Robots au bureau... version moderne des liaisons dangereuses

La tendance des humains à éprouver des émotions envers des objets, voire à leur prêter des sentiments, sera exacerbée face à des machines capables de répondre à nos réactions. Comme le décrit le psychiatre Serge Tisseron dans son récent ouvrage, "Le jour où mon robot m'aimera", la présence croissante de robots sur le lieu de travail modifiera aussi bien les comportements individuels que les relations entre collègues.
Giulietta Gamberini
(Crédits : Riken)

Un collègue bienveillant toujours disponible pour nous aider. Un subordonné flatteur et prêt à satisfaire rapidement toutes nos demandes. Mais aussi un concurrent particulièrement performant, voire un chef capable de mesurer et noter exactement tous nos succès et défaillances... Ce sont quelques-uns des visages que pourront prendre les robots dans les usines et les bureaux du futur où ils seront sans doute de plus en plus présents. Avec des effets encore imprévisibles sur les comportements des humains et les relations qu'ils entretiennent entre eux.

Car si la capacité de robots de plus en plus intelligents à éprouver des émotions relève encore de la science-fiction, l'empathie manifestée par les humains vis-à-vis des machines est, en revanche, déjà une réalité, à laquelle le psychiatre Serge Tisseron, spécialisé dans les relations homme-objets, vient de consacrer un ouvrage : Le jour où mon robot m'aimera.

Vers l'empathie artificielle

Dans le cadre d'une présentation de son ouvrage devant l'Anvie (association valorisant les sciences humaines et sociales auprès des entreprises), le chercheur observe que la colère déjà manifestée face à un appareil qui ne nous rend pas notre monnaie ou la sympathie éprouvée pour un nouvel ordinateur bien plus rapide que le précédent ne seront qu'amplifiées devant des êtres inanimés souvent humanoïdes, mais surtout enfin capables de répondre à nos réactions. Cette empathie a déjà été constatée par l'armée américaine, notamment à travers l'attachement, voire l'identification, développé par nombre de soldats vis-à-vis de leurs robots démineurs, au point d'inquiéter la hiérarchie militaire quant aux risques de comportements imprudents de la part des combattants pour sauver leurs machines, rappelle Serge Tisseron. La réprobation suscitée par la vidéo diffusée en février par la société Boston Dynamics (propriété de Google), montrant son robot humanoïde Atlas maltraité par ses concepteurs, a récemment confirmé cette tendance des humains à prêter des sentiments aux automates, souligne le psychiatre.

Les industriels seront sans doute tentés d'exploiter ce penchant humain, convaincus que présenter les robots comme des êtres éprouvant des émotions les rendra plus attrayants. Le succès au Japon de Pepper, le premier robot « doté d'un coeur » - conçu par la société française Aldebaran -, illustre déjà cette tendance marketing. Programmer les machines pour les rendre capables de comprendre les mimiques humaines facilitera par ailleurs la communication.

La relation qui en résultera sera toutefois empreinte d'ambiguïté car, malgré la capacité du robot à montrer des signes d'attachement, elle sera par définition « toujours à sens unique », fait remarquer Serge Tisseron.

« Tout est question de programmation »

Pire : en nourrissant l'intolérance à l'attente, l'habitude à la flatterie, l'incompréhension de toute forme de spontanéité, la généralisation des relations avec les robots influencera aussi celles entre humains, craint le psychiatre. Dans le milieu du travail, par ailleurs, indépendamment de son aspect plus ou moins humanoïde, le rapport avec la machine dépendra également de sa capacité à capter, élaborer et transmettre des informations sur le personnel de l'entreprise, parfois sans lien avec son usage premier. Une machine à café capable d'enregistrer le temps de pause de ses clients subirait probablement le boycottage déjà réservé à la première Barbie connectée par nombre de familles américaines, inquiètes de l'utilisation qui aura pu être faite des informations recueillies « par accident » par l'innocente poupée, prévoit Serge Tisseron.

Mais « de telles évolutions ne sont pas des fatalités », rappelle le chercheur, soulignant que « tout est question de programmation ».

Or, s'il existe déjà aujourd'hui de nombreuses normes ISO pour les robots, « la question éthique n'est pas encore suffisamment prise en compte au-delà du niveau de la réflexion », regrette-t-il.

Pourtant, il met en garde : si l'on veut éviter les dérives de cette empathie si naturelle, « on ne peut pas attendre les industriels ».

Au contraire, « il faut faire valoir des standards différents de ceux des majors de la robotique ». Le psychiatre, membre de l'Académie des technologies, travaille justement sur ces garde-fous, dont le premier devra être le devoir d'« informer les hommes de ce qui pourrait être dangereux pour leur humanité ».

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 28/05/2016 à 10:07
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On connaissait déjà l'empathie pour la poupée gonflable et l'attachement à l'ordinateur pour les relations virtuelles, alors c'est la continuation d'une tendance :-) :-)

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