Vendeur à l’ère digitale : travailleurs low-cost pour service de luxe ? (5/5)

Le vendeur en magasin incarne les grands enjeux posés par le développement du commerce virtuel. Son existence même est remise en question tout comme l’évolution de son équipement et de la plus-value qu’il apporte. Le cinquième et dernier épisode de cette série sur les vendeurs connectés explore le corolaire de ces changements : une évolution de sa rémunération.
Marina Torre
Les vendeurs chez Apple ne reçoivent pas de commissions sur les ventes.

"En boutique physique, le service est plus cher mais avec un côté humain. Les gens en ont besoin et ils sont prêts à payer pour ça."

C'est ainsi qu'Olivier Serfaty, PDG de "Step-in", qui développe des applications de géolocalisation pour plusieurs grandes marques de distribution, synthétise la révolution opérée par les boutiques physiques et vécue par leur personnel. L'évolution des compétences des vendeurs indirectement induite par l'essor du e-commerce et des nouveaux canaux de distribution devrait logiquement aboutir à une amélioration de leurs revenus et plus largement des conditions de travail et perspectives de carrière. Mais qu'en est-il réellement?

Du simple au double

En premier lieu, il faut prendre en compte des fortes disparités entre les types de commerce. Ainsi, un vendeur travaillant dans un commerce "moyen de gamme" gagne en moyenne entre 16.000 et 19.000 euros bruts par an en début de carrière tandis que dans le luxe, il percevra plutôt entre 22.000 et 27.000 euros. Et même jusqu'à 36.000 euros après plusieurs années de carrière, d'après l'étude du cabinet Hays publiée début 2014. La maîtrise d'une langue "rare" peut même permettre à certains de prétendre à 40.000 euros. Un vendeur de la grande distribution interrogé par La Tribune évoquait pour sa part 20.400 euros annuels (soit 1.700 euros par mois).

S'agissant de l'évolution salariale, il existerait une stagnation pour les plus bas salaires et, au contraire, une "inflation" pour les profils les plus recherchés, indique Lionel Deshors, dirigeant de CCLD, cabinet de recrutement spécialisé dans la distribution.

Le cabinet Hays note dans son rapport:

"Dans la grande distribution, les salaires ont tendance à stagner [en 2013], contrairement à l'année dernière où les directeurs de magasins étaient prêts à offrir davantage à leurs nouveaux collaborateurs. Aujourd'hui, ils ont plutôt tendance à proposer une rémunération égale à celle qu'avait le candidat à son précédent poste plutôt que de proposer davantage."

"Apple ne me fait plus rêver"

Plus généralement, toute la difficulté consiste à prendre en compte la fameuse valeur ajoutée du vendeur. Doit-elle ou non être mesurée par une commission sur les ventes? Et jusqu'à quel point le vendeur se sent-il réellement "récompensé" pour avoir fidélisé des clients?

Sur ce point, le géant américain Apple a fait figure de modèle. Ses "spécialistes", qui lors de leur formation à l'embauche apprennent à se comporter comme des "amis" pour les clients qu'ils doivent transformer en "promoteurs", ne touchent aucune part variable dans leur rémunération. Le but : éviter une compétition entre les employés afin que ceux-ci prennent leur temps pour que chaque client ait le sentiment d'avoir eu droit à un traitement unique.

Mais ce système pècherait par l'absence d'évolution salariale ou de perspectives de carrière estiment certains salariés  Particulièrement désenchanté, Fred*, vendeur depuis quatre ans dans l'une des boutiques parisienne d'Apple, confie:

"Je suis là pour donner une bonne image d'Apple et représenter la Pomme le mieux possible, mais j'ai eu trente euros d'augmentation en un an. A Noël, on a reçu une sucette, une carte cadeau iTune périmée et un sweet à capuche. Pour une boite qui pèse des milliards de dollars, je trouve ça honteux. Quant aux promesses de passer 'dans les bureaux', je n'en ai pas vu la couleur. Et puis je ne sais jamais à l'avance si je vais travailler le samedi. J'avais des étoiles dans les yeux mais aujourd'hui Apple ne me fait plus rêver. Quel intérêt pour moi de créer des promoteurs alors qu'Apple fait de moi un détracteur? "

En 2012, des salariés d'Apple en France avaient tenté un mouvement de grève et marqué leur désapprobation concernant certaines conditions de travail en arborant des bracelets. Leurs revendications ont été entendues sur certains points - ils ont obtenu des fontaines à eau et des tickets restaurant. Contactée pour évoquer ce sujet, la direction du groupe en France a indiqué qu'aucun porte-parole n'était disponible pour évoquer ce sujet.

Vendeurs-caissiers, quelle responsabilité?

Ailleurs, c'est la polyvalence qui pose problème. Lorsque les clients peuvent régler directement leurs achats en rayon grâce aux moyens mis en place, les vendeursse transforment en caissiers. Or, "être caissier est une responsabilité car il s'agit de manipuler de l'argent, il peut y avoir des erreurs, d'autant plus importantes qu'il s'agit souvent de produits plutôt onéreux. Mais il n'y a pas de formation pour cela", regrette Laurent Dégousée, représentant chez Sud-Commerce qui avait mené la bataille sociale chez Virgin Megastore.

Surtout, certains vendeurs se sentent parfois concurrencés par les nouveaux canaux de distribution. "il y a souvent une mauvaise perception du site chez les vendeurs car ils ne touchent aucune commission sur les ventes conclues en ligne", reconnaît Henri Danzin  co-président de l'agence Oyez qui développe des solutions pour connecter les vendeurs en magasin

Amorcée en magasin, conclue sur internet

"Quand la direction a voulu installer des bornes entre les linéaires afin de proposer de réaliser des commandes sur internet, nous les avons boycottées", se souvient Brahim Messaouden, vendeur chez Carrefour et représentant syndical (Force Ouvrière), qui précise que plusieurs organisations réclament depuis 2007 un intéressement sur les ventes en ligne.

Chez d'autres acteurs aussi, il est de plus en plus question d'intégrer une part variable dans la rémunération des vendeurs - pas seulement au niveau collectif ou pour les seuls chefs d'équipes - pour prendre en compte les transactions sur internet. Seulement, cela pose problème lorsque les groupes sont organisés en entités distinctes. Quand une transaction est amorcée en magasin mais conclue sur internet, ce sont bien souvent deux filiales différentes qui entrent en jeu, la première devrait donc facturer un service à la seconde pour rémunérer les vendeurs.

Concrètement, des solutions commencent à émerger... Jean-Marie Culpin, directeur marketing chez Orange, explique :

"Dans certaines boutiques en Europe, nous testons des moyens d'inciter les vendeurs à compléter leurs achats en ligne. L'idée consiste à donner au client un code d'activation qu'il inscrira sur le site. Le nom d'un vendeur est associé à ce code. En cas d'achat en ligne, le vendeur sera récompensé. Une promotion pourra être associée à l'activation de ce code, afin d'inciter les clients à l'inscrire."

Il faudra donc miser sur le bon vouloir du public. Signe que s'ils sont toujours indispensables pour rassurer, mais concurrencés par des sources d'informations extérieures, idéalement plus compétents pour transformer un désir en achat mais surtout nécessaires pour convertir des curieux en fidèles, ils ne sont plus seulement là pour vendre, c'est leur présence même que le client achète.

- - -

* Le nom a été modifié à la demande de ce vendeur pour préserver son anonymat.

Marina Torre

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.