"La crise sanitaire accélère la digitalisation des processus dans la santé"

ENTRETIEN. Créée en 2013 par Romain Revellat et Pierre Lassarat, la start-up happytal aide et accompagne les patients avant, durant et après leur hospitalisation, en proposant une offre de services via une plateforme. L'idée née de la propre expérience de ses fondateurs s'est transformée en une entreprise présente dans 12 régions à travers 110 établissements, employant 400 personnes. Comment ce développement s'est-il adapté à la crise sanitaire et quelles leçons tirer de cette situation inédite ? Réponse avec Romain Revellat, son PDG.
Robert Jules
Romain Revellat, PDG d'happytal : Au plus fort de la crise sanitaire, nous avons reçu une demande de l'AP-HP pour l'accompagner dans la mise en place d'une plateforme à destination des soignants.
Romain Revellat, PDG d'happytal : "Au plus fort de la crise sanitaire, nous avons reçu une demande de l'AP-HP pour l'accompagner dans la mise en place d'une plateforme à destination des soignants." (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Comment happytal a traversé la crise sanitaire ?

ROMAIN REVELLAT, cofondateurComme toutes les entreprises et tous les Français, happytal a dû faire face à la crise sanitaire et ses conséquences. La première priorité durant la phase aiguë de la crise a été d'assurer la sécurité de nos collaborateurs, notamment en veillant à ce qu'ils disposent d'équipements de protection individuelle. Concomitamment, nous avons dû adapter nos protocoles d'intervention dans les établissements de santé, l'organisation interne de ces derniers ayant été profondément modifiée en raison de la Covid. À titre d'exemple, nos concierges n'avaient plus l'autorisation d'aller à la rencontre des patients.

Dans ce contexte et en dépit des mesures sanitaires associées, nous n'avons jamais cessé de faire le lien entre les patients, leurs proches et les personnels soignants, que ce soit en intervenant différemment au sein des établissements, en proposant de nouveaux services comme « happyhéros » ou en organisant une campagne de dons à destination des hôpitaux.

Vous avez adapté votre offre de services en vous adressant aux personnels des hôpitaux publics mais aussi militaires, ceux de la Croix-Rouge... Pourquoi ?

Effectivement, au plus fort de la crise sanitaire, nous avons reçu une demande de l'AP-HP pour l'accompagner dans la mise en place d'une plateforme à destination des soignants. Nous avons donc élaboré conjointement la plateforme « hoptisoins » pour permettre aux soignants de bénéficier de services gratuits ou à tarifs préférentiels pour l'hébergement, les transports, les courses, dans le but de les aider au quotidien. Ainsi lors du confinement quand l'offre de transports en commun était réduite, les collaborateurs de l'AP-HP ont pu ainsi commander sur la plateforme « hoptisoins » un taxi sans avance de frais pour se rendre sur leur lieu de travail.

Très rapidement d'autres établissements de santé se sont manifestés, ceux de la Croix Rouge ou du Service de Santé des Armées par exemple, afin de proposer le même type de plateforme à leurs collaborateurs. Nous avons donc développé la plateforme « happyhéros » dans ce sens. La plateforme « happyhéros » est désormais déployée dans près de 400 établissements de soins et adresse plus de 200.000 professionnels de soins. C'est un véritable succès, et un gain de pouvoir d'achat pour les soignants. Nous estimons ce gain à 150 euros par mois, notamment grâce aux réductions consenties par nos partenaires, que ce soit en matière d'assurance habitation ou dans leurs achats du quotidien.

Au final, ce n'est pas un changement de business model mais la poursuite de notre objectif initial. Notre volonté est de simplifier le parcours administratif grâce à la numérisation et d'améliorer le quotidien dans les établissements médicalisés. Un service comme « happyhéros » s'inscrit pleinement dans cette logique : en prenant soin des « soignants » nous prenons soin des patients.

Vous avez aussi lancé une plateforme dédiée spécifiquement aux Ehpad, ce projet a-t-il tiré des enseignements du confinement particulièrement difficile pour nos aînés ?

Comme vous le savez, les problèmes d'isolement et de sur-sollicitation du personnel des Ehpad ont été particulièrement aggravés par la crise sanitaire et les mesures de distanciation. Pour pallier cela, nous avons décidé de lancer happydom, une plateforme de coordination entre les aidants, les Ehpad et les résidents.

Cette plateforme répond à un triple objectif : améliorer le quotidien des résidents, libérer le personnel soignant de contraintes logistiques et maintenir le lien avec les familles, qui peuvent également utiliser la plateforme pour faire livrer ou offrir un large choix de biens et services : savons, fleurs, douceurs, coiffeur, pédicure, etc.

Par ailleurs, happydom contribue à la création d'un réseau de proximité en intégrant des commerçants locaux, et constitue en ces temps de crise sanitaire un lien précieux avec le monde extérieur.

Aujourd'hui, la plateforme est à l'essai dans cinq établissements, mais nous comptons bien déployer happydom à grande échelle rapidement : une vingtaine d'établissements sont en trains de contractualiser et plusieurs départements supportent le déploiement de la plateforme.

Vous faites partie de ces sociétés dont l'activité a été favorisée par la crise, car basée sur l'outil informatique qu'est la plateforme. Pensez-vous que la numérisation va accélérer la transformation de l'économie des services en général ?

Je dois préciser que notre activité est assez éloignée du modèle de plateforme, et que la croissance de notre activité n'a pas été aussi significative que celle connue par les acteurs du cloud ou de l'électronique.

Néanmoins, la crise sanitaire accélère aujourd'hui la digitalisation des processus dans le secteur de la santé, une tendance qui préexistait à la Covid. Le contexte joue donc un véritable rôle de catalyseur pour nos activités. Actuellement, lorsqu'on est un établissement de santé, la question n'est plus de savoir si la transformation digitale est une option : les contraintes sanitaires et les mesures de distanciation physique l'imposent.

Pour autant, je ne parlerai pas de nouvelle étape ou de rupture pour l'économie des services. A côté de processus digitalisés, il y aura toujours besoin d'un accompagnement humain ou physique. C'est ce que l'on constate dans d'autres secteurs plus avancés dans la transition digitale comme le retail, et je pense qu'il en va de même pour le secteur de la santé.

Dès le début, vous avez travaillé avec le service public. La pandémie a montré la résilience du secteur hospitalier malgré les difficultés. De par votre expérience, qu'est-ce qui permettrait d'améliorer le système de santé ?

Nous avons toujours cru dans le service public de santé, ce qui explique pourquoi lorsque nous nous sommes lancés, nous avons d'abord sollicité des établissements publics.

Ce que nous observons depuis le début de cette crise sanitaire, c'est l'engagement sans faille des professionnels de santé et du personnel hospitalier, alors même qu'ils alertent sur le manque de moyens humains et matériels et que leurs rémunérations sont plus faibles que chez nos voisins européens. Au-delà de ces questions, notre système pourrait bénéficier d'une meilleure coordination entre les différents acteurs. Nous aurions sans doute beaucoup à gagner en développant des liens étroits entre les établissements de santé, la médecine libérale, les professions médico-sociales et les professionnels des services au domicile.

Enfin, s'il est parfaitement logique que le système de santé en France se concentre sur le traitement des pathologies, il pourrait sans doute prendre davantage en compte les aspects psycho-sociaux ou familiaux, que ce soit dans les situations de maladie ou de dépendance.

Heureusement, les choses changent, comme en attestent les mesures annoncées par le gouvernement visant à donner un statut aux aidants. Autre avancée que nous saluons : la création de la cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Des premières mesures de concrétisation de cette cinquième branche sont actuellement discutées au Parlement dans le cadre de l'examen du budget de la sécurité sociale, nous suivrons attentivement ces débats qui préfigurent la future loi sur le grand âge et l'autonomie.

Propos recueillis par Robert Jules

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