"Des modèles de distribution sont fortement remis en question"

Les grands acteurs de la distribution s'arment pour résister à la guerre des prix. Mais leur modèles résistera-t-il longtemps aux coups de boutoirs et à l'évolution des modes de consommation qui bouleverse le modèle de distribution français? Henri Isaac, maître de conférence à Dauphine et spécialiste du commerce digital*, livre son analyse.
Henri Isaac, maître de Conférence à l'Université Paris-Dauphine, au sein du master Distribution et gestion de la relation-client.

La Tribune - Auchan et Système U d'une part, Casino et Intermarché d'une autre mutualisent une partie de leurs achats pour peser dans les négociations face aux grandes marques multinationales. Dans quelle mesure ce mouvement de concentration est-il lié à la recomposition des modèles de distribution dus notamment à l'essor du e-commerce ?

Henri Isaac - La concentration n'est pas nouvelle, c'est une réponse à la guerre des prix dans laquelle s'est d'abord lancé Leclerc. Je suis surpris que Casino ait suivi sur ce terrain là car cela n'a jamais été sa stratégie. Cela a même contribué à stopper ses investissements, notamment dans le commerce électronique et le cross-canal [vente via plusieurs canaux de distribution, internet, magasin etc ndlr].

Mais, plus généralement, il y a une crise de la consommation liée à la crise économique, et je ne suis pas certain que baisser les prix soit la bonne réponse. Je suis frappé par ce qui se passe, par exemple dans les fruits et légumes - le grand combat de la distribution : de nouvelles chaînes se développent comme BioC'bon, NaturéO, Grand Frais, ou des modèles alternatifs comme la Ruche qui dit oui. On voit bien qu'il y a une autre demande. Les seuls à avoir tenté un début de réponse timide, c'est Intermarché avec les 'fruits moches'.

Cette idée, c'est un vrai modèle ou juste une astuce marketing ?

C'est malin, mais oui, pour l'instant, il y a encore très peu de magasins qui le proposent. Plus profondément, des modèles de distribution me semblent fortement remis en question, comme les groupements. A l'ère du digital, ces structures souffrent déjà.

Pourquoi ?

Le digital, c'est la prise du pouvoir du client. Or, les distributeurs n'ont guère fait cette révolution. les structures juridiques des groupements ne facilitent pas les adaptations au monde digital . Les réseaux d'indépendants ont des logiques que le digital remet en question (politique d'assortiment, politique de prix, expérience client homogène, etc.).

En développant le "clic & collect" (acheter en ligne, retirer ses produits en magasin) par exemple, serait-il possible pour les distributeurs de tirer leur épingle du jeu?

Les groupements ont pour eux souvent un très bon maillage territorial et une logistique puissante qui constituent, dans des logiques de click & collect ou de marketplace, des atouts indéniables. Les distributeurs installés en centre-ville sont un peu comme des épiciers du XXIe siècle. Ils ont une filière logistique qui permet de proposer de très nombreux produits. Ils connaissent tous les producteurs locaux et pourraient commencer par miser sur les produits régionaux. Il y a bien des Bretons en Alsace et des Alsaciens en Bretagne.

Globalement, la force de frappe des acteurs français est trop faible. Amazon compte 80 millions de visiteurs uniques cumulés par mois en Europe. Quel distributeur peut se targuer d'avoir autant de visiteurs ? Sur le non alimentaire, ils ont perdu.

Et concernant l'alimentaire ?

C'est le vrai sujet, car ce qui fait que l'on vient tous les jours dans un magasin, c'est la nourriture. Là oui, Amazon Fresh pose question. Je ne crois pas beaucoup à ce modèle. Il y a un facteur anthropologique à prendre en compte. La nourriture, ce n'est pas la même chose en France et aux Etats-Unis. Il n'y a pas de marchés là-bas, pas la même densité commerciale. Il faut pouvoir garantir la livraison le même jour, ce qu'Amazon fait dans quelques grandes villes en France. Mais il y a déjà du monde sur ce créneau, comme Bio c'bon, Grand Frais, ou un modèle comme La Ruche qui dit Oui !, qui cartonne.

Vraiment ? Ne s'agit-il pas uniquement de modèles de "niche" ?

Le marketing du XXIe siècle, ce n'est plus le "mass market". Il a été remplacé par de nombreuses petites offres segmentées. Le modèle de l'hypermarché est mort car c'est un modèle lié à la voiture. Or, on est rentré dans l'après-voiture, l'après-pétrole.

Quels acteurs français, au contraire, vous semblent avoir pris en compte cette révolution ?

Casino semble avoir compris. Il a racheté CDiscount et vient d'introduire en Bourse toutes ses activités e-commerce. Il a  également des positions à l'étranger, en Afrique notamment. Le marché africain est le prochain eldorado du e-commerce. Rocket Internet, par exemple, a investi au Nigeria. Alibaba se positionne là-bas, il y a des groupes du Moyen-Orient aussi. En France, à part Cdiscount peu de monde s'y est aventuré.

Dans la formation « distribution » à Dauphine, quel type d'entreprises attirent les étudiants. Les nouveaux acteurs ou bien les groupes plus installés ?

Apple fait rêver mais aussi L'Oréal ou Carrefour. Certains veulent aller chez Auchan. La grande distribution fait encore rêver... Amazon moins, car ils savent que les conditions sont dures. Costco également fait beaucoup rêver. Ils sont venus recruter des étudiants et les ont envoyés se faire former un an en Australie... Les étudiants se disent : "on peut participer à une aventure." C'est tout de même sympathique de lancer une chaîne. Surtout quand on consièdre son succès aux Etats-Unis. C'est un business model qui n'a rien à voir avec ceux qui existent. C'est Metro qui s'adresserait aux consommateurs. Les distributeurs affirment ne pas en avoir peur, mais j'en doute.

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Commentaires 4
à écrit le 16/10/2014 à 16:04
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Dans le frais, il y a une niche libre :"Fruits cueillis mûrs" !

le 16/10/2014 à 23:25
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Le vrai mûr part directement à Rungis. Pour nous, c'est seulement la me... dispo de l'étranger.

à écrit le 16/10/2014 à 12:34
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A partir du moment où les distributeurs veulent faire interdire le comparateur de prix de Leclerc, il n'y a rien d'autre à ajouter...

le 16/10/2014 à 19:29
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et leclerc qui fait interdire à ses concurents de faire des relevé de prix chez lui....... il n'y a rien d'autre à ajouter......

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