Alors que le pays pourrait manquer d'énergie l'hiver prochain, toute économie est bonne à prendre. En particulier la nuit. Le 24 juillet la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait annoncé dans le Journal du Dimanche deux décrets, l'un concernant l'interdiction de maintenir les portes ouvertes dans les commerces lorsqu'ils diffusent de la climatisation ou du chauffage, et l'autre contre la publicité lumineuse.
Celui-ci entend « généraliser l'interdiction des publicités lumineuses quelle que soit la taille de la ville entre 1h et 6h du matin, sauf rares exceptions comme les gares et les aéroports », avait assuré la ministre le mois dernier. Il « vise à harmoniser les règles d'extinction des publicités lumineuses, que la commune soit couverte ou non par un règlement local de publicité », a complété le ministère, indiquant que « les contours seront précisés » lors de la publication du décret. Elle devait avoir lieu "dans les prochains jours" après les propos de la ministre en juillet, mais le ministère a finalement annoncé, lundi, que les deux textes seraient prêts d'ici « la fin de l'été », soit d'ici le 21 septembre.
"Aucune évolution"
Ce décret a toutefois des airs de déjà vu. Car l'obligation est déjà en vigueur depuis... 2012. Un décret de l'époque stipule que « les publicités lumineuses devront être éteintes la nuit, entre une heure et six heures du matin, sauf pour les aéroports et les unités urbaines de plus de 800.000 habitants, pour lesquelles les maires édicteront les règles applicables. Les enseignes lumineuses suivront les mêmes règles ». Or, il est peu appliqué, dénonce l'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN) qui milite depuis vingt ans contre la pollution lumineuse. « Il faut qu'il y ait des contrôles et des sanctions » pour les enseignes et publicités lumineuses qui ne respectent toujours pas le décret depuis dix ans, plaide Anne-Marie Ducroux, porte-parole de l'association. Au-delà, l'ANPCEN s'étonne que, depuis le premier texte en 2012, « aucun chiffre sur les économies d'énergie réalisées grâce à cette mesure n'ait été communiqué, qu'aucun suivi n'ait été réalisé ». Seuls changements néanmoins dans le texte à venir : toutes les villes, quelle que soit leur taille, seront concernées et les contrevenants s'exposeront à une amende de 5e classe pouvant aller jusqu'à 1.500 euros par publicité ou par enseigne non-éteinte, selon le ministère de la Transition énergétique, contre 750 euros actuellement.
L'association regrette également que le nouveau texte ne soit pas plus ambitieux que le premier, vieux de dix ans. « Si les déclarations de la ministre seraient à clarifier, ce que l'on sait, c'est qu'elle ne va pas changer les horaires. C'est un nouveau texte réglementaire, mais qui n'apporte aucune évolution », déplore Anne-Marie Ducroux qui plaide au moins pour « une extinction dès la fin d'activité ou à 22 heures au lieu d'une heure du matin ».
Des bienfaits pour les être humains, la biodiversité et le porte-monnaie
Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), il est difficile de quantifier l'économie qui sera réalisée par cette mesure, indiquant ne pas avoir de chiffres à ce sujet. Elle met toutefois en avant les bénéfices qui en découleront, notamment pour la biodiversité. « La publicité lumineuse, la nuit, attire les insectes. C'est d'autant plus problématique lorsque cela se produit dans des zones où l'éclairage public est éteint la nuit », explique Bruno Lafitte, expert éclairage et data center pour l'Ademe, qui met également en avant le gain pour les habitants de ne plus subir de pollution lumineuse pendant la nuit.
L'ANPCEN défend, elle aussi, « une approche plus globale qui permettrait de réduire l'impact sur le vivant, tant pour les êtres humains que la biodiversité, l'impact budgétaire et énergétique et l'impact climatique ». Mais, pour y parvenir, le décret semble encore insuffisant. « Pourquoi ne pas inclure des mesures de sobriété pour l'éclairage public, les chantiers éclairés la nuit, les parkings ou encore les parcs et jardins. Il faut s'attaquer à toutes les sources, si l'on veut vraiment un plan de sobriété énergétique et lumineux ambitieux », plaide la porte-parole de l'association.
Une prise de conscience dans les communes et parmi la population
D'autant que, du côté des habitants, les mesures en faveur d'une réduction de l'éclairage la nuit ont fait leur chemin. Ainsi, selon un sondage OpinionWay pour l'APCEN réalisé en 2018, 79% des Français se disaient favorables à la réduction de la durée d'éclairement des éclairages publics en milieu de nuit (hors événements particuliers et fêtes de fin d'année), contre seulement 48% en 2012. 82% étaient également favorables à la réduction de durée d'éclairement pour les éclairages privés. Un sentiment renforcé par les confinements successifs ces deux dernières années, assure Anne-Marie Ducroux : « Les confinements ont fait prendre conscience aux gens qu'il était aberrant de voir des rues éclairées alors que personne n'avait le droit de sortir de chez soi ».
Même au sein des communes, l'APCEN, qui mène un travail de terrain pour sensibiliser les collectivités locales à la question de la sobriété lumineuse, constate une prise de conscience associée à des mesures concrètes. L'association a créé en 2009 un concours permettant d'obtenir le label national Villes et Villages Étoilés. Actuellement, 722 communes sont labellisées de 1 à 5 étoiles, signifiant qu'elles ont opté pour une extinction complète ou partielle de l'éclairage public, aucune mise en lumière du patrimoine naturel ou encore une non-utilisation de la lumière blanche néfaste pour l'environnement... Et selon l'ANPCEN, les villes labellisées éclairent 34 % de moins que la moyenne nationale.
« En matière d'économie d'énergie, la première chose que veulent faire les maires c'est souvent de jouer sur l'éclairage public, confirme Bruno Lafitte. D'autant que cela touche tout le monde et que cela se voit tout de suite, en particulier financièrement. » Si l'expert de l'Ademe reconnaît que le précédent décret concernant la publicité lumineuse n'est pas assez appliqué, il préfère « mettre l'accent sur la prise de conscience et la pression de la part de la population » et « le gros effort pédagogique à faire ». « Quand on était en 2012, c'était à ce moment-là qu'il fallait faire de la pédagogie, pas dix ans plus tard », souffle, de son côté, Anne-Marie Ducroux.
(Avec AFP)
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