Pourquoi le monde des ingénieurs reste encore fermé aux femmes

Tandis que la population des ingénieurs est estimée à plus d’un million en 2021, seules 28% sont des femmes. Cette faible proportion féminine dans ces métiers tient aux multiples stéréotypes qui perdurent. Certaines associations misent sur l’éducation et l'information des filles dès le plus jeune âge.
De nombreuses associations prônent l'éducation des jeunes filles dès l'école primaire afin de mettre en lumière le secteur de l'ingénierie.
De nombreuses associations prônent l'éducation des jeunes filles dès l'école primaire afin de mettre en lumière le secteur de l'ingénierie. (Crédits : <small>DR</small>)

Mixité, parité, équilibre des sexes... Tandis que le lexique de l'égalité homme/femme ne cesse de s'allonger, le chemin est encore long avant de se concrétiser pleinement sur le terrain. Notamment dans certains secteurs d'activité, où le manque de femmes est criant. En effet, si la proportion de femmes est élevée dans les métiers de la santé ou de l'éducation, elle est en revanche très faible dans les métiers scientifiques en général et le numérique en particulier. Et pour cause : depuis plus d'une décennie, la proportion des femmes dans l'ingénierie stagne à 28% seulement, selon la 33ème enquête nationale de la Société des ingénieurs et scientifiques de France (IESF) 2022. Et elle est même quasiment deux fois plus faible dans le numérique.

« Cette proportion de femmes dans les secteurs les plus porteurs et les plus rémunérateurs comme les NTIC (nouvelles technologies de l'information NDLR) n'est que de 13 % » signalait l'ingénieure et DRH Marie-Liesse Bizard, vice-présidente d'IESF et présidente de l'Observatoire des ingénieurs, devant la presse le 14 septembre dernier.

Cette réalité traduit la sous-représentation des femmes sur les bancs des écoles d'ingénieurs. Même si elles sont aujourd'hui plus nombreuses dans l'enseignement supérieur, les étudiantes ne se tournent que très peu vers l'ingénierie et représentent seulement 28,2% des diplômes d'ingénieurs délivrés en 2021. Une tendance qui trouve ses racines bien plus en amont, puisque les lycéennes optent de moins en moins pour les spécialités scientifiques, et notamment les mathématiques, selon l'IESF.

Le système éducatif français, à l'origine des disparités

« Au collège et au lycée, un garçon qui ne réussit pas en mathématiques va être poussé à faire mieux alors que si une fille ne réussit pas, on va se dire que c'est normal et qu'elle réussira dans une autre matière », se désole Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes Ingénieures et directrice générale de l'Institut supérieur d'électronique de Paris (ISEP), avant d'ajouter que « l'image véhiculée n'est pas la bonne ».

Ainsi, selon elle, dès le collège, les attentes ne sont pas les mêmes pour les filles et les garçons en matière d'enseignement scientifique, et comme elles ne sont pas réellement aidées, les jeunes filles se tournent plus généralement vers les matières littéraires.

Plus en amont, « les thématiques des projets portés par les écoles primaires ne sont que très peu liées aux sciences », explique à La Tribune Aline Aubertin, un frein supplémentaire qui ne pousse pas les jeunes filles à s'engager dans des parcours scientifiques.

La famille a également un fort impact sur cette disparité d'orientation entre filles et garçons. En effet, bien que la grande majorité des parents interrogés par Harris Interactive du 19 au 26 juillet 2021 souhaitent que leurs enfants deviennent ingénieurs (81%), ils dirigent plus souvent cette ambition sur leurs fils. « Les parents préfèrent généralement que les fils soient ingénieurs, et que les filles se dirigent vers d'autres métiers » constate Aline Aubertin avant d'ajouter que « les filles font face à une accumulation de stéréotypes, et ces derniers sont véhiculés dans les médias ».

« Une image trop masculine »

Ces stéréotypes, multiples dans le secteur de l'ingénierie, agissent comme des freins à l'entrée des femmes dans la profession. Les métiers de l'ingénierie ont une image plutôt masculine, voire « trop masculine » pour 47% des femmes interrogées. « Les causes sont diverses mais la première est la mise en œuvre de stéréotypes qui assignent les métiers à un genre », explique à La Tribune Aline Aubertin. Ainsi, les femmes ou jeunes filles se conforment aux stéréotypes, selon lesquels les sciences sont attribuées aux hommes et qu'il est plus difficile pour elles d'y accéder. Toutefois, les jeunes filles ont certains modèles féminins passés par les filières scientifiques tels que Elisabeth Borne, actuelle Première Ministre et diplômée de Polytechnique ou Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie et diplômée de l'Ecole Centrale Paris.

Dans cet univers d'hommes, une plus grande difficulté à faire carrière constitue un second frein pour 42% des femmes interrogées, un facteur à nuancer selon la présidente de Femmes Ingénieures. « Le plafond de verre n'est pas un frein parmi les jeunes car elles ne le voient pas. Elles pensent que cela n'existe plus et ce qui les freine est différent », précise Aline Aubertin.

Toutefois, dans les faits, les postes à responsabilité sont plus difficiles à atteindre pour elles et, à travail égal, les femmes ne perçoivent pas les mêmes salaires que leurs homologues masculins. Ainsi, si le salaire médian de départ des hommes est désormais de 36.000 euros par an, les femmes ingénieures ne gagnent que 34.650 euros en début de carrière selon l'IESF. Cette différence de rémunération est multipliée par treize en fin de carrière pour atteindre 17.597 euros (85.000 euros par an pour les femmes contre 102.597 pour les hommes), preuve que les inégalités salariales se creusent.

Finalement, pour 21% des femmes interrogées par l'IESF, les exigences du métier sont un frein pour elles. « On conseille aux filles de ne pas se lancer dans ces filières mais la difficulté de celles-ci est un stéréotype », explique Sabine Lunel-Suzanne, présidente de l'association Elles bougent et directrice de projets RH & transformation chez EQUANS France.

Des clichés à combattre

Face à ces multiples clichés, de nombreuses associations comme Elles bougent et Femmes Ingénieures prônent l'éducation des enfants, et notamment des jeunes filles, dès l'école primaire afin de mettre en lumière les métiers de l'ingénierie. « Il faut mieux communiquer et mieux informer ces dernières (...) dans les collèges, lycées et mêmes en études post-bac car si elles ont une connaissance approfondie de ces métiers, cela va participer à la déconstruction des stéréotypes », promet Sabine Lunel-Suzanne.

Au-delà du milieu scolaire, l'enjeu est d'orienter ces femmes vers le monde professionnel où il manque 20.000 ingénieurs par an. Elles bougent met ainsi en relation des établissements d'enseignement supérieur et des entreprises afin de faciliter le recrutement et d'apporter de la visibilité à certain secteur de l'ingénierie. « Nous travaillons aujourd'hui avec plus de 200 entreprises partenaires » conclut Sabine Lunel-Suzanne.

L'ingénierie, secteur que la réforme du bac n'a pas avantagé

« La réforme du bac a eu un effet calamiteux » déplore Marc Rumeau, président de l'IESF, devant la presse. L'année scolaire 2020-2021 a été marquée par la suppression des filières S, ES ou L mais également par la suppression des mathématiques du tronc commun. Cette décision a alors entraîné le décrochage de beaucoup d'élèves. « La réforme du bac n'a pas aidé car dans les faits, il y a eu une fuite des élèves, garçons et filles, des maths » explique Sabine Lunel-Suzanne et, en 2021, 36% d'entre eux ne prenaient plus l'option mathématiques dès la Première.

Même si le gouvernement est revenu sur cette décision en juillet 2022 en réintégrant les mathématiques au tronc commun à la rentrée, beaucoup considèrent que cela n'est pas suffisant. En effet, selon la présidente de Femmes Ingénieures, cette nouvelle réforme vient en réponse au fait que tout le monde doit faire un minimum de mathématiques pour avoir certaines bases, mais ce n'est pas pour autant que cela va promouvoir les filières scientifiques. « Cela ne sera pas suffisant, il faut une meilleure information des jeunes » explique la présidente de l'association Elles bougent avant de préciser que « quand on fait des mathématiques mais qu'on ne sait pas à quoi ils vont nous servir, cela ne donne pas forcément envie mais savoir qu'il y a des débouchés change la donne ».

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Commentaires 3
à écrit le 30/09/2022 à 9:35
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On pense toujours que manipuler son environnement et ceux qui y vivent est une bonne chose ! Pour cela, on construit des dogmes qui s'éloignent de l'adaptation ! Agir sur l'éducation en fait parti ! ;-)

à écrit le 30/09/2022 à 9:31
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je rejoint le commentaire de MdR, le femmes qui sont douées a l ecole font autre chose qui est bien plus remunerateur qu ingenieur ! On voit bien que l auteur n a jamais travaillé en SSII pour ecrire que les NTIC sont les emplois les plus remunerateu...

à écrit le 30/09/2022 à 8:17
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"« Cette proportion de femmes dans les secteurs les plus porteurs et les plus rémunérateurs comme les NTIC (nouvelles technologies de l'information NDLR) " Encore une assertion qui démontre la grande connaissance du métier par l'auteur de l'articl...

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