"La présence sécuritaire rassure... et rappelle que nous sommes en danger"

Le renforcement de la sécurité dans les magasins vise notamment à tranquilliser des consommateurs qui les ont en partie désertés depuis les attentats du 13 novembre. Un choix non dénué de paradoxes, comme l'explique Romain Cally, chercheur en sciences de gestion.
Les grands magasins ont augmenté les effectifs chargés de la sécurité, qui sont par exemple autorisés à jeter un œil sur les sacs des clients.

Reprendre ses habitudes : sortir dans des cafés, faire ses courses dans les magasins... des activités dont les Bruxellois sont en grande partie privés depuis quatre jours mais que les Parisiens et les autres citadins français sont enjoints à ne surtout pas abandonner.

Deux semaines après les attentats du 13 novembre, une vague d'annulations de réservations dans le tourisme, de chutes de fréquentation des magasins pouvant aller jusqu'à 50%, participent à un ralentissement de l'activité du secteur privé constaté par l'agence Markit. Or, la période des achats de noël, qui pèse lourd dans les comptes de certains commerçants, a déjà commencé. Dans ce contexte, un message résonne de plus en plus fort: "n'ayez pas peur, et surtout continuez d'aller dans les magasins".

En insistant sur le déploiement des dispositifs de sécurité aux abords et dans les lieux de consommation (les manifestations, elles, restent interdites), les pouvoirs publics joignent leurs voix aux professionnels qui lancent ces appels. Mais comment les consommateurs réagissent-ils à ces messages? Romain Cally, docteur en sciences de gestion du Franco-Australian Centre For International Research in Management (La Réunion) et spécialiste de la psychologie du consommateur détaille son point de vue sur la question.

La Tribune - Un dispositif de sécurité renforcé dans les magasins rassure-t-il vraiment les consommateurs?

Romain Cally - Chacun d'entre nous réagit différemment face à un danger et à la peur qui en découle. Globalement, le fait de voir des policiers, militaires armés faire des rondes dans les magasins et dans les rues installe une présence sécuritaire qui tranquillise un certain nombre de gens, car ces personnes ont besoin d'être rassurées. Comme il est normal d'avoir peur, il est également normal de vouloir être rassuré. Cette présence est donc nécessaire car l'événement est très récent et le traumatisme vivace. N'oublions pas que l'on est ici dans le domaine du ressenti, qui est un effet très subjectif.

Toutefois, pour certains consommateurs, il est possible que ce ressenti soit ambivalent. Car si d'un côté, la présence sécuritaire rassure ; de l'autre, elle rappelle constamment le fait que nous sommes exposés à un danger, ce qui peut maintenir un niveau de stress dans leur esprit. Ce qui serait plus rassurant pour les consommateurs, c'est la présence des autres consommateurs dans les magasins, grandes surfaces, centres commerciaux, bars, restaurants, etc. On a moins peur si on est à plusieurs. Le fait que les consommateurs consomment à nouveau et se retrouvent pour le faire, sera le meilleur moyen pour eux de se rassurer.

Au-delà de la réalité de l'efficacité du dispositif de sécurité, le discours qui l'accompagne est-il aussi largement entendu qu'espéré?

Le discours sécuritaire est largement entendu par la population. Un récent sondage Ifop montre que la quasi-totalité des Français approuvent la politique sécuritaire du gouvernement. Le prolongement de l'état d'urgence, l'augmentation des postes de policiers et gendarmes, le rétablissement des contrôles aux frontières, l'accentuation des frappes en Syrie, sont autant d'éléments qui ont eu l'approbation de la population. Les appels à « continuer à vivre », « à résister à la peur », « à vivre normalement » lancés par les représentants politiques ont été entendus, repris dans les médias et sur les réseaux sociaux. L'Etat fait son travail de sécurisation du pays tout en exhortant la population à ne pas succomber à la peur, à résister à l'oppression terroriste. Ce message a été compris, en région parisienne, on ne compte plus les nombreuses initiatives spontanés en réponse à cet appel, comme : « Tous au Bistrot », « Je suis en terrasse », « Danser plus que jamais », « Mon plus beau souvenir au Bataclan » et tant d'autres.

Ces appels à manifester sa solidarité en continuant à se rendre dans des magasins ou d'autres lieux publics sont-ils généralement suivis par une majorité ou une minorité de la population?

Si les messages ont eu un écho médiatique important, paradoxalement, il n'y a pas eu un sursaut exceptionnel de la population, mais plutôt un suivi modéré. Ce qui n'a rien d'étonnant car après un attentat particulièrement traumatisant, on observe ordinairement un repli de la population : on évite de prendre les transports en commun durant plusieurs jours, on annule des séjours et des réservations d'hôtels, on évite les lieux publics, les magasins, les musées, les cinémas, les restaurants, etc. L'état d'urgence décrété dans le pays, il faut l'avouer, limite également les rassemblements spontanés qui pourraient naître à l'instar de ce que nous avions eu pour les attentats de janvier.

Néanmoins, on ne doit pas amoindrir l'importance de ceux qui ont suivi le mouvement. On a vu des Parisiens s'installer à nouveau en terrasses de cafés, se faire des « selfies » pour le mettre sur les réseaux sociaux. On a vu une parole libérée et solidaire sur Internet, des drapeaux tricolores brandis partout, des marseillaises chantées spontanément par des - jeunes - clients de boites de nuits, etc. Les Parisiens ne s'arrêtent pas de vivre, continuent à faire la fête, à se réunir, à consommer.

Quels sont les consommateurs les plus (et les moins) susceptibles d'entendre ces messages?

Ces messages ont été prioritairement entendus par ceux que l'on appelle aujourd'hui « la génération Bataclan », c'est-à-dire cette génération de jeunes, festifs et cosmopolites. Il suffit de regarder ce qui se passe sur les réseaux sociaux pour s'en rendre compte. Ce sont eux les premiers à crier à la « résistance », à partager en masse photos, slogans, images, statuts. Se sentant attaqués directement par le drame, cette génération blessée a été la première à réagir et à résister dès le lendemain du drame. Mais, les messages ont été entendus et appuyés par des individus de tout âge. L'engouement exceptionnel pour le livre « Paris est une fête » d'Ernest Hemingway, est la marque d'une autre génération, elle aussi en « résistance ». Les Français sont unis dans le drame, les moyens de lutte et de résistance diffèrent peut être, mais l'unité de la population est réelle et bien visible.

Il apparaît, même dans les cas précédents, que deux messages contradictoires sont diffusés : d'un côté celui selon lequel une menace pèse toujours. D'un autre celui qu'il faut continuer à vivre. Au bout de combien de temps le second prend-il plus de poids que le premier dans les décisions des consommateurs?

Ces deux messages véhiculés simultanément, contrairement à ce que cela laisse penser, ne sont pas véritablement contradictoires, car il n'y a pas de réelle contradiction au sens d'incompatibilité. On peut « continuer à vivre » même si la menace pèse toujours, c'est d'ailleurs la situation à laquelle nous sommes confrontés. Les deux messages posent en fait une réalité à laquelle il nous faudra s'habituer : vivre avec la menace terroriste.

La question qui peut alors se poser, est de savoir si la menace aura un impact durable ou non sur notre manière de consommer ? On ne saurait véritablement le dire, il faut attendre pour voir, car encore une fois, le ressenti est quelque chose d'éminemment subjectif. Les achats récurrents (d'ordre alimentaire) continueront à s'opérer malgré la peur et la menace. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les supermarchés, les consommateurs sont (déjà) de retour. Les achats qui ne remplissent pas purement un besoin physiologique, peuvent, eux, être remis à plus tard dans le temps. La vague d'annulation des séjours dans la capitale, de nuits d'hôtels, de sorties festives, atteste de cette tendance, même si ces annulations ont été réalisées à chaud.

La population française toute entière vient d'être confrontée à un événement dramatique de proximité. L'impact psychologique est forcément important et le degré du traumatisme des personnes va dépendre de leur proximité physique avec l'événement. La population parisienne a été touchée dans son cœur, ce qui n'est pas le même cas dans les autres départements et régions de France. Par conséquent, le « temps de résilience » ne sera pas le même sur l'ensemble du territoire. Dans certains départements, le « retour à la normal » devrait logiquement être plus rapide qu'en région parisienne.

A lire aussi, un autre point de vue sur la question

>> "Les consommateurs ne vont pas changer de mode de vie"

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Commentaires 4
à écrit le 29/11/2015 à 11:21
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Même si je sais qu'ils sont là pour notre sécurité, voir des militaires avec des armes de guerre dans des lieux publics ne me rassure pas du tout ! D'ailleurs, sont ils entraînés à opérer en zones urbaines ces militaires ? Je suis certain qu'ils a...

à écrit le 28/11/2015 à 10:19
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Vu la nature de la menace, la présence sécuritaire ne fait que produire une illusion qui ne me rassure pas du tout et qui n'empêchera pas grand chose..

à écrit le 27/11/2015 à 11:32
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Il faut savoir ce que l'on cherche réellement. D'abord fermer tous les théâtres musées puis inciter les gens à aller dans les grands magasins??? La culture lutte avec peu de moyen. Pour les courses vive Internet.

à écrit le 27/11/2015 à 7:43
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Ce n'est pas au niveau d'un magasin mais de la France que la sécurité devrait être assurée et ressentie! Le fait, que nous ne sommes plus propriétaire de notre pays mais simplement locataire et bientôt expulsable, en fin de période hivernale, n'y par...

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