Nucléaire : Ségolène Royal renie-t-elle sa loi de transition énergétique ?

L’annonce faite dimanche par la ministre de l’Écologie qui s'est dite "prête à donner (le) feu vert" au prolongement de dix ans de la durée de vie des centrales nucléaires françaises a ému les écologistes. Ils y voient un renoncement à l’un des piliers de la loi de transition énergétique : l’abaissement de la part du nucléaire à 50% du mix électrique en 2025. Cette conclusion résulte d’un raccourci un peu rapide, mais seule la publication très attendue de la programmation pluriannuelle de l'énergie pourrait apaiser les inquiétudes sur le sujet.
Dominique Pialot
Fessenheim, est en fonctionnement depuis 1977.

L'annonce de la ministre ne fait que confirmer les propos de Jean-Bernard Lévy une dizaine de jours plus tôt. Le PDG de EDF avait en effet évoqué lors de la présentation de ses résultats le 16 février dernier l'accord de l'État « pour que nous modernisions le parc actuel de façon à ce que la durée de vie qui a été conçue pour quarante ans, nous la montions à cinquante et soixante ans, sous réserve que la sécurité nucléaire soit garantie ».

Soit précisément ce qu'a indiqué Ségolène Royal dimanche dans le 12/13 de France 3, non sans y ajouter deux précisions : cette prolongation doit permettre de produire une électricité moins onéreuse par des équipements déjà amortis et s'inscrit « dans le contexte de la baisse de la part du nucléaire de 75 à 50% dans la production d'électricité pour monter en puissance sur le renouvelable ». Ces deux points font débat.

Réacteurs... en fermer ou pas

Concernant le coût de production de l'électricité, la Cour des comptes, qui dans son rapport annuel publié le 10 février, estime à quelque 1,7 milliard d'euros par réacteur les investissements nécessaires à la rénovation des équipements baptisée « grand carénage », évalue le MWh du parc rénové  entre 63 et 70 euros. Soit plus que le coût actuel du parc amorti, mais nettement moins que celui de l'EPR, attendu aux alentours de 110 ou 120 euros.

Concernant la durée de vie des centrales (dont la plus vieille, Fessenheim, est en fonctionnement depuis 1977), la limite des 40 ans n'est nulle part gravée dans le marbre. En revanche, comme l'a rappelé la ministre elle-même, seule l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a la possibilité d'en autoriser le fonctionnement au-delà. Mais rien ne l'empêche (elle ou le Président de la République), de prendre la décision politique de fermer un certain nombre de réacteurs pour respecter les objectifs de la loi.

Sur ce point, les avis divergent fortement : alors que dans son rapport la Cour des comptes avait estimé que le passage à 50% du mix électrique en 2025 devait conduire EDF à fermer 17 à 20 de ses 58 réacteurs français dans l'hypothèse d'une consommation constante, selon les projets de EDF rappelés par son PDG mi-février « il n'y a pas [de] fermeture [de centrale] prévue dans les dix ans à venir » en dehors de celle de deux réacteurs destinée à compenser l'entrée en service de l'EPR de Flamanville attendue en 2018. Seule une augmentation significative de la consommation permettrait à l'électricien de maintenir sa capacité de production actuelle sans contrevenir à la loi.  Or celle-ci stagne depuis plusieurs années, et malgré les transferts d'usage prévus (dont le principal concerne le développement de la voiture électrique), elle ne devrait pas évoluer de plus ou moins 0,16% par an selon les prévisions de RTE.

En outre, la loi de transition énergétique a vocation à développer les énergies renouvelables, domaine dans lequel la France accuse un retard par rapport à ses objectifs de 23% en 2020 et 32% en 2030.

Surtout, la loi de transition énergétique prévoit de diviser la consommation d'énergie par deux d'ici à 2050 (soit une diminution de 20% en 2030 et environ 15% en 2025), et même si les énergies fossiles devraient être les premières concernées, cela devrait aussi affecter l'électricité.

Que ce soit pour des raisons techniques ou financières, l'export n'est pas une solution pour absorber une éventuelle surcapacité. Les interconnexions qui permettraient d'en accroître la part au-delà des 20% actuels impliquent d'importants investissements, à l'instar des 700 millions d'euros consentis pour la liaison avec l'Espagne inaugurée en 2014. Surtout, cela ne ferait qu'aggraver la situation de surcapacité de production qui affecte aujourd'hui l'ensemble de l'Europe de l'Ouest et entraîne les prix bas dont souffrent les opérateurs, à commencer par EDF.

Des options insuffisamment chiffrées

Au-delà des autorisations réglementaires et des décisions politiques, les différentes options ne représentent pas le même coût pour l'opérateur, son principal actionnaire l'État (à 84%), et donc le contribuable. Prolonger la durée de vie des centrales s'accompagne d'investissements chiffrés par EDF à 55 milliards d'euros sur 10 ans, et à 100 milliards d'euros sur 15 ans par la Cour des comptes. En fermer une vingtaine génèrerait des économies de maintenance estimées entre 25 et 35 milliards, mais s'accompagnerait de frais de démantèlement qui n'ont pour l'heure pas été précisément calculés. Selon un rapport de la Commission européenne sur le nucléaire européen, si la Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont respectivement provisionné 100 % et 94 % des frais et l'Allemagne 83%, la France aurait un taux de couverture de ces frais de démantèlement de 31%, seulement.

Dans le chapitre de son rapport consacré à la maintenance des centrales nucléaires, la Cour des comptes constate qu' « aucune évaluation n'a encore été réalisée, ni par l'État ni par EDF, sur les conséquences économiques potentielles » d'un passage à 50% de nucléaire dans le mix électrique français. Elle a d'ailleurs demandé à l'État d'évaluer l'impact économique, social et environnemental de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Ce texte très attendu a vocation à transcrire concrètement les objectifs de la loi, en fixant des trajectoires d'évolution de la consommation et de la production d'énergie par filière (nucléaire, énergies renouvelables, gaz, etc.) pour 2018 et 2023, puis à cinq et dix ans. Si Ségolène Royal a annoncé mi-novembre des objectifs concernant les différentes énergies renouvelables, la publication de la PPE complète n'en finit pas d'être reportée. D'abord prévue avant la fin de l'année 2015, elle a été annoncée par la ministre pour fin février...

D'ici là, la distillation d'annonces parcellaires telles que celle de ce week-end ne fait qu'accroître la tension sur le sujet du nucléaire, même s'il y a peu de chances que les promoteurs français des énergies renouvelables aillent jusqu'à imiter les coopératives belges, néerlandaises et luxembourgeoises du secteur qui, dénonçant une aide d'État illégale, ont formellement déposé plainte ce lundi auprès de la Commission européenne contre la prolongation des centrales nucléaires belges de Doel et Tihange.

Dominique Pialot

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Commentaires 37
à écrit le 13/03/2016 à 19:48
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Il manque à ces explications un point fondamental, qui justifie la prudence du gouvernement : en cas d'arrêt prématuré de centrales nucléaires, même pour respecter la réduction de 75% à 50% prévue par la loi, le Conseil Constitutionnel qui a analysé ...

à écrit le 03/03/2016 à 8:51
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Sous l'angle politique, cette loi est un leurre, d'abord parce qu'elle sera abrogée ou fortement remaniée par le prochain gouvernement de 2017. Et aussi parce qu'elle confond les objectifs (limiter le réchauffement de la planète) et les moyens, quan...

à écrit le 02/03/2016 à 19:15
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elle a bien renié les droits de l'homme , en trouvant la justice chinoise efficace ...alors , elle n'est pas à celà près !

à écrit le 02/03/2016 à 10:12
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Ce n'est pas 60 ans mais 80 ans qui sont visés a terme, en suivant avec attention le vieillissement des plus vielles installations PWR du monde, EDF et l'ASN y veilleront. Parlons des couts immédiats ,6Mds d'Euros par an pour les énergie renouvelabl...

le 02/03/2016 à 11:08
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Je doute qu'on aille au delà des 60 ans car le Corps des Mines en général et l'ASN, l'Andra en particulier sont tétanisés par le discours incapacitant des verts. Ils imposent de plus en plus de contraintes à une industrie qui traverse une mauvaise pa...

à écrit le 02/03/2016 à 9:27
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lire : ..." recuperer les energies ...generées par ...Segolene & Hollande ..."

à écrit le 02/03/2016 à 9:25
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mais , a t on encore besoin du nuclèaire ? ne peut on pas recuperer de Segolène qui joue les éolienne , et Hollande qui godille à tout va ...?

à écrit le 01/03/2016 à 18:54
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Le déni de réalité trouve sa fin.. l'argent est toujours le nerf de la guerre, et les problèmes d'EDF dont le cours de bourse n'en finit pas de tomber (divisé par 2 en un an), tout comme le cours d'Areva aussi d'ailleurs, ramènent les participations...

à écrit le 01/03/2016 à 15:11
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Décision courageuse de Mme Royal. Maintenant, il reste encore 2 choses à faire : - augmenter le prix de l'électricité pour prendre en compte les besoins du grand carénage et de construction de nouveaux réacteurs, - arrêter de ponctionner les bénéf...

à écrit le 01/03/2016 à 14:41
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Royal, l'archétype de la blabladeuse de service prête à dire tout et n'importe quoi pour exister, (Il n'y a qu'a voir le trou laissé dans son ancienne région). Ce ramassis de parasites passent sont temps dans les médias pour faire le buzz sur tous le...

le 01/03/2016 à 19:17
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Certes, Royal, c'est triste. Mais là, ce serait n'importe qui d'autre, ça ne changerait pas le problème. Peut-être faut-il faire le parallèle avec une voiture : elle finit par coûter une FORTUNE (royale) en entretien, même si elle est amortie. Et 1,7...

à écrit le 01/03/2016 à 13:55
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Bravo a l'auteur, enfin un article un peu complet. Quelques precisions : cette annonce intervient une semaine apres que Sego aie refusé une augmentation de tarif imploré par EDF, ca sent le deal : je t'augmente ta duree (qu'importe la securite) et t...

le 01/03/2016 à 16:00
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Les centrales type Fessenheim sont plus sûres maintenant qu'à leur mise en service du fait des modifications et du rajout d'équipements de sûreté. Et contrairement au PV ou à l'éolien, ces centrales nucléaires peuvent produire sans vent et sans s...

le 13/03/2016 à 19:55
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Je me permets de vous signaler une erreur importante de compréhension : - les énergies éoliennes et solaire PV produisent de l'électricité de manière aléatoire, au gré de la météo. Pour qu'on puisse s'en servir à satisfaire la demande, il faudrait ...

à écrit le 01/03/2016 à 12:47
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LES CENTRALES ON ETE PREVUES POUR 40ANS IL FAUT RESPECTEZ CES NORMES? ET ACTIVEZ LES NOUVELLES ENERGIES CAR LE NUCLEAIRE RESTE DANGEREUX? ET LE DEMENTELLEMENT COUTERAS TOUJOURS MOINS CHER QU UN ACCIDENT NUCLEAIRE EN FRANCE???

à écrit le 01/03/2016 à 11:55
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Pourquoi toujours agiter le spectre du coût de démantèlement des réacteurs toujours présenté comme non chiffré ? On nous sort toujours l'exemple du réacteur de Brennilis, d'un type très particulier (en aucune façon comparable à un PWR qui constitue l...

le 01/03/2016 à 13:21
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Passons sur les coûts de démantèlement. Les anglais estiment le coût à 3 milliard/réacteur, les allemands à 800 millions, les Suisses à 5 milliard/réacteur... Les USA ne sont pas un bon exemple en matière de sécurité technologique, la transposition e...

le 01/03/2016 à 16:14
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@ Pourquoi 20 ? : En prolongeant un parc de 63GW pendant en moyenne 30 ans, on va lui faire produire environ 13000TWh de plus (à 80% de taux de production). À 30€/MWh (valeur basse), ça nous fait environ 400 milliards d'euros de chiffre d'affaire ...

le 01/03/2016 à 16:14
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@ Pourquoi 20 ? : En prolongeant un parc de 63GW pendant en moyenne 30 ans, on va lui faire produire environ 13000TWh de plus (à 80% de taux de production). À 30€/MWh (valeur basse), ça nous fait environ 400 milliards d'euros de chiffre d'affaire ...

le 01/03/2016 à 20:02
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@Pourquoi20 : en même temps le CA annuel d'EDF est de plus de 70 milliards par an, près de 1000 milliards sur 15 ans. CA qui devrait dailleurs augmenter avec les 2 EPR britanniques.

à écrit le 01/03/2016 à 11:52
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La France n'a pas besoin de produire de l'électricité renouvelable. En France, le responsable de la facture énergétique, c'est le pétrole. Le premier responsable des émissions de CO2, c'est le pétrole. Or, le pétrole en France n'est plus utili...

le 01/03/2016 à 14:01
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Et mon Kangoo EV a fait 88 000 km en 4 ans avec de l'electricite solaire, donc votre argument ne tient pas.

le 01/03/2016 à 16:18
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Si tout le monde se met à acheter des Kangoo électriques, c'est que la conso française d'électricité va augmenter. Se précipiter pour fermer des centrales nucléaires en parfait état de marche serait donc bien la dernière des sottises à faire...

le 01/03/2016 à 16:18
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Si tout le monde se met à acheter des Kangoo électriques, c'est que la conso française d'électricité va augmenter. Se précipiter pour fermer des centrales nucléaires en parfait état de marche serait donc bien la dernière des sottises à faire...

à écrit le 01/03/2016 à 11:52
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Bref il va falloir passer a la caisse C'est normal qu'a force d'investissements ratés à l'internationnal, d'avantages salariaux prohibitifs et de décision politiques anti business, il faille a la fin payer Le gouvernement cherche juste a gagner...

à écrit le 01/03/2016 à 11:36
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Ce n'est pas, contrairement a ce que l'on croit, des décisions franco-française dont la planification serait aléatoire mais bien notre perte de souveraineté!

à écrit le 01/03/2016 à 10:54
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"mais s'accompagnerait de frais de démantèlement qui n'ont pour l'heure pas été précisément calculés." normalement, c'est intégré à la facture d'électricité depuis des lustres, du moins censé être, mais le client étant "captif", les réajustements se ...

le 01/03/2016 à 12:02
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On sait ce que coûte un démantèlement puisqu'il y en a déjà eu un aux USA pour une centrale totalement semblable aux nôtres. https://fr.wikipedia.org/wiki/Centrale_nucl%C3%A9aire_de_Maine_Yankee Et encore, il est surestimé puisqu'on ne construira p...

à écrit le 01/03/2016 à 10:41
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L'énergie concerne plusieurs domaines: l'écologie, la technique, ( les deux pouvant être liées), la géopolitique, l'économie. Il faut raisonner de manière à satisfaire chaque domaine.

à écrit le 01/03/2016 à 10:41
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C'est une femme politique non ? Je pense que cela suffit largement à répondre à votre légitime question.

à écrit le 01/03/2016 à 10:11
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Il faut revoir notre politique en matière d'énergie. L'énergie remplace le travail en assurant des gains de productivité. L'énergie doit être associée au travail pour financer les charges sociales. Cela consiste à basculer la fiscalité du travail sur...

le 01/03/2016 à 11:45
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Je crains que vous retardiez d'une guerre. Le temps n'est plus forcément à l'utilisation extensive de l'énergie pour gagner en productivité. C'est plutôt la connaissance, le big data par exemple, qui permet de le faire. L'échange de données sera le m...

le 01/03/2016 à 16:56
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Que feriez-vous sans énergie? L'informatique doit être considérée comme un outil.

le 01/03/2016 à 19:15
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L'économie dépend de la démographie, du capital humain et de l'efficacité énergétique. Il y a toujours une relation avec l'énergie, le savoir et l'outillage.

le 02/03/2016 à 9:23
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@Gépé : les progrès en cours et à venir de l'informatique c'est justement, plus tellement d'accroître les capacités de traitement et de stockage, mais plutôt de réduire les consommations. Un prélèvement uniquement basé sur l'énergie est condamné à v...

le 02/03/2016 à 13:44
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@bruno. Effectivement, les prélèvements doivent concerner la consommation, ce qui permet de réduire les prélèvements sur la production. C'est le sens de la réforme fiscale proposée par Coe-Rexecode. Piketty semble s'orienter vers cette alternative.

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