Suez/Veolia : deux fonds, une "solution amicale" et une fin de non recevoir

Suez a annoncé avoir reçu une lettre d'intention des fonds d'investissement Ardian et Global Infrastructure Partners devant permettre une ouverture de négociation avec Veolia. Les visions des deux groupes restent toutefois profondément opposées.
Giulietta Gamberini
Veolia a d'déjà opposé une fin de non recevoir ferme à l'hypothèse d'une cession de ses 29,9%, qui ne sont pas et ne seront pas à vendre.
Veolia a d'déjà opposé une fin de non recevoir ferme à l'hypothèse d'une cession de ses 29,9%, qui "ne sont pas et ne seront pas à vendre". (Crédits : CHARLES PLATIAU)

> VOIR l'enquête : dans les coulisses de Veolia/Suez : réseaux, jeux de pouvoir et avenir d'Engie

Après des mois de guerre intense, entre Suez et Veolia - qui veut l'acheter -, passés devant la justice, la cible a enfin dévoilé son "alternative" au projet de fusion de son concurrent. Dimanche soir, le numéro deux français de l'eau et des déchets a annoncé avoir "reçu une lettre d'intention d'Ardian et de GIP (Global Infrastructure Partners), visant à permettre une solution amicale et rapide à la situation créée par l'intention d'offre de Veolia".

L'offre obtenue par les deux grands fonds d'investissement français et américain "ouvre la voie à une solution globale avec diverses modalités d'exécution possibles, d'effet équivalent, y compris une offre d'achat des actions Suez par les investisseurs, au prix de 18 euros par action, coupon attaché", détaille Suez dans son communiqué.

Parmi ces "modalités d'exécution", non précisées, figure donc la possibilité qu'Ardian et GIP rachètent à Veolia les 29,9% du capital de Suez qu'il a déjà acquis auprès d'Engie début octobre, au même prix de 18 euros par action.

Un "accord à une ouverture de négociation"

"Ce n'est pas une contre-OPA, ce n'est même pas une offre qui s'oppose à celle de Veolia, puisqu'une des conditions essentielles de notre intervention, à nous et à GIP, c'est que les deux parties trouvent un accord", a expliqué à l'AFP Mathias Burghardt, responsable d'Ardian infrastructures. En insistant sur le caractère amical de la démarche, il a souligné :

"Le deuxième élément qu'il faut vraiment retenir, c'est que pour la première fois, le conseil d'administration de Suez a donné son accord à une ouverture de négociation entre eux et Veolia".

Dans son communiqué, Suez, dont le conseil d'administration a accueilli favorablement, à l'unanimité la démarche d'Ardian et GIP, s'est en effet dit "prêt à ouvrir un dialogue avec Veolia afin de construire une solution dans l'intérêt de toutes les parties concernées qui renforcera les deux leaders mondiaux français des services à l'environnement".

"Pour eux c'est un pas très important. Je pense que le conseil d'administration est prêt à des concessions", a ajouté Mathias Burghardt à propos de ce qu'il considère être un élément d'"espoir".

Ardian avait d'ailleurs déjà insisté sur sa "fidélité" aux "principes de négociations non hostiles" le 5 octobre 2020 lorsque, quelques heures avant le conseil d'administration d'Engie - qui devait décider de vendre ou pas à Veolia les 29,9% de l'énergéticien dans Suez -, le fonds, après avoir manifesté quelque jours plus tôt son intérêt pour cette participation pour construire une offre alternative à celle de Veolia, avait jeté l'éponge.

Lire: Suez-Veolia : qui est Ardian, le fonds dirigé par la puissante Dominique Senequier

Le non de Veolia à l'option d'une cession de ses 29,9%

"On dit clairement qu'il faut qu'il y ait un accord des deux parties. Il faut qu'ils s'entendent et, en fonction du schéma qu'ils auront retenu, nous pourrons intervenir pour soutenir Suez dans son projet", a ajouté Mathias Burghardt, pour qui "les deux projets industriels (de Veolia et Suez, ndlr) ne sont pas incompatibles".

Parmi les "ajustements éventuels", devant permettre "à la fois à Veolia de poursuivre son objectif d'être le leader mondial des services à l'environnement, et à Suez de poursuivre son plan à 2030 focalisé sur la technologie et sur une approche sectorielle et géographique qui corresponde à leur objectif industriel", figurent "des partenariats", et "des transferts d'actifs".

"La cession des parts de Veolia dans Suez, c'est une option, mais on dit bien clairement que ce n'est pas la seule", précise-t-il.

Veolia, qui affirme chercher depuis le tout début de la publication de son projet le "dialogue" avec le conseil d'administration et la direction de Suez, a d'ailleurs déjà opposé une fin de non recevoir ferme à l'hypothèse d'une cession de ses 29,9%, qui "ne sont pas et ne seront pas à vendre".

"Tout projet qui impliquerait directement ou indirectement la cession par Veolia de sa participation au capital de Suez, ou d'autres cessions dénaturant le projet industriel que le groupe porte, est considéré comme hostile par Veolia", précise son communiqué.

Deux approches opposées

"Je demeure ouvert à la discussion avec le conseil d'administration de Suez dans le cadre du projet que je leur ai envoyé la semaine dernière", a ajouté dans le même communiqué le PDG de Veolia, Antoine Frérot, qui continue de considérer son projet de fusion comme "inéluctable".

Les deux approches semblent ainsi rester opposés. Suez, Ardian et GIP insistent sur l'importance de garder "deux acteurs majeurs en France et à l'international". Dans son communiqué, Suez rappelait ainsi sa détermination à éviter tout "démantèlement du groupe", ainsi que sur ceux qui restent ses principaux objectifs: "le renforcement de chacun des deux leaders français des services à l'environnement", "la préservation de l'emploi en France et à l'international", "le maintien de la concurrence indispensable, notamment en France", l'accélération du développement de Suez sur des marchés en pleine croissance", "l'augmentation de ses investissements renforçant ainsi sa capacité d'innovation et son expertise technologique", "l'assurance d'un capital majoritairement français, avec une augmentation significative de l'actionnariat salarié".

Ardian, à propos des contours du projet industriel de Suez, qu'il est prêt à soutenir avec GIP, affirme qu'il faut qu'"il soit ambitieux, dans la logique de la stratégie du groupe à 2030, qu'il ait le soutien des salariés qui augmenteraient leur participation au capital, et que cet actionnariat, outre nous et GIP qui serions à égalité, soit à majorité française, d'abord parce qu'il y aura des salariés, mais aussi sans doute d'autres investisseurs institutionnels français".

Une multiplication des contraintes pour Veolia

Veolia rappelle en revanche que son plan est plutôt celui de construire un "champion mondial (unique, ndlr) de la transformation écologique", "sous contrôle français". Pour le réaliser tout en respectant les règles de la concurrence, il sera toutefois contraint de céder une partie des activités de Suez ou de Veolia. Il a d'ailleurs déjà prévu de céder Suez Eau France au fonds Meridiam. Les cessions restantes doivent être déterminées par plusieurs autorités de la concurrence, notamment la Commission européenne, qui doivent donner leur feu vert.

Les procédures de concurrence rallongent en outre les temps de la fusion: bien qu'elles aient été lancées, elles devraient prendre encore au moins un an, reconnaît Veolia. Veolia bute également face à une "pilule empoisonnée" dégainée par Suez dès fin septembre : la constitution d'une fondation de droit néerlandaise à laquelle le groupe a conféré la mission de garantir pendant quatre ans l'inaliénabilité de sa filiale Suez Eau France. Bien qu'une ordonnance exécutoire rendue le 18 novembre par le président du tribunal de commerce de Nanterre interdise désormais à Suez "de prendre toute décision de nature à ou ayant pour objet ou pour effet de, entraîner l'irrévocabilité" de ce dispositif, et ce "jusqu'à l'issue de l'assemblée générale annuelle" de Suez prévue en mai, il est moins sûr que Veolia parvienne à faire déclarer la nullité de la fondation, et une telle procédure pourrait prendre bien longtemps. Veolia a déjà déposé devant le tribunal de commerce de Nanterre une demande en ce sens, et une audience est prévue le 22 février.

Lire: Pourquoi la fondation créée par Suez reste le casse-tête principal de Veolia

Depuis un arrêt prononcé le 19 novembre par la Cour d'appel de Paris, confirmant une décision du tribunal judiciaire de Paris du 9 octobre, les droits de vote de Veolia issus de l'achat des parts d'Engie sont d'ailleurs suspendus tant que l'information et la consultation des instances représentatives de Suez prévues par la loi n'auront pas eu lieu. Alors que pour Suez la procédure de consultation et d'information ne s'achèvera pas avant le 31 mai, Veolia essaie de faire valoir qu'il "recouvrera l'ensemble de ses droits" le 5 février. Une nouvelle ordonnance rendue le 15 janvier par le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, laisse intacte cette polémique sur la durée de la suspension des droits de Veolia.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 18/01/2021 à 12:04
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"Acquérir du pouvoir cela se paie cher, le pouvoir abêtit" Nietzsche

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