Distribution : l'influence croissante des centrales d'achats européennes

Les négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs, closes en France ce 1er mars, se trouvent sous le feu des projecteurs après l’annonce d’une nouvelle réforme visant à résoudre en partie la crise agroalimentaire actuelle. Même si les discussions y sont âpres, tout ne se joue pas dans les “box” français.
Marina Torre
En France, les quatre premières centrales d'achat concentrent entre leur main 92,5% des ventes en valeur de produits de grande consommation et des aliments frais en libre service selon des données de Kantar WorldPanel.

Une autre loi sur les négociations commerciales se prépare en France, a prévenu François Hollande lors de sa visite mouvementée au Salon de l'Agriculture. Objectif: pacifier les relations entre distributeurs et fournisseurs, afin de mieux répartir la valeur ajoutée jusqu'en haut de la chaîne, donc jusqu'aux agriculteurs. Il faudrait donc réussir à faire bouger les rapports de force. Un coup d'oeil sur leur état actuel met en évidence une faille: une large part des décisions de ces acteurs privés se joue plutôt à un niveau européen.

Sous pression "jusqu'à la dernière minute"

Certes, surtout lorsqu'il s'agit de produits frais plus complexes à transporter, les enjeux restent encore très nationaux (voire régionaux). D'où l'importance des législations locales. Particularité française: pour les produits de marques dites "nationales" ou régionales proposés dans les rayons des grandes surface, prix et volumes sont en principe négociés au cours d'une période donnée. La session pour l'année 2016, qui s'est achevée officiellement le 29 février, s'est déroulée en pleine crise agricole.

Comme les années précédentes, des représentants des fournisseurs ont dénoncé les pressions qu'ils auraient subis "jusqu'à la dernière minute" pour réduire leurs prix ou participer aux vastes campagnes de promotions engagées depuis l'an dernier.

>> La croissance des ventes en grandes surfaces dopées au promotions

Plus de 9 euros sur 10 générés par 4 centrales

Si l'on prend en compte les parts de marché de leurs interlocuteurs, le rapport de forces est plutôt en leur défaveur. En particulier depuis les rapprochements entre groupes de distribution opérés depuis 2014. Les quatres premières centrales d'achat françaises concentrent 92,2% des ventes en valeur (et 88,5% en volumes) de produits de grande consommation et frais libres services selon un rapport de Kantar Worldpanel (janvier 2016).

Dans le détail, la répartition (en valeur) est la suivante:

  • Plus d'un quart (25,9%) pour Casino et Intermarché
  • 24,8% pour Provera et le groupe Carrefour
  • 21,4% pour Système U et le Groupe Auchan
  • 20,3% pour E.Leclerc

Nuance de taille, toutefois: des marques incontournables en rayon et qui servent de produit d'appel disposent d'un pouvoir de négociations supérieur à celles de petites marques moins connues, moins vendues en volumes. Même si l'attrait relatif d'une partie des consommateurs pour des produits locaux pousse à jouer sur la différenciation par l'offre "locale", donc à courtiser les PME.

De vastes centrales européennes

Mais à côté de ces négociations régionales ou nationales, une part non négligeable des produits de consommation - plutôt de l'épicerie - en Europe sont négociés au niveau européen au sein de vastes centrales d'achat. Une estimation du cabinet britannique Planet Retail évalue même à 650 milliards d'euros les parts de marchés des quatre plus grosses centrales européennes en 2015!

Calculer les parts de marché précises de chacun est compliqué par le fait que les mêmes distributeurs peuvent se retrouver dans deux centrales différentes selon les produits. Pour se faire une autre idée de la concentration du marché: un rapport du BASIC réalisé pour les membres de la campagne Le Juste Fruit ! et cité dans un document par l'ONG Peuples Solidaires-ActionAid France avance que les 10 premiers distributeurs européens se partagent la moitié des ventes de produits de consommation. (L'association dénonçait dans son document  l'effet des relations délétères dans les filières agroalimentaires sur les producteurs de bananes).

Anticipations françaises

La plus importante des centrales européenne est EMD (European Merketing Distribution). Créée en 1989, elle compte notamment dans ses rangs le groupe français Casino.

Les autres centrales importantes se nomment :

  • Alidis, avec le belge Colruyt par exemple.
  • AMS, (avec le groupe néerlandais Ahold, le portuguais Jeronimo Martins ou le suisse Migros)
  • Coopernic (E.Leclerc, le groupe allemand Rewe, Coop Italie, le belge Delhaize).

Le mariage en cours entre Delhaize et Ahold pourrait modifier la carte si le premier rejoint AMS. A cela s'ajoute des alliances transfrontalières, comme entre Casino et le groupe espagnol Dia.

>> Casino-DIA, alliance d'un nouveau genre dans la grande distribution

Pour Derya Güvenc Yildiz, spécialiste des groupements d'achat au sein de Planet Retail, les groupes français auraient même joué un rôle de catalyseur dans les rapprochements entre enseignes ces deux dernières années:

"Les principaux distributeurs ont anticipé des réformes en France, notamment la loi Macron, les législations sur la concurrence, le contrôle des concentrations, le droit des consommateurs, les  ouvertures dominicales des magasins."

Leurs choix auraient catalysé des rapprochements observables à une échelle bien plus large.

Des conditions "encore plus dures" ailleurs

Mais la dureté des rapports entre distributeurs et fournisseurs serait encore plus forte ailleurs.  "Les conditions de négociations se durcissent, pas seulement en France, mais dans toute l'Europe", estime-t-elle, citant en particulier l'Allemagne où "les négociations sont même plus dures qu'en France". Là, ce sont les taux de marge qui sont en jeu. Notamment en raison du poids grandissant du "Hard Discount" avec les enseignes Aldi et Lidl en fer de lance. Plus de 1.000 points de ventes des deux enseignes y ont ouverts entre 2004 et 2014 évalue un autre cabinet spécialisé, Oliver Wyman.

Sous l'impulsion d'une nouvelle concurrence en ligne, les achats groupés qui visent à réaliser des économies d'échelles tendent à se renforcer.

Marina Torre

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 18
à écrit le 03/03/2016 à 7:44
Signaler
pourriez-vous développer un article sur le marges arrières ?? c'est un coût dont peronne ne parle et qui est un véritable racket.

à écrit le 02/03/2016 à 23:47
Signaler
Je croyais que Bruxelles détestait les monopoles européens.

le 06/03/2016 à 10:26
Signaler
Bruxelles adore la libre circulation des marchandises pour les entreprises mondiales mais les détestent lorsque les citoyens la pratique.

à écrit le 02/03/2016 à 14:42
Signaler
2/ Pour comprendre ces mesures qui paraissent injustes, il faut considérer que le marché mondial dans son ensemble avait et a des tenants en forte évolution. Le plus gros distributeur du monde Wall-Mart fait actuellement 5 fois Carrefour, soit 500 mi...

le 02/03/2016 à 15:01
Signaler
plus humain ou plutôt différent : pourquoi ne pas faciliter les magasins de proximité ??

le 06/03/2016 à 10:58
Signaler
Ce serait bien mais personne n'y mets de bonne volonté. Les producteurs se plaignent que l'industrie leur achète la viande à très bas prix. Pourtant quand une organisation comme "la ruche qui dit oui" se créer, la viande est encore plus cher qu'en ma...

à écrit le 02/03/2016 à 14:00
Signaler
1/ Très bon article qui fait un point sur ce qui existe manque un peu la mise en perspective. A la première convention de l'ANIA au Louvre, il y a quelques années, sont venus 5 Ministres. Les producteurs et transformateurs attendaient que le gouverne...

à écrit le 02/03/2016 à 8:57
Signaler
Les négociants en malbouffe.

à écrit le 01/03/2016 à 22:24
Signaler
Sauf erreur de ma part, il me semble que Intermarché et Leclerc s'étaient mis d'accord avec les producteurs de cochons (et le gouvernement) pour financer un prix mini aux producteurs français de 1,40€ le kilo. Aujourd'hui, ces deux groupes, qui limit...

le 02/03/2016 à 2:08
Signaler
Sauf qu'en Europe, ce ne sont pas les Européens qui dominent, mais nos Maîtres us. Soit, les banquiers et les plus riches. Naturellement...

le 02/03/2016 à 10:39
Signaler
@Yvan : on est d'accord. Et c'est un constat transversal : tant sur les difficultés dans l'agriculture qu'a travers le projet El Khomri : l'Euro ne permet pas de dévaluer la monnaie, donc on dévalue le coût du travail en s'attaquant aux intérêts des ...

le 02/03/2016 à 11:25
Signaler
@DUCAT : mais pourquoi diable la France serait-elle condamnée à dévaluer indéfiniment, que ce soit monétairement ou par une baisse du prix du travail ? Vis à vis du reste du monde hors zone € la baisse de l'€ a été significative sans amélioration sig...

le 02/03/2016 à 13:00
Signaler
Si j'ai bien compris votre conclusion "Les salaires français sont beaucoup trop élevés surtout ramenés à 35 heures"; Savez vous que, dans ma boîte (privé, 39 heures) des collègues à temps complet bossent au SMIC et que ce SMIC doit être complété par ...

à écrit le 01/03/2016 à 20:26
Signaler
Oui. Donc, il devient non plus clair mais transparent que la qualité est obligée de baisser. Ce qui s'est amorcé depuis l'Avènement de Lehman, évidemment. Là, vu la joyeuse crise en cours due aux zinvestisseurs, la grande distrib va continuer à baiss...

à écrit le 01/03/2016 à 19:31
Signaler
il ne faudra pas pleuré si le feu va dans un magasin la semaine prochaine!!!!!!!!!!!!!!!!! aujourd'hui bon nombre de responsable syndical ont pu du mieux qu'il pouvait retenir la violence, en espérant que la GMS ferait un effort, là je crains que p...

le 02/03/2016 à 15:09
Signaler
mai 68 est loin car personne ne descend dans la rue !!!! nous savons tous que les gms pratiquent des prix "difficiles" pourquoi ne pas vendre autrement ??

à écrit le 01/03/2016 à 19:31
Signaler
plus jamais de viande je ne fais pas parti des tortionnaires d'animaux 1euro dépenser pour faire travailliez des délinquants.!!!!!!!qui sont dans les abattoires. plus jamais .

le 02/03/2016 à 15:10
Signaler
tu as raison : dis moi quelle est ton activité afin que je sache qui boycotter !!!!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.