"Je ne crois pas que faire moins de collections par an aura un impact sur le climat" (Pdg de H&M)

H&M, l'un des symboles de la mode à bas prix, mise sur le coton bio et vante l'innovation dans le textile pour perpétuer son modèle. Son dirigeant actuel, Karl-Johan Persson consent à investir sur le long terme, pas à remettre en cause la cadence des collections.
Marina Torre
En 2009, alors âgé de 33 ans, Karl-Johan Persson a succédé à son père Stefan Persson à la tête du groupe familial créé en 1947. La chaîne avait déjà pris ses marques hors des frontières de Suède. Elle est désormais présente sur tous les continents et devrait franchir la barre des 4000 magasins cette année avec l’ouverture prévue de 413 nouveaux points de vente.

La veille au soir, à côté de la princesse Victoria de Suède, il remettait son prix de l'innovation "durable" dans le décor grandiose de l'hôtel de ville de Stockholm (celui où sont remis les Nobels). Bien loin du faste et des flashs, c'est un personnage d'apparence bien plus modeste qui a accueilli une poignée de médias internationaux au siège de son entreprise. Le Pdg de H&M, Karl-Johan Persson, s'exprime sans fioritures - et sans le régiment de conseillers en communication qui accompagne habituellement les dirigeants de multinationales. Pourtant, ce jeune patron, qui déjeune régulièrement à la cantine avec ses employés, lui aussi se trouve à la tête d'un empire.

Recyclage et coton "bio" pour se forger une image "verte"

Soigneuse de son image que, contrairement à sa rivale irlandaise Primark, elle n'hésite pas à tisser telle une marque de luxe à coups de campagnes publicitaires mettant en scène des égéries, H&M tente désormais de se forger une image "verte". Tel Google qui récompense de jeunes scientifiques, elle aussi s'est mise à soutenir la recherche dans le textile innovant via la fondation familiale qui porte le nom de l'enseigne. Elle organise en outre depuis trois ans des collectes de vêtements usagers destinés à des associations ou, dans une faible proportion, au recyclage. La chaîne est surtout l'un des premiers commanditaires mondiaux de coton biologique.

Des investissements dans une politique de développement durable dont le dirigeant ne donne toutefois pas le montant exact.

"Il faudrait tout additionner: le montant des salaires des collaborateurs impliqués, le surplus pour l'achat du coton etc, mais ce serait un bon exercice", indique-t-il.

L'an dernier, tous types confondus, ses investissements de "long terme" on augmenté de 600 millions de couronnes, soit environ 63 millions d'euros d'après son rapport annuel publié en janvier. Un niveau à rapporter au chiffre d'affaires total de 210 milliards de couronnes (22 milliards d'euros).  Ils comprennent bien d'autres types d'investissements que le seul développement durable puisqu'il concernent également l'élargissement des lignes sport, beauté ou chaussures.

"Nos profits seraient plus élevés si nous n'avions pas tant investi" dans le durable

Quant au coton bio, il représente désormais près d'un tiers du coton utilisé dans les vêtements. La proportion était de 21% l'année précédente.

"Si vous prenez uniquement le coton durable, cela nous coûte plus cher à acheter mais nous ne répercutons pas cela sur le prix pour les clients.C'est un coût que nous supportons parce que nous pensons que c'est un bon investissement à long terme", justifie Karl-Johan Persson.

Une politique durable "nous permet d'attirer des employés talentueux qui veulent travailler pour une entreprise responsable. Nous observons aussi que les clients se soucient de plus en plus de cela", ajoute-t-il.

Serait-il prêt pour autant à supporter des investissements plus lourds dans des tissus plus facilement recyclables et donc une baisse du taux de marge susceptible d'échauder les marchés boursiers?

"C'est tout l'équilibre à trouver. Oui, nos profits auraient été plus élevés aujourd'hui si nous n'avions pas investi autant sur ces sujets. Il y a beaucoup de pressions quand on est une entreprises cotée, mais il y en a aussi si vous n'avez pas de perspective de long terme", répond le dirigeant.

Les effets d'une chaude fin d'automne

Le changement climatique semble déjà avoir un impact sur les ventes, et indirectement sur le cours de Bourse. A Stockholm début janvier, l'annonce de ses résultats financiers s'est traduite par une chute brutale du cours de l'action. En cause, entre autres: un taux de marge inférieur de près de 4 points à celui de l'année précédente à la même période.

"Le temps très doux pour la saison en novembre dans de nombreux pays européens où le groupe réalise une large part de ses ventes, ainsi qu'aux Etats-Unis, a impliqué des ventes plus faibles que prévus", indiquait l'entreprise. Pour se défaire des stocks de manteaux, pulls et autres vêtements dont les clients n'ont pas voulu, il a fallu vendre à prix barrés. Un sort partagé par l'ensemble du secteur.

Comment réagit l'un des leaders du secteur? Dans la conception des collections, les grands principes restent inchangés. "Automne/hiver" et "printemps/été" marquent toujours les temps fort de l'année, mais ils sont eux-même subdivisés en semi-saisons. Les périodes de défilés ne dictent plus les tendances, plutôt sondées dans la rue ou sur les réseaux sociaux - et servent de plutôt confirmation.

Plus encore, outre ces temps forts préparés dans ses ateliers entre un an et dix-huit mois avant l'arrivée des vêtements en boutique, d'autres lancements visent à susciter le trafic en magasin. C'est le cas en particulier des collections "capsules", créées chaque année depuis douze ans avec une grande signature de la mode (Lagerfeld en 2004, Balmain en 2016), mais aussi des stars (David Beckham, Madonna...).

"Fast Fashion"

A l'instar de l'espagnol Inditex (Zara), du japonais Fast Retailing (Uniqlo) ou du britannique  ABFoods (Primark), le modèle d'H&M repose sur la croissance des volumes, de grandes surfaces de vente et un rythme rapide de succession des collections. Cette cadence leur a d'ailleurs valu le surnom de "fast-fashion" que Karl-Johan Persson récuse. Pas question pour autant de ralentir un rythme que les défenseurs de l'environnement jugent responsables des excès de consommation d'énergie, de matière premières ou cause de gâchis.

"Je ne crois pas que si H&M fait moins de collections, cela aura un impact sur le climat. Nous ne représentons qu'une petite fraction de la consommation. La meilleure chose que l'on puisse faire, c'est continuer à être une entreprise durable et investir beaucoup dans les nouvelles matières", estime le dirigeant.

A titre personnel,  "vous pouvez bien sûr prendre les choses d'un point de vue philosophique et vous dire que vous n'avez pas besoin de toutes ces choses superflues. Mais tout arrêter serait bien trop dangereux pour l'économie", clame le chef d'entreprise qui dit rouler en Tesla et se déclare très optimiste sur la baisse du coût des énergies renouvelables.

La mode pour réduire la pauvreté?

Il insiste par ailleurs pour défendre la contribution "sociale" du secteur en général en matière d'emploi. Sa propre entreprise emploie près de 105.000 personnes dans le monde en équivalent temps plein, et contribuerait indirectement à plus d'1 million d'emplois.

"Il y a tant de bonnes choses liées à la croissance économique: l'éducation, la santé ... tout en dépend et cela créé tant d'emplois dans les parties les plus pauvres du monde. L'industrie de la mode est à elle seule, selon les Nations unies, est la plus importante pour réduire la pauvreté", clame-t-il.

Or, d'un point de vue social cet autre pan du développement durable, la question des cadences et des volumes de production est également centrale tant elle influe sur les conditions de travail dans les pays de production. H&M n'échappe pas à cet enjeu.

Deux semaines seulement avant la remise de ses récompenses "Global Change Award, un feu s'est déclaré dans une usine du Bangladesh où se fournit la marque. Peu avant, une association britannique a révélé que des enfants réfugiés venant de Syrie travaillaient dans une usine de confection fournissant notamment H&M.

Sur les 28 groupes interrogés, seule cette dernière ainsi que Nike, Primark, Adidas et Burberry ont avaient fourni des informations à l'association. Après la révélation de l'affaire , la marque à publié un communiqué affirmant qu'elle avait cessé de travailler avec cette usine mais comptait soutenir l'ONG et l'éducation des enfants en question.

Sonnette d'alarme dans les années 1990

Droits de l'Hommes, sécurité, salaires décents... ces enjeux, la catastrophe du Rana Plaza les avaient déjà remis en lumière en 2013. Mais ils sont loin d'être neufs. "Dans les années 1990 l'industrie avait été très critiquée [à cause de scandales sur le travail  des enfants]", se souvient le patron de H&M qui ne travaillait pas encore dans le groupe, "cela a été une sonnette d'alarme, des codes de conduite avec plus de visites chez les fournisseurs ont été mis en place".

Mais le problème est encore loin d'être réglé puisque les scandales se reproduisent.

"Il est impossible de garantir à 100% que cela ne se produise pas, mais il faut être très clair sur nos intentions et nos exigences", affirme le PDG.

Acheter des usines, payer directement les salaires, et maîtriser la chaîne de production serait une autre solution, mais qu'il rejette. "Ce n'est pas notre métier", estime-t-il.

Bientôt une visite en Turquie?

Pour l'heure, l'implication du groupe en matière sociale dans les pays de production consiste notamment en un programme en "12 points" visant à définir un "salaire juste", avec des ONG, des syndicats, des employés et les directeurs d'usine. Trois usines pilotes l'ont mise en place sur plusieurs centaines de fournisseurs à travers le monde (les fournisseurs de premier niveau sont listés ici). Karl-Johan Persson a, quant à lui, rencontré des membres de l'exécutif au Cambodge et au Bangladesh pour "demander l'instauration d'un salaire minimum". Il n'a pas fait de même en Turquie. "Mais nous devrions peut-être le faire", confie-t-il. La démarche serait certes moins "glamour" qu'un dîner avec une princesse, mais pas forcément moins efficace.

Marina Torre

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