A Londres, cet incubateur invente sa version du supermarché de demain

Au royaume de la distribution, l’innovation a ses temples. Visite guidée de l’un d’eux, TrueStart, incubateur londonien en pleine ascension où sont conçues et financées des entreprises censées mijoter le magasin du futur.
Marina Torre
L'incubateur londonien TrueStart, spécialisé dans le secteur de la distribution, accueille une vingtaine d'entreprises dans son "hub".

Un rayon entier serait consacré aux eaux en bouteilles. Un autre aux compléments alimentaires, toujours quelques-uns aux produits d'entretien, et peut-être quelques linéaires aux vêtements innovants.

Bien sûr, sa vitrine serait démultipliée sur toutes les tailles d'écran et ses portes d'entrées, aussi bien réelles que virtuelles, s'ouvriraient d'abord depuis des pages de blogs ou de réseaux sociaux. Si possible, en ciblant si bien le visiteur que ce dernier n'aurait plus d'hésitation face à l'hyperchoix dans les linéaires puisqu'un parcours fléché le mènerait en un minimum de clics - ou de pas - de la suggestion à la transaction.

Ce supermarché futuriste n'existe pas (encore). Mais ses plans sont déjà prêts. Les produits, les services, et surtout les technologies qui le rendraient possible germent un peu partout dans le monde, notamment depuis janvier à Paris, et après que l'exposition de Milan a braqué les projecteurs sur l'alimentation de demain et renforcé l'engouement pour les "Foodtech".

Eau de courgettes et tissus innovants

Mais, à l'instar des FinTech dans la finance, ces Foodtech ont déjà pris une longueur d'avance à Londres. L'incubateur True Start accueille en permanence une vingtaine de jeunes pousses spécialisées dans la grande distribution. En plus d'un programme de financement initial spécifiquement destiné aux jeunes entreprises, il est adossé au fonds de capital-investissement True Capital qui mise en moyenne entre 10 et 40 millions de livres sterling sur les entreprises entrant dans son portefeuille.

Eau de courgettes, sève de bouleau, piluliers de vitamines, tissus qui changent de couleur en fonction de la température de l'air ou de l'humeur de celui qui les portent, et même des balais-brosses innovants... Toutes ces idées en cours de développement ou déjà sorties du "hub" de TrueStart ne représentent en fait qu'une minorité des projets financés et soutenus par son équipe. "Environ 70% des entreprises sont spécialisées dans les technologies, 20% proposent de nouveaux produits et 10% d'autres services", précise Baz Saidieh, son PDG.

A tel point que l'on pourrait s'interroger sur les raisons d'un tel ciblage sectoriel puisqu'en bout de course, ce sont les "matheux", forts en analyse de données, qui forment le gros des troupes. C'est justement le large spectre de concepts représentés, allant des produits nouveaux aux services destinés aux distributeurs qui font l'originalité de cet incubateur.

Réseaux de distribution et "family offices"

Créé dès mars 2014, il n'est certes pas la seule organisation à courtiser les entrepreneurs de la distribution - la chaîne John Lewis a, par exemple, lancé son propre concours et hébergé certaines jeunes pousses dans ses bureaux du quartier très prisé de Canary Wharf. Mais TrueStart n'étant pas intégré à une enseigne en particulier, il peut faire jouer l'indépendance face aux clients potentiels des startups qu'il héberge.

En l'occurrence, ces clients sont de deux natures: le grand public et des entreprises elles-mêmes. Ces dernières sont mêmes majoritaires. Par exemple, City Pantry, un livreur de repas préparés comme il s'en créé de nombreux depuis quelques mois, ne s'adresse qu'aux entreprises.

"Lorsqu'il entre dans leur modèle économique des éléments BtoB [d'entreprise à entreprise, Ndlr], il nous est plus facile d'aider les startups en raison de la composition de notre réseau", explique le co-fondateur de TrueStart.

Le réseau en question, sa grande force, repose sur quelque 250 chefs d'entreprises et responsables de chaînes de distribution, ainsi bien sûr que sur d'autres fonds d'investissement, des business angels ou encore des "family offices", ces gestionnaires de fortunes familiales présents en nombre aux alentours.

Deux "collections" par an

L'essentiel de son activité consiste d'ailleurs à organiser des rencontres entre ces sources de financement potentiels et les poulains choisis au cours de concours très sélectifs. Sur plus de 1.000 dossiers déjà étudiés, une vingtaine ont déjà été choisis pour intégrer des sortes de promotions baptisées ici "collections" (une en hiver et une au printemps) au sein d'un programme qui dure quatre mois.

Certains ont obtenu de rester un peu plus longtemps dans les locaux de TrueStart, comme par exemple les fondateurs de Vitl qui peaufinent leur concept de compléments alimentaires.

"L'énorme avantage, c'est de pouvoir rester en contact avec leur réseau", souligne par exemple Jonathan Relph le fondateur de Vitl, judicieusement installé, avec son équipe d'une dizaine de personnes, près d'une zone de passage des invités.

Les lieux et leur ambiance ressemblent à bien d'autres couveuses de startups. Dans un coin d'une immense salle à la déco vaguement industrielle, des canapés confortables invitent à la discussion. Et, derrière de longues tables en bois clair, des trentenaires à lunettes, casques vissés aux oreilles et regards fixés sur des ordinateurs portables, étudient des graphiques à doubles entrées, des projets de présentation pour des investisseurs potentiels ou bien des photos de vacances. A part peut-être les vieux sachets de thé empilés sur l'évier dans le coin cuisine, aucun élément extérieur ne trahit la spécificité des lieux.

Consommateurs convertis plus tôt

Celle-ci tient d'abord dans sa position géographique, privilégiée à plus d'un titre. D'abord parce que situés en face du siège de Tom Ford, à deux rues de celui de Burberry et à deux pas de Westminster, donc non loin des parlementaires britanniques, l'incubateur se trouve à un emplacement qui se veut stratégique.

Ensuite, parce qu'ils se trouvent dans un pays et une ville pionnière en matière de développement et d'adoption de l'e-commerce, du paiement sans contact, des retraits en magasins d'objets achetés en ligne (ou l'inverse) et autres éléments de transformation de la distribution y ont pris racine bien plus tôt qu'ailleurs.

En outre, dans le pays qui vient même d'autoriser les tests sur les embryons humains, ce ne seraient pas quelques audaces culinaires qui feraient peur aux consommateurs. Mehdi Meghzifene, Français installé à Londres et anciennement employé de la finance à la City qui a cofondé la marque d'eau parfumée Sibbari en 2015 constate du moins des conditions favorables sur son marché:

"J'ai le sentiment que, pour les entreprises du secteur alimentaire, si vous devez faire quelque chose de complètement neuf, le marché britannique est un peu plus ouvert qu'ailleurs, notamment que la France. Sur le marché des eaux par exemple, l'eau de coco qui a démarré aux Etats-Unis a rencontré un énorme succès ici."

Sa marque de boissons à base de sève d'arbres provenant de Finlande ou de Lettonie, embouteillée en France près d'Orléans, est déjà commercialisée dans une centaine de points de vente au Royaume-Uni, "bientôt 600" en comptant Waitrose et un autre distributeur dont le jeune entrepreneur, cultivant le mystère, préfère taire le nom.

Avant les idées, la carrière

Son profil ressemble fort à celui des autres entrepreneurs présents dans le "hub" TrueStart. Comme lui les autres candidats sont souvent étrangers, plus d'une trentaine de pays ayant même été représentés parmi les dossiers en lice lors du dernier cycle de sélection.

Par ailleurs, ils ont souvent eu une carrière avant d'avoir formulé leur concept. il s'agit souvent de professionnels du marketing ou plus rarement de scientifiques aux C.V déjà bien étoffés.

"Quand vous observez le stade de développement des entreprises qui nous intéressent, nous ne disposons pas d'historiques chiffrés sur lesquels nous reposer pour effectuer nos analyses afin d'éprouver des concepts. Nous sommes donc obligés de regarder les équipes de très près, parce que nous faisons un pari sur les individus", justifie Thea Fisher, analyste financière chez TrueStart.

Toutefois, l'expérience ne suffirait pas. "Idées et profils des candidats sont aussi importants l'un que l'autre. Le produit est crucial. Si vous n'êtes pas passionné par ce que vous faites, cela ne fonctionnera jamais." relève Baz Saidieh. Ce dernier note d'ailleurs que le ciblage sectoriel des lieux ne sont pas sans inconvénients:

"Comme nous sommes spécialisés dans une industrie, nous attirons beaucoup d'entreprises qui se ressemblent beaucoup. Par exemple, ces derniers temps nous recevons des centaines de dossiers de services d'abonnements divers. Aussi sommes très enthousiastes quand on voit une idée que l'on n'a jamais vue encore ou quand elle est beaucoup mieux exécutée".

Une notoriété grandissante

"Nous visons l'élite sans être élitistes", aime à répéter le fondateur de TrueStart. Une "élite" qui doit compter sur des concurrents partout en Europe. Moins célèbre mais peut-être plus originale que l'allemande Rocket Internet dans l'e-commerce, qui a connu le succès en important des concepts éprouvés ailleurs, TrueStart commence à récolter les fruits de ses efforts. Deux de ses "protégées",  Nina Faulhaber and Meg He, fondatrice d'une marque de vêtements de sport baptisée Aday ont par exemple été nommées parmi les "30 under 30" du magazine Forbes.

Marina Torre

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Commentaire 1
à écrit le 04/02/2016 à 10:25
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Un intermédiaire de plus malgré tout, internet ne devrait il pas être utilisé afin d'éliminer les intermédiaires entre les entreprises et les consommateurs plutôt ? Ce qui permettrait de redonner plus de confiance à ces derniers et plus d'autonomie à...

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