Transition énergétique : le leadership européen menacé

L’effacement de l’Europe dans l’énergie solaire ces dernières années préfigure-t-il d’autres déconvenues ? Un récent rapport remis fin mai à Maros Sefcovic, Commissaire européen en charge de l’énergie, pointe les faiblesses du Vieux Continent en matière d’innovation dans l’énergie et les secteurs connexes.
Dominique Pialot
Eoliennes et panneaux solaires

Dans un rapport rédigé à l'occasion de la consultation lancée par l'Union européenne sur sa future stratégie intégrée en matière de recherche, innovation et compétitivité, Cap Gemini et i24c (Industrial innovation for competitiveness) mettent en garde à propos de la position européenne dans les « technologies vertes ». « Cela englobe toutes les formes de technologie et de services liés à la transition énergétique et à l'environnement », précise Nicolas Clinckx, Directeur Associé en charge du secteur Energie chez Capgemini Consulting.

Sur tous ces sujets, l'Union européenne, qui affiche de grandes ambitions avec un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80-95% sur le long terme,  a longtemps été pionnière.

Avec 4,3 milliards d'euros investis en R&D en 2014, elle continue d'être le premier investisseur, devant l'Asie, les Etats-Unis et l'Amérique Latine. Avec un certain succès d'ailleurs, puisque le continent regroupe près de 20% des innovations dans le secteur du changement climatique et a généré plus de 1,2 million d'emplois autour des énergies renouvelables.

Des difficultés de déploiement

Mais Cap Gemini et i24c mettent en garde : l'Europe a encore du mal à déployer à grande échelle certaines innovations énergétiques prometteuses et sa position de leader est menacée. Menée auprès de cent dirigeants européens du secteur énergétique, chercheurs, académiques, etc. l'étude a révélé un déficit de déploiement dans plusieurs secteurs liés à l'énergie et une difficulté à commercialiser des solutions qui paraissaient séduisantes sur le papier. Ainsi, à côté des succès enregistrés par exemple dans l'éolien terrestre, elle s'est laissé distancer sur des technologies plus récentes telles que la capture et stockage de CO2 (CCS) ou le stockage hydrogène.

Le précédent du solaire photovoltaïque, où l'Europe a d'ores et déjà cédé le terrain à la concurrence asiatique, perdant 50.000 emplois dans le secteur pour la seule année 2013, pourrait se reproduire dans le stockage et la mobilité électrique, hybride ou à hydrogène.

Un écosystème trop segmenté

En cause : un manque de stratégie industrielle, économique et réglementaire fédératrice, un déficit de collaboration entre secteurs d'activités connexes (énergie avec transport, agriculture, infrastructures, industrie et services) et de collaboration transfrontalière.

« A l'exception de quelques démonstrateurs, faire travailler ensemble les différentes briques de l'écosystème reste une gageure », souligne Nicolas Clinckx.

Cela vaut pour les entreprises mais aussi pour les villes ou les pays. Aux Etats et aux régulateurs de créer les conditions favorables à cette évolution des modes de fonctionnement et à l'émergence de collaborations transfrontalières à l'image du fameux serpent de mer de l'Airbus de l'énergie.

En outre, les solutions bas-carbone et d'efficacité énergétique, qui en Europe ont souvent été développées à l'initiative de villes, voire de quartiers, demeurent complexes à reproduire.

Une réglementation parfois dépassée ou incohérente, des technologies très capitalistiques et la perception de risques associés au secteur de l'énergie aboutissent également à des difficultés de financement de ce secteur. C'est particulièrement le cas dans la phase dite de « vallée de la mort » qui précède le passage à la phase d'industrialisation. Cette mutation s'avère délicate pour les startup de tous secteurs et dans le monde entier, mais l'intensité capitalistique dans l'énergie, ainsi que la complexité de la réglementation et des standards en Europe la rendent particulièrement aigüe pour les startup européennes du secteur.

Un secteur en profonde mutation

Cette menace de décrochage de l'Europe survient sur fond de profondes mutations du secteur de l'énergie et des secteurs connexes. Le rapport fournit une synthèse des principaux axes d'évolution et décrit un changement de paradigme vers des économies bas carbone bâties autour de solutions digitales et intégrées, qui mettent le consommateur final au centre du jeu. Le système énergétique européen évolue sous l'effet de quatre tendances de fond imbriquées les unes aux autres : le développement durable, la digitalisation, l'intégration des services et la montée en puissance des échelons locaux.

L'étude décrit l'émergence de nouvelles technologies et services (stockage, gestion de la demande, véhicules électriques, etc.) qui brouillent les frontières traditionnelles de l'énergie. De nouveaux acteurs tels que les agrégateurs ou les plateformes d'autopartage placent le consommateur au centre de leurs modèles. Les énergéticiens traditionnels eux-mêmes ne se contentent plus de vendre des électrons mais proposent à leurs clients des solutions garantissant le confort, l'indépendance ou la sécurité.

La nécessité d'une approche systémique

En matière d'énergie, l'innovation ne peut se résumer à un seul acteur, mais résulte au contraire de contributions provenant d'une grande diversité de parties prenantes, qu'il s'agisse de villes ou d'usagers, de nouveaux entrants venant « disrupter » les chaines de valeur traditionnelles, d'acteurs plus traditionnels (fournisseurs d'équipement,  producteurs d'énergie, opérateurs de réseaux et institutions de recherche), ou encore de communautés académiques ou financières. En outre, elle  ne se résume pas aux seuls progrès technologiques mais prend également la forme de modèles économiques disruptifs (autopartage, solutions « vehicle to grid » reliant les batteries électriques au réseau pour le stabiliser, domotique, etc.) ou d'innovations sociétales, de nouvelles politiques et de mécanismes financiers inédits.

C'est pourquoi l'Europe doit considérer l'innovation énergétique au sens large, non seulement le secteur de l'énergie stricto sensu mais aussi tous les secteurs consommateurs, producteurs ou régulateurs du système énergétique. C'est en effet la façon dont ils interagissent de façon systémique qui doit permettre d'atteindre les objectifs européens en termes de climat, d'accessibilité et de sécurité énergétique.

Recommandations et cas concrets

Les auteurs préconisent quelques recommandations, toutes également déterminantes de leur point de vue et à mettre en oeuvre les plus rapidement possible ? Elles « s'adressent non seulement aux instances européennes mais à tout un éco-système », précise Nicolas Clinckx. Si l'élaboration de politiques de long terme claires concerne toutes les instances régulatrices, l'implication des échelons locaux est du ressort des Etats membres ou des régions ou métropoles ; le secteur privé et le private equity ont un rôle à jouer dans le financement ;  les industriels de l'énergie, du bâtiment, des transports doivent apprendre à travailler ensemble en adoptant une approche plus systémique ; les pôles de compétitivité peuvent favoriser ces collaborations.

« Nous croyons beaucoup à la valeur de l'exemple, ajoute Nicolas Clinckx qui préconise de mettre les recommandations en œuvre au travers de cas concrets.

Des investissements plus sélectifs

En termes de financement, les auteurs préconisent une approche plus sélective et plus orientée résultats. La question de l'impact final en termes de consommation énergétique et les chances pour une technologie donnée d'être facilement adoptée doivent être au cœur des décisions d'investissement. Une approche réellement globale faisant le lien entre l'innovation technologique et non technologique et encourageant l'innovation transsectorielle fait défaut.

« La transition énergétique est un prérequis que tout le monde a compris, conclut Nicolas Clinckx. Tout l'enjeu consiste à la mener de façon compétitive, bénéficiant à l'emploi et à la croissance européenne. »

L'Europe bénéficie d'une position de départ plutôt solide, bâtie sur des atouts structurels tels que la taille de son marché, une main d'œuvre qualifiée ou encore la qualité de sa recherche. Encore lui faut-il les mettre à profit de façon à pouvoir explorer les opportunités que présente la transition énergétique à la fois en Europe et à l'export, notamment dans de nouvelles poches de croissance qui se dessinent. A défaut, ce sont à la fois les entreprises européennes et les Etats qui en pâtiront.

Dominique Pialot

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Commentaires 2
à écrit le 15/06/2016 à 9:31
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Dans son état actuel, l'Europe est incapable de définir et encore moins de mener quelque politique que ce soit. Elle se fera siphonner technologiquement comme elle se fait siphonner fiscalement.

à écrit le 14/06/2016 à 18:05
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Malheureusement partous en Europe la transition energetique se portent sur l'éolien et le photovoltaïque, deux énergie à faible rendement.... Il y a d'autre solution, la géothermie par exemple, les investissements sont importants, mais le rendement e...

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