Les statuts d'entreprise « élargie » à l'étranger

"Label B Corp", "Public Benefit Corporation", "Social Purpose," "Community Interest"... dans ce deuxième volet, toujours dans l'idée de contribuer au décryptage de la réforme de l'objet social de l'entreprise, "La Tribune" présente les notions ou les termes utilisés par les entreprises à l'étranger.
Giulietta Gamberini
(Crédits : iStock)

Les États Unis, l'Italie et le Royaume-Uni disposent de cadres juridiques permettant de défendre un « intérêt public » ou une mission spécifique, le plus souvent dans une approche sociale ou environnementale.

🇺🇸 BENEFIT CORPORATION

Principal modèle de cadre juridique de l'entreprise à mission, le statut de Benefit Corporation a été adopté pour la première fois au Maryland en 2010, puis par une trentaine d'autres États américains. Si la forme juridique de ce type de société à but lucratif varie d'un État à l'autre, l'objectif est partout de protéger les dirigeants de l'entreprise, en évitant la possibilité d'engager leur responsabilité individuelle dans le cas où la poursuite d'initiatives sociales ou environnementales engendrerait des dommages financiers. Aux États-Unis, il s'agit notamment de dépasser les « fiduciary duties », à savoir les obligations dites fiduciaires des dirigeants envers l'entreprise et ses actionnaires, qui attribuent à ces derniers le droit d'engager une procédure judiciaire en cas de décisions de gestion limitant la rentabilité de leurs investissements, alors qu'aucun principe juridique ne protège les décisions prises en faveur des autres parties prenantes.

Dans les Benefit Corporations, l'entreprise inscrit ainsi dans ses statuts son ambition de défendre un « public material benefit » (PMB, intérêt matériel public), relatif à la société et à l'environnement dans leur ensemble, auquel peut s'ajouter un « special purpose », c'est-à-dire une mission spécifique de l'entreprise. Un organisme tiers indépendant évalue chaque année les résultats obtenus par rapport au PMB poursuivi. Bien que, fiscalement, les Benefit Corporations soient soumises au droit commun, le statut semble rencontrer un franc succès : plus de 2 000 sont déjà actives aux ÉtatsUnis. Un chiffre qui doit néanmoins être rapporté aux 6 millions de créations annuelles d'entreprises en Amérique du Nord, ainsi qu'au nombre de « charities » [organismes caritatifs, ndlr] déjà existantes aux États-Unis (plus de 1,5 million).

🇺🇸 SOCIAL PURPOSE COMPANIES (SPC)

Créé par des juristes californiens, ce statut d'entreprise à mission se veut mieux adapté aux grandes entreprises que celui de Benefit Corporation, tout en poursuivant le même objectif de dépasser les « fiduciary duties » et de réunir dirigeants et actionnaires autour d'une mission partagée. À la différence des Benefit Corporations, les Social Purpose Companies définissent dans leurs statuts seulement un (ou plusieurs) « special purpose », à savoir une mission spécifique dans l'intérêt de leurs parties prenantes, de la société ou de l'environnement. Un rapport d'évaluation de la mission doit être communiqué chaque année aux actionnaires, mais chaque entreprise est libre d'appliquer les critères et méthodes d'analyse de son choix.

Ce statut a été adopté par la loi californienne en 2012. Trois mois après, une soixantaine de Social Purpose Companies avaient déjà vu le jour. Le modèle existe aussi dans l'Indiana, l'État de Washington, la Floride et le Texas.

🇺🇸 PUBLIC BENEFIT CORPORATION (PBC)

C'est une sorte de mélange des deux modèles hybrides précités. Introduit dans la législation du Delaware en 2013, le statut de Public Benefit Corporation emprunte aux SPC l'exigence de définir une mission spécifique (« special purpose »), mais y ajoute la nécessité - comme pour les Benefit Corporations - de l'inscrire dans une démarche d'impact social et environnemental positif. Un rapport d'évaluation est prévu tous les deux ans, sans toutefois d'ingérence de tiers indépendant.

55 PBC ont déjà été enregistrées au Delaware, parmi lesquelles figurent le leader des plateformes de financement participatif Kickstarter, ainsi qu'une société cotée en Bourse, Laureate Education, géant du secteur de l'enseignement supérieur. Après la fusion avec White Wave Food Company, Danone a aussi annoncé souhaiter rassembler l'ensemble de ses activités américaines dans une PBC. Les PBC du Delaware ne doivent pas être confondues avec les Public Benefit Corporations californiennes, qui sont des organismes sans but lucratif.

🌍 LABEL B CORP

Délivrée depuis 2006 par l'organisation à but non lucratif B Lab, et à l'origine de l'élaboration du statut américain de Benefit Corporation, la certification "B Corp" vise à garantir le respect par une entreprise de standards rigoureux en matière de performance sociétale et environnementale, de responsabilité et de transparence. Les entreprises souhaitant obtenir le label doivent remplir un questionnaire (le B-Impact-Assessment) impliquant quelque 200 questions sur leur gouvernance et l'impact de leurs actions sur leurs collaborateurs, leurs clients, la communauté locale et l'environnement. Pour obtenir le label B Corp, elles doivent réaliser un score minimum de 80 points (qu'elles s'engagent à rendre public), ainsi que payer un prix variant en fonction de leur chiffre d'affaires. L'exercice est renouvelé tous les deux ans afin de garantir des progrès constants. Des évaluations sur place peuvent être menées de manière aléatoire.

Au niveau mondial, les entités certifiées sont aujourd'hui plus de 2 100, dans 50 pays et 130 secteurs différents. Leur score médian est de 105/200. En Europe, où B Lab est arrivé en 2014, elles sont désormais 250. En France, une quarantaine d'entreprises ont été certifiées, dont Nature & Découvertes, Citizen Capital, Les 2 Vaches, "La Ruche qui dit Oui!", la Camif... Danone a rejoint un groupe d'experts de B Lab sur les grands groupes et les marchés publics (Multinationals and Public Markets Advisory Council, MPMAC), afin de contribuer à la réflexion sur comment appliquer aux multinationales les critères du B-Impact-Assessment. Il s'est également engagé à appliquer ses critères pour mesurer les performances de dix de ses filiales. L'une d'entre elles, Happy Family Brands, est d'ailleurs déjà certifiée depuis 2011.

🇮🇹 SOCIETÀ BENEFIT (SB)

Forte d'une tradition coopérative ancienne et ancrée, l'Italie a été le premier pays européen à introduire un statut permettant aux sociétés d'associer finalités lucratives et non lucratives. Inspiré des Benefit Corporations, voire des PBC du Delaware, le statut de Società Benefit a été adopté par la loi en 2015. Selon le droit italien, ces sociétés doivent indiquer dans leurs statuts un ou plusieurs buts « de bénéfice commun », à savoir « un ou plusieurs effets positifs, ou la réduction d'effets négatifs, sur une ou plusieurs » des catégories suivantes : « personnes, communautés, territoires et environnement, biens et activités culturelles et sociales, organisations, associations et autres porteurs d'intérêts » (« travailleurs, clients, fournisseurs, investisseurs, créanciers, administration publique et société civile »). Vis-àvis de ces dernières, elles doivent opérer « de manière responsable, durable et transparente », et être gérées de manière à équilibrer l'intérêt des actionnaires, les finalités de bénéfice commun et l'intérêt des parties prenantes. Elles doivent produire annuellement un rapport d'impact certifié par un tiers indépendant. Comme aux États-Unis, aucun avantage fiscal n'est prévu. L'Italie comptait en 2016 44 Società Benefit.

🇬🇧 COMMUNITY INTEREST COMPANY (CIC)

Introduites au Royaume-Uni en 2005, les Community Interest Companies (CIC) sont le premier exemple européen de statut hybride entre finalités lucratives et non lucratives. Les CIC sont des entreprises de droit privé à responsabilité limitée qui s'engagent à réaliser une mission spécifique produisant des bénéfices économiques, sociaux et/ou environnementaux pour leur communauté. Cette mission spécifique et ses bénéficiaires doivent être précisés dans la déclaration qui précède leur enregistrement par une autorité publique.

À la différence des modèles américains et italiens ci-dessus, toutefois, les CIC ne disposent pas librement de leurs actifs, qui appartiennent de manière irrévocable à la communauté. Elles ne peuvent pas être cédées à un tiers, à l'exception d'une autre CIC ou d'un organisme sans but lucratif, et ne peuvent pas générer de plus-values. Seuls 35% des profits peuvent être distribués, la majorité devant être réinvestie pour réaliser la mission. Un rapport annuel, vérifié par le régulateur public, rend compte de l'impact des activités. Les CIC n'ont pas d'avantages fiscaux mais sont favorisées sur certains marchés publics. Elles bénéficient néanmoins d'une plus grande liberté d'action que les organismes sans but lucratif (associations, charities...).

Ce statut est choisi aujourd'hui par 20% des entrepreneurs sociaux britanniques. Il en existe plus de 12.000 au Royaume-Uni et quelque 2.000 sont enregistrées chaque année. 70% se trouvent dans le secteur médicosocial. Le Royaume-Uni s'interroge toutefois aujourd'hui sur l'opportunité de créer un nouveau statut plus proche de celui des Benefit Corporations, permettant notamment la distribution des profits.

Giulietta Gamberini

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