Quand le magasin devient « phygital »…

Croissance du e-commerce, explosion du drive, consommateurs hyperconnectés : le magasin doit embrasser la révolution digitale s’il veut survivre. Tour d’horizon des évolutions en cours.
Les petites balises (beacons) d’Estimote permettent au magasin de localiser le téléphone portable d’un client présent sur le site et de lui adresser des informations sur les produits qui l’entourent…

Le showrooming va-t-il tuer le point de vente ? Cette pratique consiste à se rendre en magasin pour évaluer un produit, puis rentrer chez soi l'acheter en ligne, souvent moins cher. Une tendance engendrée par le taux d'équipement des consommateurs en smartphones et tablettes reliés au Net, devenus des « shoppers » surinformés, qui inquiète les enseignes, petites et grandes.

Hypermarchés ou boutiques de centre-ville, centres commerciaux ou magasins franchisés, tous les formats de distribution sont concernés par cette évolution des comportements consuméristes depuis la généralisation du haut débit, du WiFi et des appareils connectés.

Selon le troisième baromètre Connected Commerce de DigitasLBi, une enquête online réalisée dans 12 pays, 67% des Français auraient pratiqué le showrooming en 2014. Et 84% d'entre eux seraient prêts à quitter le point de vente si, en pianotant sur leur smartphone, ils trouvent un prix inférieur de 10% sur un site d'e-commerce ou dans un magasin concurrent.

Parmi les secteurs les plus touchés : l'équipement de la maison, la high-tech et les produits culturels. Pour répondre à ce défi inédit, les distributeurs n'ont plus le choix : ils doivent transformer leurs magasins en espace « phygital », mot-valise mêlant physique et digital inventé début 2013 par l'agence de marketing australienne Momentum.

Mais, selon Philippe Cahen, cette mutation doit être effectuée avec discernement et sans succomber aux effets de mode :

« Le geofencing*, par exemple, c'est de l'esbroufe. Les gens vont refuser ce genre de pratique. »

En revanche, offrir une connexion WiFi de qualité aux consommateurs n'encourage pas au showrooming, mais, au contraire, permet de les retenir dans les rayons.

« Avant de penser aux bornes interactives, aux tablettes tactiles ou aux écrans géants, commencer peut-être par leur offrir simplement la connexion WiFi », conseille Catherine Barba, consultante, dans son livre Le magasin n'est pas mort !

Équiper les magasins d'infrastructures de communication, c'est la tâche de Hub One Mobility, filiale d'Aéroports de Paris.

« Pour faire revenir les consommateurs dans les points de vente, il faut leur donner de bonnes raisons, comme leur permettre d'accéder au Net via des hot spots WiFi. Chez Feu Vert, par exemple, le client peut visiter les rayons pendant que son véhicule est réparé », explique Nicolas Delalande, directeur du développement.

Autre piste pour les enseignes : fournir des outils d'aide à l'achat -"du type bornes interactives -, et à la vente, comme des tablettes tactiles pour le personnel. Selon le baromètre DigitasLBi, 78% des consommateurs pensent que les vendeurs seraient plus efficaces s'ils étaient équipés de tablettes contenant les informations des produits. Apple a été un des premiers à le faire dans ses Apple Store.

But a suivi en installant des bornes en magasin et en fournissant des tablettes à ses vendeurs. Ces appareils connectés ont trois fonctions : présenter au client la totalité de l'offre, même celle qui n'est pas présente en magasin, accéder au site e-commerce de l'enseigne pour développer les comportements d'achat en cross canal (multicanal simultané), et permettre au client de régler pour lui éviter l'attente aux caisses. Des tablettes devenues encore plus pertinentes depuis la récente ouverture par le groupe de petits magasins de centre-ville dotés d'un assortiment réduit, les But City et But Cosy.

Toujours plus de mobilité et d'interactivité

Dans le magasin new-yorkais de Sephora (LVMH), l'enseigne de cosmétiques a supprimé toutes ses caisses au profit de tablettes. En France, les vendeuses utilisent un iPod touch et l'application My Sephora pour accéder aux données personnelles des clients en scannant leur carte de fidélité. Sephora ne semble pas craindre le showrooming. Lors du dernier Retail Big Show organisé en janvier à New York par la NRF (National Retail Federation), Johnna Marcus, directrice du marketing mobile et du magasin digital, déclarait :

« Nous pensons que les clients doivent pouvoir se servir de leur téléphone portable dans nos magasins. Votre smartphone est dans votre main en permanence, aussi nous utilisons l'expérience mobile pour modifier l'expérience d'achat. »

Exemple avec le programme de fidélité Beauty Insider. Les participants peuvent utiliser l'appli pour se tenir au courant des promotions en vigueur dans la boutique, récapituler leurs achats et les points de fidélité gagnés. Si le client est tout proche d'atteindre sa prochaine récompense, il aura tendance à effectuer un dernier achat avant de passer en caisse.

D'après Vincent Druguet, directeur général adjoint de Digitas France (Publicis), « cette technique permet d'augmenter le panier moyen de 10 à 20% ».

Darty a équipé fin 2013 les vendeurs de son magasin du centre commercial Beaugrenelle (Paris XVe) de tablettes connectées au catalogue et au stock du magasin. Grâce au logiciel développé par Oyez et à la technologie NFC (Near Field Communication ou communication sans fil à courte distance), le vendeur peut afficher le contenu de sa tablette sur un des seize écrans d'affichage dynamique du point de vente. Et montrer ainsi à son client les photos des produits, leurs caractéristiques techniques, les comparer avec d'autres du même type, afficher les avis de consommateurs, etc. Prochaine étape : procéder au paiement avec la tablette, une fonction qui n'est pas encore possible pour le moment dans ce magasin.

« Il faut éviter le goulet d'étranglement qu'est la caisse », estime Nicolas Delalande, de Hub One Mobility, qui a équipé les boutiques Hermès d'un outil de « caisse en mobilité » qui permet à la vendeuse de suivre la cliente dans son parcours d'achat et d'effectuer l'encaissement.

« Parler la même langue que les clients »

Bien sûr, ces dispositifs d'aide à la vente ont un coût. Selon Josselin Ollier, directeur des systèmes d'information de Nature & Découvertes**, il faut compter 10.000 à 12.000 euros pour un magasin (infrastructure technique, logiciel de paiement, tablettes). Le groupe l'a déjà fait dans trois de ses boutiques et compte équiper 40 points de vente (sur un total de 77) d'ici à la fin de l'année. Le retour sur investissement s'opère grâce à l'augmentation du panier moyen, et surtout en conservant des consommateurs susceptibles d'opter à tout moment pour un concurrent physique ou virtuel.

D'autres dispositifs qui ont fait parler d'eux ces dernières années, comme les vitrines interactives ou les cabines d'essayage virtuelles vues aux Galeries Lafayette, chez Morgan ou plus récemment chez Carrefour, semblent en perte de vitesse. En raison de leur coût - 70.000 euros pour une vitrine interactive, 15.000 euros pour une cabine virtuelle, selon Claire Koralewski, directrice générale de Fullsix Retail. En outre, ces technologies ne semblent pas encore vraiment au point.

« Ce sont des gadgets. La vérité, c'est qu'il faudra certainement quelques années pour qu'elles soient vraiment efficaces », estime Vincent Druguet.

« C'est surtout un moyen de faire du buzz à destination d'une clientèle jeune », ajoute Claire Koralewski.

En revanche, ces deux spécialistes de la vente au détail parient sur les balises (beacons), des petits émetteurs-récepteurs autonomes en forme de galet qui fonctionnent en Bluetooth. Faciles à disposer dans un magasin, ils sont capables de localiser un client situé dans un rayon de quelques mètres via son téléphone portable, et de lui envoyer des messages.

« Cela permet de faire du permission marketing ciblé. En téléchargeant l'appli de l'enseigne et en acceptant de recevoir des messages publicitaires, le client peut bénéficier de promotions véritablement personnalisées, puisque le dispositif peut le géolocaliser avec une grande précision et savoir dans quel rayon il se trouve », explique Claire Koralewski.

D'après la directrice générale de Fullsix Retail, plusieurs enseignes françaises vont tester ces beacons dont le coût est modeste (environ 70 euros par galet). Pour elle, la digitalisation des magasins est inéluctable, même si aucune enseigne n'est encore mature sur ce sujet. Mais certains signes ne trompent pas :

« On est en train de voir apparaître des directeurs omnicanal, ou cross canal, aux Galeries Lafayette et chez Lapeyre, par exemple. »

Pour une majorité de consommateurs, le magasin reste un lieu incontournable pour effectuer ses achats. Mais il doit dorénavant inventer des passerelles vers l'univers virtuel d'Internet, au risque de voir la clientèle déserter ses rayons.

« Pour ne pas être en décalage, les commerçants doivent travailler avec les outils d'aujourd'hui pour parler la même langue que leurs clients ; apprendre à apprivoiser le web-to-store, le web-in-store et enrichir leurs offres et leurs services avec le digital. Il n'y a pas de meilleur moyen aujourd'hui pour faire revenir ses clients et en attirer de nouveaux », conclut Catherine Barba.

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(*) La technique permettant aux magasins d'envoyer des messages sur le mobile des clients dans leur zone de chalandise, par SMS ou via une application mobile.
(**) Dans le livre blanc « Digitalisation du point de vente : sortir du fantasme ! », de Hub One.

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Commentaires 3
à écrit le 08/07/2015 à 16:57
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L'article traite d'un sujet très interessant, malheureusement ce sont uniquement des généralités : - Le geofencing va être refuser par le consommateurs mais les enseignes le pousse via beacon ? - Borne Tactile : Non merci, j'ai mon smartphone sur...

à écrit le 30/09/2014 à 10:38
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Pour info, les beacons n'envoient pas d'information ! c'est l'application téléchargée qui interagit en fonction de l'ID du beacon. L'intelligence est portée par l'application.

à écrit le 28/08/2014 à 12:15
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Intéressant ces beacons... Il y a 10ans ça existait déjà en AFS...! ET il suffit de ne pas activer le BT pour ne pas être.....

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