Les distributeurs redécouvrent le commerce ambulant

Venus des Etats-Unis, les “beauty trucks“ et autres magasins-caravanes investissent les métropoles françaises. S’ils sont avant tout un moyen pour les marques de renouveler leur communication, leur mobilité et leur souplesse présentent de sérieux avantages pour proposer à moindre frais une “expérience“ différenciante.
Marina Torre
La boutique ambulante de Vanessa Theuriot se déplace uniquement le week-end.

Dans sa boutique roulante toute de rose décorée, Vanessa Theuriot attire d'abord "son réseau" de connaissances. La créatrice du "Trendy Truck", camion-magasin qui circule entre Grenoble et Lyon, ne voulait pas des contraintes d'un pas-de-porte. Alors, d'un voyage à New York, elle a gardé une idée : celui du "food truck", qu'elle a adapté pour en faire une enseigne de prêt-à-porter. "Beaucoup de clients ne veulent plus venir en centre-ville" pointe la commerçante. C'est donc elle qui vient à eux. Surtout qu'à "Grenoble, on ne peut pas installer son camion où on l'entend, et je ne veux pas faire les marchés". Régulièrement, elle se déplace donc dans les villes des alentours, parfois jusqu'à la banlieue lyonnaise, trouvant des accords avec des restaurateurs pour déballer ses vêtements dans leurs salles et profiter ainsi de leur réseau de clientèle.

C'est d'ailleurs de la restauration que ce magasin monté sur châssis tire son inspiration. Son "fashion truck" (littéralement "camion de mode") n'est autre qu'une énième adaptation du "food truck", ce restaurant nomade qui fait saliver les citadins "hipsters" de part et d'autre de l'Atlantique. Aux Etats-Unis, ce concept s'est même vu immortalisé dans un film (Chef de Jon Favreau avec Scarlett Johansson, encore inédit dans l'Hexagone). A Paris, le Carreau du Temple dans le Nord du Marais leur a dédié un festival fin septembre.

Outil événementiel

Ludique, éphémère, nouveau (en apparence seulement), tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce que les magazines de mode qualifient déjà de "phénomène" la nouvelle marotte des professionnels du marketing. L'industrie du prêt-à-porter et de la beauté s'en sont ainsi rapidement emparés. C'est le cas de Sephora (groupe LVMH) qui gare depuis septembre une parfumerie ambulante dans les universités françaises, ou bien encore de Marionnaud, qui du 1er au 4 octobre  fait quatre arrêts par jours dans des lieux fréquentés de la capitale.

Dans ces derniers cas, les lieux de vente mobiles servent avant tout "d'outil événementiel qui permet de positionner une marque tout en offrant un service" comme  par exemple une manucure, explique Claire Roederer, chercheure en marketing à l'EM Strasbourg. Pour en dresser une typologie, cette spécialiste du marketing expérientiel s'appuie sur les travaux de Michaël Flacandji, doctorant à l'Université de Bourgogne, qui a étudié notamment les "pop-up stores", ces boutiques éphémères qui se développent depuis plusieurs années.

Colporteurs d'un nouveau genre

Aux objets publicitaires roulants que représentent les camions des marques citées plus hauts, s'opposerait des magasins nomades dont le "modèle économique" dépend des ventes qu'ils réalisent. Le du "Trendy Truck" de Vanessa Theuriau s'y apparenterait davantage... sauf que dans son cas, les ventes réalisées chez elle, donc dans un espace fixe, "sont plus nombreuses" que celles obtenues grâce à son van vintage acheté et restauré pour une dizaine de milliers d'euros. Son exemple est loin d'être unique, d'autres "fashion trucks" indépendants commencent à investir les villes en France, et son idée, loin d'être neuve.

 "En un sens, même un stand de marché s'apparente à un magasin éphémère", relève l'universitaire. Dans un tout autre domaine, il n'est pas très éloigné non plus des "car-succursales" du Crédit Agricole abandonnés dans les années 1990 et récemment remis au goût du jour, qui servaient à aller à la rencontre des clients potentiel des zones rurales dans un contexte moins "angoissant" et moins éloignés, se souvient Christophe Bèzes, enseignant-chercheur à l'Istec et conseiller en distribution. Ce dernier fait d'ailleurs le parallèle avec une tradition bien plus ancienne, celle des "colporteurs des foires de province".

Se démarquer et partir

Une différence toutefois avec les modèles actuels : qu'il s'agisse d'un objet de communication ou bien d'un vrai concept de magasin, la clé, c'est de créer l'événement. "Se démarquer et partir" tel en est d'ailleurs le ressort principal, souligne Claire Roederer. En annonçant à l'avance, sur les réseaux sociaux, le lieu et la durée de station de son camion, une marque peut non seulement espérer "créer un buzz" tout en allant chercher les clients là où ils sont, c'est-à-dire dans les quartiers où se concentrent les bureaux, par exemple, où il s'agit de capter le temps court et précieux, entre midi et deux, des cibles potentielles. Ces nouveaux modèles "investissent la dimension du temps, en créant de la rareté" en "laissant une impression derrière eux ", affirme l'universitaire.

Au-delà de l'effet de mode, ces camions incarnent-ils une évolution bien plus profonde de la distribution ? "A l'heure du numérique, cela permet de recréer du lien humain, de la présence physique", relève l'universitaire. A cet égard, ils servent également d'interface avec des clients, qu'il sera ensuite aisé de renvoyer vers le site internet marchand.

"L'avenir du système de distribution"

"Corners et camionnettes préfigurent l'avenir du système de distribution" anticipe même Christophe Bèzes. D'une part, les sites marchands "cannibalisent" les offres des commerces physiques en captant des clients de plus en plus enclins à tester un produit dans une espace physique avant de l'acheter - moins cher - ailleurs. D'un autre, les réseaux d'enseignes continuent de rivaliser avec les indépendants pour occuper des places en ville. "Cette concurrence accrue obligent les distributeurs à devenir plus agiles", estime le chercheur.

S'affranchissant du coût que représente une surface commerciale fixe, les commerces ambulants ou les "pop-up stores" installés périodiquement dans les centres commerciaux présentent en outre l'avantage "d'élargir à moindres frais la zone de chalandise". Pour un client, Christophe Bèzes a ainsi calculé que la mise en place de 60 points de contacts ponctuels par an dans des centres commerciaux permettrait de "toucher" 200.000 consommateurs potentiels.

Gare aux rejets

Reste que, plus prosaïquement, si ces camions ne lassent pas et qu'ils finissent pas s'installer dans le paysage, les problématiques urbaines risquent de se multiplier. En France, la "vente au déballage" relève d'une réglementation spécifique : les commerçants doivent en principe demander des autorisations aux municipalités qui ne les accordent pas toujours. Surtout que les commerçants "fixes" ne sont pas tous aussi conciliants que les restaurateurs avec lesquels le "Trendy Truck" s'est associé.

Marina Torre

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Commentaire 1
à écrit le 07/10/2014 à 12:34
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Je me souviens qu'il y a quelques années le boulanger passait 2 fois dans la semaine vendre son pain dans les hameaux ou villages sans boulangerie. Et il y avait également le boucher, l'épicier, le poissonnier, etc.................. Maintenant chacu...

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