La Redoute contre 3Suisses : qui réussira le premier le virage du e-commerce ?

La vente à distance en France a engagé sa mue vers un nouveau modèle, résolument centré sur la vente en ligne. Laquelle de ces deux enseignes est la mieux placée pour remporter la course ? Et surtout à quel prix social...
Marina Torre
Pour sa mue, Kering, l'ancien propriétaire de La Redoute avait mis en enveloppe de 500 millions d'euros sur la table, dont 180 pour le plan de sauvegarde de l'emploi.

Nouvelle devanture pour l'une, arrière-boutique rénovée pour l'autre. En cette rentrée 2014, 3Suisses (la marque à perdu son article déterminant en faisant sa cure de jouvence) comme la Redoute exposent leur garde-robe rénovée. De quoi permettre d'évaluer leurs plans de mutation respectifs effectués au prix de lourdes sanctions sociales.

Un coup d'avance face au rouleau compresseur du e-commerce

Ces deux "vieilles" maisons françaises avaient un coup d'avance. Pionnières de la vente à distance, elles avaient été les parmi les premières à créer des sites internet (1994 pour La Redoute et 1995 pour Les 3Suisses) et avaient misé très tôt sur des offres de livraisons aux délais raccourcis via des "points relais". Henri Isaac et Pierre Volle, enseignants-chercheurs en marketing à l'université Paris-Dauphine, font remarquer intituté Ecommerce : de la Stratégie à la mise en œuvre opérationnelle (Pearson,   :

"Un tel réseau, est, à l'évidence, une ressource essentielle dans la logistique du commerce électronique car sa capillarité est très élevée".

Pourtant, face aux géants Amazon, eBay ou d'autres acteurs plus spécialisés comme Zalando, leur modèle, tout comme celui de la vente à distance "historique", n'a pas tenu le choc. Ainsi, depuis 2009, la part de marché des "véadistes" traditionnels n'a-t-il cessé de chuter, perdant plus de un milliard d'euros au total (de 5,7 milliards à 4,2 en 2013 selon le cabinet Xerfi), quand celui de leur concurrent explosait.

Dans le détail, 3Suisses part de plus loin encore que La Redoute. Le groupe 3SI  - anciennement 3 Suisses International - racheté en 2013 en totalité par le groupe allemand Otto, affichait une perte cumulée de 300 millions d'euros au cours des cinq dernières années, dont environ 62 l'an dernier. Le tout pour un chiffre d'affaires annuel d'environ 400 millions d'euros.  De son côté, La Redoute, qui appartenait jusqu'au mois de juin à Kering (ex-PPR) a perdu près de 50 millions d'euros par an depuis 2012. En outre, signe que les deux acteurs ne jouent pas tout à fait dans la même cour : ses ventes au totales, dépassaient le milliard d'euros jusqu'en 2012.

Pour autant, forts d'une très ancienne notoriété, ces deux enseignes restent encore bien présentes dans le paysage commercial. Ainsi, du point de vue des ventes de prêt-à-porter féminin, l'une de leurs activités principales, la vente à distance traditionnelle reste bien placé. Les femmes y ont consacré 9,9% des 183 euros dépensés en moyenne au au premiers semestre 2014, selon la Fédération française du prêt-à-porter. C'est plus que les "autres circuits" dont les sites spécialisés dans la vente en ligne font partie, qui voient leur part de marché croitre mais restent à 6%. (Voir graphique ci-dessous).

Le "gros catalogue" à la poubelle

Dans ce contexte, la première étape fut de se débarrasser du "big book", le fameux gros catalogue édité deux fois par an qui rigidifiait le processus commercial. En effet, il fallait prévoir collections et stocks pour six mois, quitte à se débarrasser à bas prix des invendus en fin de saison.

Le rythme accéléré impulsé par les enseignes verticales telles que Zara par exemple et amplifié par les ventes sur internet les ont contraints tous deux à remplacer ce lourd objet par des catalogues beaucoup plus léger édités plusieurs fois par an. Ainsi La Redoute propose-t-elle 8 collections - bientôt 10 - par an et autant de catalogues ainsi qu'un spécial ameublement. Tandis que 3Suisses de son côté édite des catalogues hybrides rebaptisés "magalogues", éditorialisés sur le modèle des magazines de mode avec des associations de vêtements proposés.

Nouveaux entrepôts

Le deuxième élément à réinventer afin de mettre en application ces nouvelles stratégies, c'est bien sûr la logistique. 3Suisses a démarré en premier avec un nouveau centre de 36.000 m2 inauguré fin 2012, situé à Hem dans le Nord. Puis, en février 2013, le groupe lançait Dispeo, une société spécialisée dans la préparation de commandes pour l'e-commerce, qui possède un espace de 145.000 m2 d'entrepôts en tout et peux traiter 180.000 colis par jour.

Plus récemment, La Redoute a annoncé jeudi 12 septembre l'acquisition d'un site de 42.000 m2 à proximité de son centre de la Martinoire à Wattrelos dont toute l'organisation technique est confiée au spécialiste de l'automatisation, Dematic.

>> Qui est Dematic, le possible sauveur de La Redoute?

L'objectif assigné au nouveau système : réduire le temps de préparation des colis de deux jours à... deux heures. Une cible que visent à peu près tous les autres sites de e-commerce comme Rue du Commerce par exemple, et qui doit permettre d'assurer les livraisons le lendemain des commandes prises avant une certaine heure (12h à La Redoute) Les lieux devraient être opérationnels mi-2016.

Communication: à fonds sur les réseaux sociaux

A cela, il faut ajouter des lancements en fanfare dans les médias et sur les réseaux sociaux. Pour cela, 3Suisses a plutôt opté pour YouTube en travaillant à Dublin avec les équipes de Google pour tester "en avant première" des fonctionnalités permettant de passer directement d'une vidéo publicitaire au site de e-commerce. De son côté La Redoute fait confiance à l'oiseau bleu pour attirer de nouveaux clients. L'entreprise rachetée par Natalie Bella et Eric Courteille utilise désormais Twitter d'une part pour générer des descriptifs de produits redirigeant vers son site marchand, d'autre part pour permettre aux utilisateurs d'ajouter un produit directement dans leur panier d'achat en retwittant un message. Double avantage : le processus d'achat est accéléré et, sur le principe du bouche-à-oreille, cet intérêt pour un produit du distributeur est transmis potentiellement à tous les abonnés de l'utilisateur qui "retweete" ainsi une fiche produit.

Au total, 3Suisses a engagé 150 millions d'euros en deux ans pour ces changements. Tandis que Kering, l'ex-propriétaire de Redcats, maison-mère de La Redoute, avait laissé une enveloppe de 500 millions d'euros pour cette mue, dont 180 millions visaient à financer le plan social engagé par l'entreprise.

Le prix social d'une mue

Car bien sûr, l'autre volet de cette remise à neuf est social. Chez les deux entreprises nordistes, elle s'est traduite par de violentes réductions d'emplois, suscitant des conflits sociaux qui ne sont qu'en partie résolus. Plusieurs sources concordantes ont indiqué à La Tribune que La Redoute est encore "en train de décompter" le nombre de départs volontaires et de départs en pré-retraites prévus dans le cadre d'un plan de réduction d'emploi de 1178 postes en quatre ans.

Même si après des grèves marquées entre autres par le soutien de la maire PS de Lille, Martine Aubry, en 2013, puis en mars, le refus de signer le plan social par une partie représentants syndicaux, "le dialogue a été renoué", indique Jean-Christophe Leroy, représentant de la CGT, cela reste

"un sujet de conflit car la direction avait promis de trouver des solutions de reclassement pour les secteurs qui devaient être concernés par les réductions d'emploi (au siège, à l'emballage, aux expéditions etc) mais qu'en réalité, des départs volontaires ou en préretraites sont constatés en dehors de ces secteurs, sans visibilité sur le reclassement réel ou non des salariés concernés par le PSE vers ces postes restés vacants".

Rien n'indique encore combien d'employés travailleront effectivement dans le futur entrepôt.

De nouveaux concepts de gestion des ressources humaines

Des négociations devraient en outre avoir lieu prochainement sur l'amplitude horaire, car désormais certains équipes pourraient travailler jusqu'à 21h40, "ce qui pose d'énormes problèmes pour les gens qui ont des familles notamment", pointe le délégué syndical.  Au total, le centre logistique emploi actuellement 1200 personnes et La Redoute a promis qu'il n'y aurait pas de départs "contraints".

Aux 3Suisses, le plan de sauvegarde de l'emploi annonçait en 2012 prévoir la suppression de 200 emplois supplémentaires, après plusieurs vagues de suppressions les années précédentes (700 postes en moins environ). "On a dû abandonner beaucoup de métiers liés au gros catalogues", reconnaissait Eric Dubois, le patron de l'entreprise, lors de la présentation du nouveau site, le 4 septembre.

Au-delà du nombre d'emploi, ce sont également les conditions de travail qui ont évolué. Ont ainsi été étudiées les techniques dites du "lean" management, un concept venant de l'industrie et consistant notamment à normaliser les tâches le plus possible tout en associant les équipes aux choix de changements.

 Rentabilité en 2016 ou 2017?

Reste à savoir si ces coupes drastiques et ces nouveaux investissements se révèleront vraiment efficaces. 3suisses se donne jusqu'à 2016 pour être rentable et La Redoute jusqu'à 2017.

Marina Torre

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Commentaires 3
à écrit le 06/10/2014 à 16:24
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Ancien salarié du groupe 3 suisses international, je peux vous dire que l'entreprise est loin d'avoir 15 ans de retard dans le domaine du digital. Mais il est vrai qu'un monstre comme 3 suisses avec ses compétences très orientées "Catalogue Papier" e...

à écrit le 16/09/2014 à 10:30
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15 ans de retard pour les 2 !

à écrit le 16/09/2014 à 0:20
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Amazon a son 'market', le système industriel d'arnarque à la TVA: responsable de rien, car s'arrangeant pour être uniquement transporteur de biens importés hors UE et revendu H.T. à des particuliers inconscients de rouler les Etat de l'UE, Amazon mas...

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