Réindustrialisation : comment Kolmi Hopen veut relocaliser une filière de gants en nitrile dans la Sarthe

Appelée à la rescousse pour produire les masques manquants pendant la pandémie, l’entreprise Kolmi Hopen, spécialisée dans les dispositifs médicaux à usages uniques s’attèle, cette fois, à la réindustrialisation de la fabrication de gants en nitrile en Pays de la Loire. Avec l’ambition de recréer et relocaliser une filière en France, l’initiative traverse des hauts et des bas.
En compétition avec les Haut de France et la Nouvelle Aquitaine, le site de Bessé-sur-Braye (72) dans les Pays de la Loire, a été choisi en raison de la proximité des eaux de la Braye et du centre de R&D angevin.
En compétition avec les Haut de France et la Nouvelle Aquitaine, le site de Bessé-sur-Braye (72) dans les Pays de la Loire, a été choisi en raison de la proximité des eaux de la Braye et du centre de R&D angevin. (Crédits : DR)

« Quand on veut récréer une filière disparue il y a vingt-cinq ans, on repart d'une page blanche. Et à chaque jour a son lot de bonnes ou moins bonnes surprises... Il faut beaucoup de foi et d'envie...», avoue Gérald Heuliez, directeur général de Kolmi Hopen, dont le budget de construction de l'usine de fabrication de gants en nitrile ManiKeir à Bessé sur Braye (72) vient de grimper de 45 à plus de 70 millions d'euros. « Et là, ce n'est pas la même musique », reconnait-il. A cela, plusieurs explications : la nécessaire construction d'une station d'épuration de l'eau, le déplacement de l'usine par rapport au projet initial, la déconstruction d'un entrepôt logistique...

Mais surtout, c'est la flambée des prix des matières premières (bois, béton, acier, inox..) utilisées pour bâtir un ensemble de 24 mètres de haut de 120 mètres de long qui oblige à revoir les plans de financement. « On travaille avec les financeurs pour trouver des solutions. Ce complément de budget doit nous permettre de retrouver un modèle économique pertinent et de poursuivre ce projet. Il est hors de question de jeter l'éponge, mais on ne comprendrait pas qu'il n'y ait plus de soutien compte tenu du contexte géopolitique et économique », glisse Gérald Heuliez, dont le projet soutenu par l'Etat à hauteur de 10 millions d'euros et par la Région des Pays de la Loire pour 5 millions d'euros vise aussi à réindustrialiser l'ex-site industriel de la papeterie Arjowiggins, leader mondial de la fabrication de papier haut de gamme. Sa liquidation, il y a trois ans, avait laissé sur le carreau plus de 550 employés.

Un territoire aux logements inadaptés

«577 exactement... », rectifie Jacques Lacoche, maire de Bessé sur Braye, commune de 2.200 habitants, à la lisière de la Sarthe et du Loir-et-Cher, où « 800 emplois ont disparu depuis 2008. Dans la plasturgie, le BTP, la filature... beaucoup sont partis », rappelle l'édile de ce territoire rural où la problématique du moment tient en deux mots : recrutement et logement.

Kolmi Hopen vient de lancer la première vague de recrutements de 175 personnes pour constituer l'équipe de démarrage de la future usine Manikair, prévue fin 2022 début 2023. A terme, en 2024-2025, le site de production devrait employer 300 à 350 personnes. « ManiKeir recrute des planificateurs, des responsables de maintenance, des automaticiens, des agents de méthodes, des gestionnaires de stocks, des techniciens spécialisés... Une population que nous n'avons pas, qu'il va falloir attirer et accueillir... Or, beaucoup de bâtiments ont été vendus, peu d'opérations immobilières ont vu le jour et notre parc locatif n'est pas adapté», s'inquiète l'élu. Ce dernier est accompagné par des cellules de recrutement (Pôle Emploi, RH ManiKeir, département, région, cabinets spécialisés...) ou spécialisées dans le logement pour réévaluer un secteur où de nombreuses transactions immobilières ont eu lieu pendant le Covid, sans que la mairie ait connaissance de leur nouvelles affectations. Les prix du m² en tout cas n'ont pas flambé.

Recréer une nouvelle industrie

De son côté, Gérald Heuliez s'arrache les cheveux face à l'allongement des délais de livraison des cartes mères informatiques, nécessaires pour faire tourner l'usine, notamment pour le pompage de l'eau ou le rejet des effluents. « Au Japon, l'usine d'un gros fabricant vient de brûler... », regrette-t-il.

Il y a néanmoins des bonnes nouvelles :  Cette semaine, la construction du bâtiment (31.000 m²) a démarré, les premiers poteaux et traverses de la charpente ont été déposées. Le chantier avance malgré tout. Conçues en Malaisie, les premières lignes de production seront réceptionnées cet été. Le premier « run » de production est prévu pour janvier 2023. « Ce qui est compliqué, c'est de ramener une industrie disparue en France il a vingt-cinq ans. Il faut recréer tous les éléments techniques et le savoir-faire. On recrée une nouvelle industrie. Il ne s'agit pas d'acheter une machine de fabrication de masques et de l'installer dans un entrepôt. Là, il y a le traitement de l'eau, de la chimie, de la formulation.... C'est une innovation en tant que telle. On a acheté les lignes en Asie du Sud-Est par ce que c'était les seules existantes, mais depuis neufs mois on revoie toute l'ingénierie des lignes pour les adapter à nos valeurs, aux règles de sécurité et de protection de l'environnement, exigées en France. », détaille Gérald Heuliez, qui a, par ailleurs, engagé des discussions avec l'Institut National de Formation et d'enseignement professionnel du caoutchouc (Ifoca) pour créer des modules de formations adaptées aux technologies propres au caoutchouc liquide.

Un marché prometteur

Jusqu'à la crise liée au Covid-19, tous les gants nitrile utilisés en France et en Europe étaient importés d'Asie du Sud-Est, dont 65% de Malaisie. « L'objectif affiché de la nouvelle usine ManiKHeir de Kolmi Hopen est d'assurer un niveau de stock suffisant pour couvrir les besoins du monde de la santé pendant une crise sanitaire et assurer ainsi le stock de sécurité européen », déclare Hugues Bourgeois, directeur général de ManiKHeir. Moins allergisant que le caoutchouc, le nitrile est un produit synthétique, réutilisable et recyclable. « Les gants nitrile fabriqués par ManiKHeir seront enduits de polymères afin de préserver l'écosystème et la santé du porteur », assure l'entreprise. Elle vise, dans un premier temps, la production de 70 à 80 millions de gants par mois pour répondre à un contrat de 1,750 milliard de gants, soit 80 millions d'euros, conclu avec la centrale d'achat de l'hôpital public français Re-Uni pour sécuriser l'approvisionnement 100 % made in France des établissements de santé publics et privés non lucratifs.

Les masques : un outil industriel dopé par la pandémie mais concurrencé

Cette nouvelle activité devrait amortir et compenser les baisses de commandes de masques, dont la fabrication a créé un véritable élan industriel. Présente à Saint-Bathélemy d'Anjou (49), l'entreprise Kolmi Hopen, détenue depuis 2011 par le groupe industriel canadien Medicom, spécialisé dans la conception, la fabrication et la distribution d'articles à usage unique et court, est née en 2010 de la fusion deux acteurs du marché du dispositif médical : Kolmi, ex-fabricant du fameux papier à cigarette Zig-Zag® devenu leader français du masque chirurgical, et Hopen, spécialiste de la distribution de produits à usage unique dédiés au secteur des industries et au monde de l'hygiène. Appelé à la rescousse pendant la crise sanitaire, l'entreprise, soutenue par les pouvoirs publics, a investi 12 millions en fonds propre et recruté une centaine de salariés supplémentaires, fait tourner son usine sept jours sur sept, 24 heures sur 24.... Depuis 2020, trois sites de production supplémentaires ont été construits à Beaucouzé (49), à Northampton en Grande-Bretagne et Singapour pour disposer d'une capacité de production de 3,5 millions de masques/Jour.

Mais cette cadence risque de s'essouffler. A Saint-Barthélemy d'Anjou, la production atteint aujourd'hui 900.000 unités/jour et devrait chuter à 600.000 cet été. Certaines machines ont été remisées et bâchés. Le travail en 3x8 et le week-end ont été abandonnés. La réorganisation a ramené l'effectif monté de 102 à 280 personnes à 171. «Nous étions le dernier village gaulois. On retrouve notre marché d'avant crise, avec un outil industriel neuf et performant, mais la concurrence qui autrefois se situait à Shanghai ou à Wuhan, est aujourd'hui à 100 ou 200 km d'Angers», observe-t-il. Une bonne et une moins bonne nouvelle.

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