exemple, défend une production locale. Au-delà de ces clivages géopolitiques, le transport d'hydrogène renouvelable rencontre un certain nombre d'écueils technique, économique ou encore climatique. Explications.
Juliette Raynal
Conçu par Kawasaki Heavy Industries, le Suiso Frontier est le premier navire transporteur d'hydrogène au monde. Il peut transporter 75 tonnes d'hydrogène liquide refroidi à – 253 degrés Celsius.
Conçu par Kawasaki Heavy Industries, le Suiso Frontier est le premier navire transporteur d'hydrogène au monde. Il peut transporter 75 tonnes d'hydrogène liquide refroidi à – 253 degrés Celsius. (Crédits : Reuters)

Importer des quantités massives d'hydrogène renouvelable pour décarboner son industrie et s'émanciper des énergies fossiles russes. C'est ce à quoi travaille ardemment l'Allemagne, qui s'est récemment rapproché du Canada. En septembre, les deux pays ont créé une alliance pour l'hydrogène de part et d'autre de l'Atlantique esquissant les prémices d'un commerce international de cette minuscule molécule considérée comme stratégique pour atteindre la neutralité carbone, essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique.

Outre-Rhin, l'objectif de production domestique d'hydrogène renouvelable ne s'élève qu'à 14 térawattheures (TWh) seulement, pour une consommation estimée autour de 100 TWh en 2030. Au-delà de son rapprochement avec le Canada, le gouvernement d'Olaf Scholz a ainsi mis sur la table deux milliards d'euros pour nouer des partenariats avec le Maroc, la Namibie, la République démocratique du Congo ou encore l'Afrique du Sud. L'Allemagne n'est pas la seule dans ce cas de figure et d'autres pays se préparent également à importer massivement de l'hydrogène décarboné, comme les Pays-Bas, la Belgique ou encore le Japon et la Corée du Sud. Ces cinq pays ont un point commun. Tous ont une forte densité de population, mais par manque de disponibilité foncière, entre autres, ils ne disposeront pas assez d'énergies renouvelables électriques compétitives pour produire suffisamment d'hydrogène par électrolyse de l'eau. Cette technique, désormais privilégiée pour fabriquer de l'hydrogène sans émettre de CO2, consiste à casser une molécule d'eau par un courant électrique pour séparer l'atome d'oxygène des atomes d'hydrogène. Son coût dépend donc en très grande partie du coût des électrons utilisés. Or pour espérer remplacer en partie le gaz et le pétrole fossiles, l'hydrogène propre se doit d'être compétitif.

Importations massives vs production locale

De l'autre côté de la chaîne, le Canada, le Chili, l'Australie, le Brésil, les pays du Moyen-Orient, du Maghreb ou encore la Namibie se positionnent déjà comme de grands exportateurs d'hydrogène vert. En Europe, l'Espagne et le Portugal réfléchissent également à cette stratégie. Tous présentent des géographies et/ou un climat propices pour produire de l'électricité à partir d'énergies renouvelables (solaire, éolien terrestre et en mer, hydraulique) à très bas coûts.

Reste que cette vision d'un commerce longue distance de l'hydrogène ne fait pas l'unanimité, notamment pour des enjeux de souveraineté. La France, par exemple, défend une production locale grâce à des électrolyseurs alimentés, entre autres, par son parc nucléaire.

«Tous les experts m'expliquent qu'il serait aberrant de transporter de l'hydrogène de l'Espagne à la France ou l'Allemagne », défendait début septembre, Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat argumentait alors son opposition au projet d'interconnexion gazière MidCat, voulue par l'Espagne, le Portugal et l'Allemagne, et qui pourrait accueillir dans un second temps de l'hydrogène.

Au-delà de ce clivage géopolitique, l'échange d'hydrogène sur de très longues distances soulève un certain nombre de questions. La première concerne sa faisabilité technique. En effet, l'hydrogène étant un gaz extrêmement léger. Impossible de le transporter à l'état gazeux. Il faudrait des bateaux d'une taille considérable. Il est donc indispensable de réduire sa densité énergétique. Pour cela, il faut le comprimer en le faisant passer à l'état liquide. Or, l'hydrogène ne se liquéfie qu'à partir de -253° avec une pression de 1,0131 bar. Pour y parvenir, l'utilisation de réservoirs cryogéniques s'impose.

« Liquéfier de l'hydrogène est très compliqué. Il faut atteindre une température très proche du zéro absolu, de -253 degrés. Et les difficultés grandissent fortement lorsqu'on bascule vers le très froid. A côté, liquéfier du gaz naturel, en descendant à -160 degrés, est assez facile », explique Cédric Philibert, analyste de l'énergie et du climat, associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Le transport maritime de l'hydrogène liquide, une solution « antiéconomique »

L'expert estime par ailleurs qu'une telle opération est « absolument antiéconomique ». « Les réservoirs sphériques pouvant accueillir de l'hydrogène liquide coûtent extrêmement chers », explique-t-il. Un premier navire doté d'un tel réservoir a déjà navigué dans la mer du Japon (selon le Japon) ou mer de l'Est (selon la Corée). Mais sa capacité est encore très limitée avec seulement 75 tonnes d'hydrogène liquide à bord. Car même à l'état liquide, sa densité énergétique est moindre que celle du pétrole.

« A côté, un pétrolier peut transporter 300.000 tonnes de pétrole. C'est sans commune mesure. Il faudrait un nombre infini de bateaux pour transporter de l'hydrogène liquide », développe-t-il. « Il faudrait multiplier les capacités des réservoirs par 100 pour que cela devienne compétitif », abonde Pierre-Etienne Franc, fondateur de d'Hy24 et ancien directeur de l'activité mondiale hydrogène énergie d'Air Liquide.

Selon Cédric Philibert, l'alternative réside dans le transport d'hydrogène incorporé dans des produits semi-transformés, comme de l'ammoniac vert, du méthanol, du kérosène de synthèse et de l'acier vert. Plutôt que de transporter par navire de l'hydrogène sous forme liquide, il serait plus pertinent que les pays disposant d'importantes capacités de production d'hydrogène vert, fabriquent de l'ammoniac ou réduisent directement le minerai de fer grâce à cette molécule, et exportent ensuite ces produits semi-transformés. « Transporter de l'ammoniac ce n'est pas nouveau. On transporte déjà par bateau 10 millions de tonnes par an, dans les mêmes bateaux que le gaz de pétrole liquéfié. Il ne faut descendre qu'à -33 degrés. On pourrait ainsi utiliser les méthaniers. Le minerai de fer peut, lui, se transporter sous forme de briquettes chaudes », explique Cédric Philibert.

Privilégier l'hydrogène incorporé dans des produits semi-transformés

« Dans les pays qui pourraient devenir exportateurs, la vente de carburants dérivés serait le moyen de développer une activité économique basée sur leur avantage comparatif en termes de disponibilité des ressources », relèvent Ines Bouacida et Nicolas Berghmans, dans une étude de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Idri). La Namibie et l'Arabie Saoudite se préparent ainsi déjà à exporter de l'ammoniac.

En revanche, sur des distances moins longues, de l'ordre d'un millier de kilomètres, l'importation d'hydrogène pur par pipeline pourrait se révéler intéressante selon plusieurs études économiques, d'autant plus si les canalisations initialement dédiées au gaz naturel sont modernisées pour accueillir de l'hydrogène. « En Europe, les plaines à fort potentiel éolien de l'Est, l'éolien offshore au Nord ou le solaire dans le sud, en complément d'un parc nucléaire compétitif, qui est évidemment également une source de production en base d'hydrogène décarboné, présentent un bon potentiel d'exportation d'hydrogène par gazoduc », estime ainsi Pierre-Etienne Franc d'Hy24.

Cédric Philibert tempère néanmoins l'importance de ces importations terrestres à venir. « Je pense qu'on surestime considérablement nos besoins en hydrogène vert. L'hydrogène vert sera utile pour décarboner l'industrie, notamment la sidérurgie et la chimie, et le transport maritime et aérien, mais pas pour le transport terrestre où l'hydrogène est beaucoup moins efficace que les systèmes par batterie », avance-t-il. Selon lui, le gros inconvénient réside dans la faible efficacité énergétique du cycle de l'hydrogène, tandis que les innovations autour des batteries devraient considérablement se développer. « Aujourd'hui, avec la même électricité de départ, un véhicule électrique à batterie parcourt trois fois plus de kilomètres qu'un véhicule à hydrogène », souligne-t-il.

La stratégie européenne, elle, mise pourtant largement sur l'importation de la molécule. Le plan RepowerEU, présenté par Bruxelles au printemps dernier pour se défaire au plus vite des combustibles fossiles russes, table sur 10 millions de tonnes d'hydrogène vert produit localement, mais aussi sur 10 millions de tonnes d'hydrogène importées à l'horizon 2030.

Développer une « souveraineté d'accès » grâce à l'hydrogène

Pour l'Union européenne, cette ouverture aux importations d'hydrogène pose toutefois la question de l'impact de cette mesure sur son degré d'autonomie énergétique avec le risque de créer de nouvelles dépendances pour des secteurs industriels clés, pointe l'Iddri.

« Importer des énergies renouvelables sous forme d'hydrogène n'est pas synonyme de perte de souveraineté. Au contraire, c'est développer une souveraineté d'accès. Il ne s'agit pas de se tourner vers 2 ou 3 pays producteurs d'énergies renouvelables, mais vers une multitude de pays et une diversité de formes : hydrogène par canalisation pour les accès continentaux ou méditerranéens, ou encore ammoniac et méthanol par voie maritime », répond Pierre-Etienne Franc. « Si demain nous n'avons pas accès à de l'énergie compétitive, cela constitue une menace pour la réindustrialisation du territoire. Depuis quelques semaines, un tiers des capacités de fabrication d'ammoniac ont fermé en Europe car l'énergie coûte trop cher », rappelle Pierre-Etienne Franc.

« Les énergies renouvelables vont devoir se déplacer et l'hydrogène et ses dérivés constituent le meilleur vecteur », défend-t-il, en s'appuyant sur la dernière publication du conseil de l'hydrogène, lobby du secteur regroupant 150 multinationales. Le rapport estime que sur les 660 millions de tonnes d'hydrogène nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050, quelque 400 millions de tonnes d'hydrogène devront être transportées sur de longues distances. Ainsi, entre 200 et 300 millions de tonnes d'hydrogène vert seront utilisées comme vecteur de transport d'énergie renouvelable d'un continent à un autre. Selon cette publication, le commerce international de l'hydrogène peut réduire de 6.000 milliards de dollars le coût de la transition énergétique.

Eviter une bombe climatique

Reste que l'importation et l'exportation d'hydrogène sur de longues distances ne peuvent contribuer à l'Accord de Paris que si leurs émissions de CO2 sont strictement contrôlées. « Il serait contre-productif d'importer de l'hydrogène hautement carboné, gris ou bleu avec des taux de captage faible ou de méthane dont les émissions en amont sont élevées, ou par électrolyse à partir d'électricité très carbonée », relève ainsi l'Iddri.

Or, il y a un mois, les eurodéputés ont carrément supprimé les règles de certification environnementales auxquelles devait être soumis l'hydrogène importé, et ce malgré le risque de concurrence déloyale« L'hydrogène est indispensable pour aller vers la neutralité carbone. Il fait partie des éléments de la solution. Mais pour cela, il doit être vraiment bas carbone. Sinon, il devient un élément du problème », avertit Bertrand Charmaison, directeur d'I-Tésé, l'institut de recherche et d'études en économie de l'énergie du CEA. Si la Commission et le Conseil européen ne corrigent pas le tir lors des trilogues, le risque est donc de créer une bombe climatique.

Un dernier point de vigilance concerne les enjeux de répartition des ressources énergétiques. « Certains pays envisagés pour la production d'hydrogène par électrolyse qui ont des systèmes électriques très carbonés, comme le Maroc ou l'Algérie, pourraient avoir un accès à l'énergie limité pour une partie de leur population », prévient ainsi l'Iddri. Autrement dit, il faut s'assurer que les exportations d'hydrogène et de ses dérivés ne détournent pas des ressources en électricité renouvelable ou nucléaire nécessaires à la décarbonation du système énergétique et à l'accès à l'énergie à tous dans ces pays.

Juliette Raynal

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Commentaires 21
à écrit le 26/11/2022 à 18:30
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Je ne suis pas un scientifique mais une idée. Ne serait il pas possible de faire "travailler" des bactéries sur des matières organiques pour obtenir de l'hydrogène vraiment vert sans consommer trop d'énergie. De toute façon la recherche doit découvri...

à écrit le 26/11/2022 à 18:27
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Je ne suis pas un scientifique mais une idée. Ne serait il pas possible de faire "travailler" des bactéries sur des matières organiques pour obtenir de l'hydrogène vraiment vert sans consommer trop d'énergie.

à écrit le 22/10/2022 à 22:16
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La dernière remarque est fondamentale. En voulant "aspirer" les ressources en énergie verte (solaire essentiellement) des pays d'Afrique, pour sauver son économie et son objectif de "net zero", l'UE pourrait empêcher les pays pauvres du Maghreb de r...

à écrit le 22/10/2022 à 22:08
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"La stratégie européenne, elle, mise pourtant largement sur l'importation de la molécule." C'est tout le problème. Le plan de l'UE (RepowerEu) proposé par Bruxelles est en fait dicté par l'Allemagne, et la France en a un autre, très différent et ne...

à écrit le 20/10/2022 à 16:29
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Hélas, le nucléaire de type EPR n'est absolument pas adapté à la production d'hydrogène. On nous l'a ressassé : les centrales à eau légère sont PILOTABLES. C'est bien le problème. On suit la demande pour stabiliser le prix alors que les renouvelabl...

le 22/10/2022 à 21:53
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Merci pour ce moment... de franche rigolade ! Vous semblez en effet bien maîtriser bien le sujet... au café du commerce !

à écrit le 20/10/2022 à 8:17
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Si le débat fait rage, autant le trancher rapidement. Notre dépendance énergétique vis-a-vis de l’étranger a sérieusement détérioré nos conditions de vie. Autant y mettre un terme une bonne fois pour toute. On ne peut quand même que constater l’avili...

à écrit le 20/10/2022 à 2:42
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Hydrogene me parait plus prometteur sur le long terme malgré de nombreux écueils techniques. De plus l'univers en regorge et avec nos prétentions de conquérir le vide intersidéral mieux vaut trouver de l'énergie sur place que de transporter des batte...

à écrit le 19/10/2022 à 21:04
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L'Hydrogène n'est plus vert , le parlement européen vient de voter l'autorisation d'utiliser le charbon pour développer cette filière.

à écrit le 19/10/2022 à 18:56
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Bonjour, bon pour l'hydrogène, la France a les moyens de le produire localement ( en France) . Car si nous l'importons , ils est faut probable que cela soit réalisé avec du charbon très polluants... Bien sûr ils ne faut pas le dire...

à écrit le 19/10/2022 à 16:54
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MidCat est le projet européen le plus crucial de ce demi siècle. Paris sous estime immensément son importance et, malheureusement, les conséquences géopolitiques en persistant à le bloquer. Personne ne comprend la position de Paris qui oscille sans c...

le 19/10/2022 à 19:36
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Sur le gaz cette infrastructure ne sert à rien, il arrivera trop tard tout en coûtant trop cher. Pour l'hydrogène il pourrait servir à transporter avec des rendements ridicules celui produit en Afrique. Il faudra donc que des pays africains produis...

à écrit le 19/10/2022 à 16:18
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Une fois de plus, les allemands veulent empêcher la France d'exister. Ils font voter au parlement européen le fait que l'hydrogène soit considéré comme vert même s'il est produit à partir de gaz ou de charbon mais il refuse catégoriquement que l'hydr...

à écrit le 19/10/2022 à 15:07
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Les Allemands qui expliquent qu'il n'y a aucun problème à dépendre de l'étranger pour l'hydrogène semblent n'avoir retenu aucune leçon de leurs déboires récents avec le gaz.

à écrit le 19/10/2022 à 15:00
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"le transport d'hydrogène renouvelable rencontre un certain nombre d'écueils technique, économique ou encore climatique" ou géopolitique, comme gaz et pétrole. La Tribune (Reuters), 16/02/21 : " Allemagne et Russie renforcent leur alliance avec un p...

à écrit le 19/10/2022 à 14:59
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Dans Nordstream 2 il ne devait pas y avoir de l'hydrogène (vert) venu de Russie, un jour ? On importe bien d'Australie de quoi faire du carburant végétal pour le diesel (bioesters), donc pas vert vu le bilan de transport, pourquoi ne pas importer l'...

à écrit le 19/10/2022 à 14:20
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Si on l'importe il n'est plus vert. Si le pays exportateur ne produit pas 100% d'énergie renouvelable (et 0% de fossile) en important son hydrogène "vert" on ne fait que l'inciter à consommer plus de non-renouvelable à notre place et en plus de faç...

à écrit le 19/10/2022 à 13:30
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Transportez-la par ballon dirigeable ! ;-)

le 19/10/2022 à 13:52
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importer est la doctrine de l'ancienne E N A te de sa remplacente ideal quand ont est au pouvoir pour sortir des capitaux en toute legalité mais que la base des peuples sont contraint a des reductions de bien vivre ce qui est le cas en ce moment ...

le 19/10/2022 à 14:28
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@ Bref oui ..oui dans des "Hindenbourg "🤣

le 19/10/2022 à 15:05
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ça éviterait de le liquéfier pour tenir moins de place. Il en faudrait beaucoup, des ballons. On pourrait même transporter des gens, avec, et remplacer l'avion. :-) Interdit de fumer à bord (en Suède y a un port comme ça, quand on va prendre le fer...

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