Vendeur à l’ère digitale : suréquipé, mais toujours “humain” (2/5)

Le vendeur en magasin concentre les défis posés par le développement du commerce virtuel. Pressé de vendre toujours plus tout en dépensant moins, concurrencé par d’ingénieux algorithmes et défié par des clients méfiants et bien informés, il voit son rôle transformé et son équipement doté de nouveaux outils de travail.
Marina Torre
Les Google Glass, lunettes à réalité augmentée, équipent déjà, pour une expérimentation, des vendeurs de Darty.
Les Google Glass, lunettes à réalité augmentée, équipent déjà, pour une expérimentation, des vendeurs de Darty. (Crédits : <small>Wikipédia / Google</small>)

Ils "débarquent avec des feuilles A4 où figurent toutes les spécificités du produit, avec des connaissances supérieures à celles du vendeur".  Ces clients de l'ère digitale décrits par Henri Danzin, co-président de l'agence de conseil Oyez, spécialisée dans la conversion des détaillants au numérique, donnent du fil à retordre aux "vendeurs 3.0". D'autant plus que, bien souvent, cette fameuse feuille A4 est remplacée par un smartphone où s'affiche non seulement les caractéristiques du produit désiré, mais aussi son prix comparé à celui pratiqué chez le concurrent, ou bien des produits similaires.

Sujet de "frictions"

Plus des trois quarts des consommateurs se renseignent sur internet avant d'acheter en magasin, selon plusieurs études concordantes, notamment celle de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) parue en 2013. Et deux possesseurs de smartphone sur cinq le font directement en magasin, non seulement pour comparer les prix ou obtenir des informations sur un produit mais "pour montrer un produit aux vendeurs."

Or, ceci constitue une source potentielle de tensions entre clients et vendeurs explique Pascal Barbier, sociologue spécialiste du travail à l'Université Paris-Descartes et auteur en 2012 d'une étude de terrain sur les vendeurs des Grands magasins. Le fait que le client dispose d'informations sur son smartphone

"remet en cause précisément ce en quoi le vendeur tient son prestige, c'est-à-dire sa fonction de conseil, et cela donne de plus en plus souvent lieu à des frictions avec le client".

Afin de leur permettre de se battre à armes égales de plus en plus de groupes distribuent à leur personnel "sur le terrain" de quoi en savoir au moins autant que leurs clients. Plus prosaïquement, ces outils servent d'abord de moyens d'accès aux bases de données internes, afin de savoir en temps réel si un produit est disponible en stock, mais sans avoir à revenir vers un poste fixe en magasin et donc en gardant sa "cible" à l'œil.

"Super-vendeur"

A cet égard, Darty fait figure de précurseur. Dans un magasin francilien, le distributeur de produits électroménagers expérimente... les Google Glass. L'avantage? "Le vendeur a les mains libres", vante Christophe Cadic, responsable de la digitalisation de Darty. "Plus besoin de faire mille allers-retours", il peut vaquer à ses occupations, et si un client lui demande des informations sur un produit, il lui suffit de scanner le produit grâce au capteur placé sur les lunettes à réalité augmentée, grâce à une commande vocale. Les informations apparaissent alors devant ses yeux.

"Nous allons transformer le vendeur en 'supervendeur' ", clame Christophe Cadic. Si les vendeurs de Darty sont encore loin d'être tous revêtus d'un attirail digne de "robocop", le groupe a entreprise de distribuer à plus grande échelle des "phablettes" (plus grandes qu'un smartphone, plus petite qu'une tablette), déjà en service dans une quinzaine de magasins sur les deux cents que compte l'enseigne. Un comparateur de prix développé en interne par un prestataire de service est en préparation.

"Ramener le contenu extérieur"

Un choix loin d'être anodin car pouvoir comparer les prix, c'est ce qu'exigent en priorité les consommateurs à propos des applications développées par les marques, du moins si l'on en croit cette étude de l'observatoire Cetelem de 2014.

"L'idée consiste à ramener le contenu extérieur à l'intérieur du point de vente", opine Henri Danzin. En outre, tablette ou smartphone joueraient le même rôle tenu autrefois par le catalogue en papier, support quasi "pédagogique" entre le client et le vendeur. Du moins est-ce ainsi que plusieurs professionnels du secteur présentent-ils l'introduction de ces nouveaux outils.

Le client, principal moteur de l’innovation

Encaisser le client

Derrière la volonté, réelle, de libérer le vendeur de l'angoisse d'en savoir moins que son interlocuteur, se cachent d'autres ressorts. En premier lieu, le matériel qui les équipe sert de plus en plus souvent à encaisser le client. Darty compte s'y mettre et équiper les phablettes de "terminaux de paiement électroniques" qui éditeront des tickets imprimés dans des bornes en magasin.

Le vendeur-caissier cumulant alors deux avantages pour l'entreprise : une économie de main d'œuvre, et une économie de temps entre le moment où le client réfléchit à son achat et celui où il paye...

Conseil personnalisé

Ensuite, tablette, smartphone, et, peut-être à l'avenir lunettes à réalité augmentée donnent non seulement accès à des informations sur les produits ou les stocks mais aussi à de précieuses données sur le client. Par exemple son historique d'achat, pour lui proposer d'autres objets du même type, et surtout son niveau de dépense moyen... Bref de quoi savoir s'il vaut la peine de passer du temps avec lui, et comment tenter de faire grimper le prix de son panier.

Problème : proposer des produits similaires à ceux déjà achetés correspond justement à l'un des principaux avantages compétitifs mis en avant par les sites de e-commerce comme Amazon. Dès lors, la présence dans un espace commercial physique d'un employé qui se bornerait à répéter des informations disponibles ailleurs gratuitement a-t-elle encore un intérêt ?

Le côté "humain"

"Un algorithme n'arrivera jamais à prévoir ce que peut ressentir un vendeur. Les algorithmes prédictifs définissent des scénarios dans lesquels les consommateurs doivent s'inscrire. Le vendeur écoute puis s'adapte. Il apporte le côté humain", rétorque Olivier Serfaty, PDG de "Step-in" qui développe des applications de géolocalisation pour plusieurs grandes marques de distribution.

"Le vendeur apporte un service personnalisé en fonction de la personne qu'il a en face de lui. Le client n'attend pas la même chose s'il vient acheter pour lui ou si c'est un cadeau, certains veulent des produits dans la même catégorie, d'autres des tailles différentes...", ajoute-t-il.

Ces doutes, seul un interlocuteur en chair et en os serait capable de les apaiser. Et c'est justement là que résiderait la plus grande valeur ajoutée du vendeur. Sur ce point, les opinions de plusieurs professionnels du marketing convergent.

"Expliquer au client ce qu'il sait déjà"

Jean-Marie Culpin, directeur marketing d'Orange, estime ainsi que :

"Le côté humain dans le travail du vendeur, c'est la partie conseil et la relation de confiance avec le client, surtout dans les domaines complexes."

Henri Danzin, chez Oyez, estime de son côté que le client se rend dans un magasin "car il a besoin d'être aiguillé", et que le vendeur doit "être capable d'expliquer au client ce qu'il sait déjà."

Il doit surtout être capable de fidéliser ce client, surtout si c'est un nouveau venu, et que l'entreprise ne dispose pas encore d'informations sur lui. Ses "données personnelles" (nom, mail, voire adresse postale, etc.), le si précieux sésame qui fait d'un acheteur le membre potentiel d'une communauté d'adeptes de la marque, c'est le vendeur qui sera chargé de les récolter en boutique.

Contrat de confiance

Une fois de plus, face aux doutes, aux méfiances éventuelles du client, qui pourrait craindre d'être submergé de sollicitations par courriel voire d'en dévoiler trop sur lui, le vendeur offrirait la garantie d'une confiance assurée grâce à son sourire et à sa chaleur humaine. En promettant, par exemple, quelque récompense sous forme de promotion...

Les distributeurs l'ont bien compris qui incitent leurs équipes à demander leur adresse mail au client lors de l'achat ou bien à leur proposer des cartes de fidélité. Le sociologue Pascal Barbier, qui pour son étude sur les grands magasins a lui-même intégré leurs rangs, se souvient avoir reçu des "sollicitations quotidiennes" pour "ouvrir à tous prix" des programmes de fidélisation.

Plus doué que l'ordinateur pour traiter des données

"C'est une des fonctions de conseil que d'expliquer aux clients l'intérêt et les avantages de communiquer des informations afin de personnaliser la relation", affirme ainsi Jean-Marie Culplin. "Son rôle d'empathie est crucial (...) Un être humain sera toujours plus doué qu'un ordinateur pour ce qui est du pré-traitement et de la collecte" des données concernant le consommateur, estime de son côté Henri Danzin.

Suréquipé, donc, mais bien présent, ne serait-ce que pour conforter le client dans son choix ou pour l'évangéliser, le vendeur à l'ère digitale devra aussi, contrepartie de cette évolution, mettre à niveau ses compétences.

>> Mercredi: Vendeurs à l'ère digitale : polyglottes, polyvalents ou ultrapointus? (3 / 5)

Marina Torre

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Commentaires 3
à écrit le 26/08/2014 à 10:36
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L'article est basé sur un quiproquo. Le vendeur n'est pas là pour conseiller le client mais pour l'amener à acheter le produit qu'on lui a demandé de vendre. Le client a besoin d'être aiguillé sur le produit le plus intéressant...pour le vendeur !

à écrit le 26/08/2014 à 8:35
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"fonction de technicien", "côté humain", etc. Tout ça, c'est du pipo, on demande au vendeur de vendre et c'est tout. Souvent, il connaît moins que le client parce qu'il ne s'intéresse pas à son boulot sachant qu'il ne va pas rester :-)

le 26/08/2014 à 9:45
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Et ce n'est pas vrai que pour les vendeurs...

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