Les industriels du secteur peuvent souffler : dix ans après l'accident de Fukushima, l'atome revient en force. Y compris en France, où, malgré la fermeture de la centrale de Fessenheim, Emmanuel Macron a récemment officialisé son souhait de construire de nouveaux réacteurs. Mais le mouvement ne concerne pas que l'Hexagone : en plus des ambitions chinoises en la matière, la fission suscite l'intérêt de divers pays, comme l'Inde, la Pologne ou encore la République Tchèque. Signe de ce retour en grâce, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a même relevé ses projections cette année, pour la première fois depuis 2011, prévoyant jusqu'à un doublement de la puissance installée d'ici à 2050.
Et pour cause, de nombreux Etats espèrent y gagner en souveraineté énergétique, à l'heure d'une transition obligée des modèles. Surtout, plusieurs d'entre eux comptent sur cette technologie pour répondre aux exigences de décarbonation de l'économie. En effet, les énergies fossiles polluantes (charbon, pétrole, gaz) comptent encore pour plus de 80% du mix mondial, tandis que la production d'électricité d'origine nucléaire, elle, présente l'avantage d'émettre peu de gaz à effet de serre.
Sans surprise, la question agite la sphère bruxelloise : depuis plusieurs mois, la Commission européenne planche sur l'inclusion ou non de l'atome dans sa « taxonomie verte », une classification des activités jugées bénéfiques pour l'environnement. A l'ouverture du « World nuclear exhibition » (WNE), le plus grand salon mondial du nucléaire qui s'est tenu de mardi à jeudi à Villepinte, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a ainsi promis qu'il serait inclus à cette précieuse liste « dans les jours qui viennent ». De quoi débloquer de nombreux financements de la part d'investisseurs, désireux de miser sur les technologies du futur.
EDF défend les atouts du nucléaire pour le climat
Et de quoi, par là-même, relancer le fleuron français EDF, alors que son PDG, Jean-Bernard Levy, s'était inquiété en début d'année de voir le groupe « relégué en deuxième division ». Et pour cause, durement touché par la crise sanitaire et handicapé par les déboires du chantier de l'EPR de Flamanville et surtout, selon lui, par l'ARENH, celui-ci essuie une dette de plus de 40 milliards d'euros.
Alors, au WNE, EDF a su tisser un réseau de partenariats juteux. Et signer plusieurs accords de coopération industrielle impliquant des partenaires tchèques, polonais, indiens et saoudiens, pour « assurer la réussite des futurs projets EPR en Europe et dans le monde ». Et ce, en travaillant activement à la promotion du nucléaire, « parmi les principales solutions qui permettent de lutter contre le changement climatique et de garantir la neutralité carbone dans les décennies à venir », « pour le bien de tous » et « pour garantir la création de valeur socio-économique », fait valoir le groupe. Une communication bien rodée.
« EDF est fortement mobilisé pour faire en sorte que le mouvement soit en marche. Et ainsi développer les projets d'export de la technologie française, définir les spécifications et requis des technologies qu'on souhaite exporter, et porter la stratégie du groupe dans l'accompagnement de la transition énergétique mondiale », précise à La Tribune Vakis Ramany, directeur du développement nouveau nucléaire à l'international pour EDF.
Succession d'accords de coopération
Ainsi, EDF a notamment conclu une dizaine d'accords avec des entreprises de l'industrie nucléaire tchèque, en vue de son projet potentiel d'EPR1200 à Dukovany, au sud du pays, qui devra atteindre une puissance d'1,2 GW. Une première étape vers la « concrétisation d'un projet européen appuyé par une chaîne d'approvisionnement tchèque et européenne qualifiée », avance le groupe.
« La signature intervient en amont d'un appel d'offres que l'on attend de la part du prochain gouvernement. Ainsi, nous avons déjà réuni l'ensemble des éléments pour y répondre, et soutenir l'offre française, en s'appuyant sur la supply chain locale pour la construction, le montage et la fourniture d'équipements standards », développe Vakis Ramany.
En outre, l'entreprise tricolore a signé au WNE cinq accords de coopération avec plusieurs grandes sociétés polonaises, après avoir remis mi-octobre une offre pour la construction de 4 à 6 EPR dans le pays. Et a annoncé étendre un accord de coopération avec l'un des principaux conglomérats indiens, dans l'objectif de développer 6 EPR à Jaitapur, après avoir déposé une « offre technico-commerciale engageante » en ce sens en avril dernier.
Résultat : entre les programmes français (même si le seul EPR en construction, à Flamanville, connaît plus de dix ans de retard et des surcoûts à répétition) et ceux ailleurs dans le monde, « le pipe de projets commence à devenir vraiment significatif, notamment en Europe », se félicite. Vakis Ramany.
« En plus de la République Tchèque et de la Pologne, nous nous intéressons au Royaume-Uni, où nous déployons l'EPR à la centrale d'Hinkley Point. Et un autre réacteur devrait voir le jour à Sizewell C [même si la décision finale de Londres pour lancer le projet se fait encore attendre, ndlr]. Mais ce n'est pas tout : les Pays-Bas, la Slovénie ou encore la Finlande réfléchissent à la place du nucléaire dans leur mix énergétique. Notre but est de déployer une flotte EPR européenne qui nous permettra de reproduire tous les bénéfices qu'on a su observer et concrétiser », ajoute-t-il.
Un nouveau marché en 2030 ?
Mais EDF ne mise pas tout sur les EPR : le groupe a également annoncé jeudi la création d'un comité consultatif international pour « apporter des conseils sur le développement » de son petit réacteur modulaire (SMR) Nuward, actuellement en phase de R&D et à la puissance environ 9 fois inférieure aux EPR. L'objectif : « porter un tout nouveau marché pour le nucléaire à horizon 2030 », précise Vakis Ramany.
« Concrètement, ce comité examinera la solution technologique qu'on propose et les cibles de coûts qu'on vise, de manière à accompagner ce produit, s'assurer qu'on intègre les dernières évolutions, et qu'on comprend bien le marché », explique le directeur du développement nouveau nucléaire à international.
Et pour réellement décoller sur le sujet, EDF espère une évolution des régulations, qui lui permettraient pouvoir installer ces réacteurs à l'étranger sans modification de la technologie. « Si cette harmonisation n'a pas lieu, le marché risque de rester de niche. Pour l'éviter, nous travaillons avec l'AIEIA et Bruxelles », fait-il savoir. Plutôt que de « lobbying », Vakis Ramany préfère parler de « coopération ». Une chose est sûre : dans les coulisses et en public, EDF milite pour obtenir un cadre de soutien public en faveur nouveau nucléaire, y compris via la taxonomie européenne.
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