Vendeur à l’ère digitale : un métier en voie de disparition ? (1/5)

Le vendeur en magasin, dernier médiateur physiquement présent entre une marque et son client, voit sa place remise en question par l’essor des ventes en lignes. Cet acteur-clé de la distribution personnifie certains des plus grands défis que le e-commerce pose au commerce traditionnel. A commencer par son existence même.
Marina Torre
Après avoir habitué les consommateurs au libre service, les hyper- et supermarchés adoptent l'encaissement automatique et le paiement sans contact.

De longues rangées d'étagères pleines, des rayonnages sans fin, des vignettes pour chaque produit, des étiquettes virtuelles pour aller encore plus loin, et, au bout du magasin, des péages automatiques pour régler ses emplettes. Toujours plus de produits, disponibles à portée de main et qui ont pour mérite d'être là, précisément quand l'acheteur en a besoin. Peut-être même commandés à distance et livrés en magasin pour éviter d'avoir à prendre un jour de RTT afin de réceptionner son colis. Un panier réglé en quelques clics voire même à la volée par un système sans contact... Mais de vendeur aux petits soins, point. Et si c'était cela le magasin de demain?

Echoppe sans marchand

L'idée d'une échoppe sans marchand, et même... sans achat fait son chemin. A New York, la marque de vêtements pour femmes Kate Spade a développé avec le site d'enchères en ligne eBay une vitrine-magasin qui expose des produits et permet aux clients de les commander sur un écran tactile.

Sans aller jusqu'à cette extrême, la tendance au "click and collect", qui consiste à commander en ligne pour ensuite aller chercher son produit en magasin, séduit de plus en plus d'enseignes comme le distributeur de vêtements pour enfant Du Pareil au Même ou bien la Fnac. Plus largement encore, le libre-service popularisé en France par Michel Edouard Leclerc au début des années 1950 reste une valeur sûre, en particulier pour les produits de grande consommation. Dans ces cas-là, le rôle du vendeur paraît bien secondaire.

100.000 nouveaux postes de vendeurs d'ici 2022

Pourtant, un chiffre vient contredire l'intuition selon laquelle le métier de vendeur tendrait à disparaître, du moins pour la France. Il émane de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail qui publiait début juillet une étude prospective sur l'avenir des métiers d'ici les dix prochaines années. Selon le scénario le plus pessimiste, le nombre de créations nettes d'emploi de vendeurs dans le commerce entre 2012 et 2022 s'élèverait à 81.000. Le plus optimiste table sur 110.000 et le médian sur 100.000. Un niveau certes inférieur aux 119.000 créations nettes enregistrées entre 1992 et 2002, mais près de trois fois plus élevé que celui de la dernière décennie (voir tableau ci-dessous).

Dares 2014 métiers d'ici 2022

Créations d'emplois par secteurs d'activité (source Dares - juillet 2014)

Les départs à la retraite influeront peu sur les futurs recrutements, justement en raison de la jeunesse des vendeurs actuellement en poste, pointent les statisticiens à l'origine de cette étude. Néanmoins, "les recrutements resteront nombreux du fait d'un important turn-over, dû à des conditions salariales, horaires ou d'activité souvent difficiles", soulignent les auteurs. D'où un nombre total de postes de vendeurs à pourvoir d'ici 2022 bien plus élevé que celui des créations nettes (232.000 selon le scénario central).

Chiffres à nuancer

Toutefois, ces données sont à nuancer en prenant en compte les différences selon les types de commerce et les tendances actuelles. Tous métiers confondus, l'emploi salarié dans le commerce à prédominance alimentaire a chuté de près de 4% entre 2010 et 2012, soit 23.000 emplois de moins environ, d'après l'Observatoire prospectif du commerce, rattaché au Forco (Organisme paritaire collecteur agréé du commerce et de la distribution). Il faut toutefois remarquer que ce chiffre ne précise pas qui des vendeurs ou des autres employés du secteur ont été les plus touchés.

Au cas par cas, il existe bien des magasins qui perdent des vendeurs. A titre d'exemple, Carrefour aurait supprimé 350 postes en deux ans dans les rayons informatiques et petit électroménager de ses hypermarchés, soit 1,5 par magasin, pointe ainsi l'un des responsables du premier syndicat du groupe, FO. Contactée, la direction de Carrefour n'a pas confirmé ce chiffre.

Le cas des caissiers

Surtout, il y a bien une catégorie qui devrait être affectée: celle des caissiers. Selon la Dares, leur nombre ne devrait pas suivre le rythme de croissance des employés de commerce, mais, au contraire, stagner.

Un mouvement observé de près par Sophie Bernard, maîtresse de conférence en sociologie à l'Université Paris-Dauphine. Rappelant que le "travail en caisse qui s'est vu  au fil du temps de plus en plus rationalisé et simplifié (notamment grâce à l'introduction du scanner)", elle souligne cependant que :

" Certains emplois peuvent disparaître, mais cela ne suppose pas un simple remplacement des salariés par les machines ou par les clients mais une nouvelle répartition des tâches entre salariés, clients et machines."

(...) On pourrait imaginer que cette recomposition des tâches pourrait permettre une présence plus importante de salariés en vue de répondre ou d'assister les clients, en somme de développer les services fournis aux clients. À l'heure actuelle, ce n'est pas le choix opéré en France (mais plutôt dans les pays anglo-saxons), les distributeurs français y voyant plutôt l'occasion de réduire leurs coûts."

Par ailleurs, compte tenu des différents profils de clients, plus ou moins à l'aise avec le fait de scanner eux-mêmes leurs étiquettes, les dispositifs classiques continuent de coexister avec les caisses automatiques. Autrement dit, même la fonction de caissier devrait survivre, mais elle évoluerait pour devenir une opération de soutien et de contrôle, susceptible d'être directement confiée aux vendeurs.

Deux stratégies

Etudes statistiques et socio-économiques prévoient donc qu'à moyen terme, les vendeurs ne devraient non pas disparaître, mais devenir au contraire plus nombreux. Une analyse que confirment les observations empiriques de certains professionnels de la grande distribution.

Ainsi pour Henri Danzin, co-président de l'agence de conseil Oyez, qui propose des solutions pour digitaliser des magasins et a notamment coopéré avec Darty et But pressent :

"Il y aura deux extrêmes : le libre-accès au produit dans le cas où l'on n'a pas besoin du vendeur, on sait ce que l'on veut et on le veut tout de suite - c'est la stratégie de Darty qui a revu ses rayonnages pour donner davantage de place au libre accès - et une stratégie fondée sur le premium où les vendeurs sont au contraire très présents pour répondre aux questions des clients. "

"Complémentarité"

Enfin, rappelons que s'il progresse très rapidement, l'e-commerce représente une part minoritaire des ventes de biens de consommation en France (7% hors alimentaire selon une étude du cabinet Xerfi portant sur des chiffres de 2012).  En outre, le "taux de transformation", indicateur très prisé des commerçants qui mesure le rapport entre l'éventuelle intention d'achat (entrée dans le magasin physique, visite de la boutique virtuelle) et la transaction réalisée, serait "vingt fois plus important" dans les commerces physiques. D'ailleurs, les consommateurs français restent encore attachés à ces derniers. L'idée d'une disparition progressive du magasin, et donc du vendeur, semble à exclure.

En revanche, l'idée de "complémentarité" entre les deux modes de vente paraissant largement acquise, le rôle spécifique du vendeur en magasin en paraît d'autant plus bouleversé. Surtout lorsque les distributeurs transforment leurs magasins physiques en espaces "connectés" et équipent leur personnel sur place quasiment de la tête aux pieds.

>> Vendeurs à l'ère digitale: suréquipés, mais avant tout "humains"(2/5)

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Pour aller plus loin

Bernard Sophie, Travail et automatisation des services,  éditions Octares, Toulouse, 2012.

Marina Torre

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Commentaires 18
à écrit le 26/08/2014 à 9:03
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Un bon vendeur arrive à vous faire acheter ce dont vous n'avez pas besoin.Ce talent est rare mais il existe.Ca ne s'apprend pas à l'ecole ni à la fac, on l'a ou pas,Le chiffre d'affaire d'une entreprise peut être multiplié par 2 grâce à ses vendeur...

à écrit le 25/08/2014 à 18:54
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un vendeur est celui qui arrive à vendre un (s) produit (s) à une personne qui n'était pas acheteuse . dans un magasin c'est un employé de libre service qui fait office de GPS et accessoirement un conseiller technique .

à écrit le 25/08/2014 à 15:58
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... que les jeunes ne veulent pas faire et les employeurs ne pas laisser de marge de négociation ... la faute est des deux cotés .... vendeur en GMS ça n'existe pas .... seulement conseillé ... rien de plus ...

à écrit le 25/08/2014 à 15:55
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ben, voilà : plus de caissières, plus de vendeurs pour nous renseigner, plus de personnel dans les banques, à la place des machines , tout automatique, plus de contacts avec les gens, que du virtuel..et comment faire vivre des individus qui sont de p...

le 25/08/2014 à 21:01
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Aux USA une nouvelle expression est née: la croissance sans emploi et cela fait débat. Il ne faut pas oublier que l'objectif des entreprises est de faire de l'argent avec le moins de personnel possible. Cela a un nom: la productivité.

à écrit le 25/08/2014 à 14:24
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Quand tout sera automatisé, d'où proviendront les revenus des gens ? la technologie impose une croissance des capacités des gens pour rester "adaptés" ainsi qu'une augmentation de la consommation pour compenser les gains de productivité, on doit ains...

à écrit le 25/08/2014 à 14:17
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En voie de disparition aussi ? Pour ma part j'ai quitté ma banque traditionnelle pour une banque en ligne après avoir compris que j'avais eu 150 euros de frais l'an dernier... et aucun avantage à rester dans cette banque avec ce "conseiller" qui ne c...

le 25/08/2014 à 19:04
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Quelle banque en ligne ?

à écrit le 25/08/2014 à 13:54
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je me refuse à utiliser les scanners, donc à faire le boulot de la caissière, sauf à avoir une ristourne significative.

le 25/08/2014 à 15:59
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il vaut mieux, car ce n'est pas intervenir en faveur des caissières! là, aussi, un jour, elles auront disparues si on n'y prend pas garde..un monde de dingues !!!!!

à écrit le 25/08/2014 à 13:40
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Les vendeurs chez Darty, Renaut n' y connaissent rien dans leur produits, aucunes notions techniques, alors ils ne servent pas à grand chose !!! Chez Draty ils ne savent même pas ce q' est un PVR sur une Télé, chez Renaut ils ne savent pas vous rense...

le 25/08/2014 à 13:57
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et encore chez Renault, faudrait-il qu'un vendeur prenne le temps de s'occuper de vous, avant de vous dire qu'il n'a pas le temps. Résultat: voiture achetée chez le concurrent en face.

à écrit le 25/08/2014 à 13:10
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vu qu une bonne partie des vendeurs n ont aucune idee de ce qu ils vendent, c est pas forcement un mal

à écrit le 25/08/2014 à 9:58
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C'est une évidence que tous ces métiers vont disparaître ! Quand je lis que certains ne sont pas à l'aise pour scanner leurs achats, je rigole. Quand il n'y aura plus que cela, il faudra bien qu'ils s'y mettent s'ils veulent manger. Même topo pour le...

à écrit le 25/08/2014 à 9:44
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Un jour découvrira-t-on peut-être que des usines sans ouvrier, des banques sans employé et des boutiques en ligne sans vendeur ont un petit impact sur notre système social reposant sur l’existence de revenus du travail…et sans doute sur le fonctionne...

le 25/08/2014 à 13:42
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Et un gouvernement sans ministres !! Des régions sans président et conseilliers régionaux... le top quoi !!!!!!!

le 25/08/2014 à 16:03
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une vie à la "MAD MAX " quoi !

le 25/08/2014 à 16:04
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rien que de ne plus voir leurs bobines!...le pied !!!!!

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