La Samaritaine, une (vieille) histoire de commerce et d'architecture

Le Conseil d’État doit dire vendredi si le chantier de la Samaritaine, fermée depuis dix ans, peut ou non redémarrer. Ce lieu emblématique qui a marqué l'histoire du commerce et que le groupe LVMH veut transformer en complexe commercial et hôtelier, n'en est pas à sa première querelle architecturale...
Marina Torre
Le Conseil d'Etat doit décider le 19 juin si le chantier de la Samaritaine peut redémarrer ou non.

Si le commerce a ses "lieux de mémoire", la Samaritaine figure sans nulle doute sur leur carte. Son sort est une fois de plus suspendu à une décision de justice concernant le chantier de rénovation confié par LVMH au cabinet Sanaa, dont le projet de façade en verre ondulé fait bondir des associations de défense du patrimoine. Le Conseil d'Etat devrait mettre fin au suspense dès vendredi 19 juin. (voir encadré ci-dessous).

Le Napoléon du déballage sur le Pont-Neuf

En attendant, l'affaire mérite un détour historique. Car, quasiment dès le début, l'histoire de la Samaritaine semble s'inscrire dans celle de ses bâtiments. A l'origine, certes, leur faste paraît bien lointain quand Ernest Cognacq, ancien vendeur et petit commerçant originaire de l'île de Ré, installe un étal de tissu sur le Pont-Neuf dans la corbeille autrefois occupée par une pompe hydraulique baptisée "Samaritaine". Celui qui est alors surnommé le "Napoléon du déballage", loue ensuite un local rue de la Monnaie puis épouse Marie-Louise Jaÿ, ancienne vendeuse du Bon Marché. La rencontre avec l'architecte Frantz Jourdain donne un nouvel élan à l'entreprise.

Le belge, promoteur de l'Art nouveau, réaménage l'intérieur du premier magasin à la fin du XIXe siècle. Le deuxième bâtiment et ses coupoles ornées inauguré en 1910 agacent déjà certains riverains. Les historiens de l'architecture, Jean-François Cabestan et Hubert Lempereur écrivent ainsi dans Le Moniteur (n°209, octobre 2011 La Samaritaine, un palimpseste urbain):

"En 1910, ce premier avatar du Magasin 2 s'affiche fièrement sur l'espace public au moyen de deux tapageuses coupoles d'angle polychromes. (...) Hautes en couleur, ces coupoles feront l'objet de critiques acharnées et les pouvoirs publics n'auront de cesse d'orchestrer leur destruction."

Cathédrale du commerce

L'apport de l'architecte n'est pas seulement artistique. Plusieurs fois interviewé par Emile Zola, il participe aussi, avec le Bon Marché, à la construction imaginaire des "cathédrale du commerces" dans l'oeuvre de l'écrivain.

Une autre querelle architecturale éclate en 1925 concernant le projet d'Henri Sauvage d'extension sur la Seine. Finalement, la façade en pierre de taille l'emporte sur la structure métallique proposée initialement.

Quelques méthodes

La Samaritaine des débuts ne raconte évidemment pas que l'histoire architecturale de la capitale. Ouverte plus de quinze ans après le Bon Marché des Boucicaut, et les Grands magasins du Louvre mais avant les Galeries Lafayette, cette immense boutique invente et adapte des techniques commerciales nouvelles. Marchandage banni, organisation des lieux en rayons, possibilité de manipuler les articles puis crédit à la consommation et même vente à distance... Ces méthodes et systèmes de distribution aujourd'hui naturelles pour les consommateurs  y ont fait leurs premières armes. Plus encore, l'idée majeure consiste à réduire les marges afin d'attirer de très nombreux clients et de réaliser ainsi d'importants volumes d'affaires.

Et la formule "prend". Les recettes passent de 840.000 francs en 1874 à 1,9 million en 1877 puis 6 millions en 1882, 17 millions en 1888, 25 millions en 1890 et 40 millions en 1895. En 1925, elles dépassent le milliard de francs. Il faudrait certes prendre en compte l'inflation pour obtenir une évaluation plus précise, mais ces données provenant de plusieurs sources dont cette thèse, donne une idée du rythme de croissance.

"On trouve tout..."

Après la disparition des époux Cognacq-Jay, qui créent une fondation caritative à leur nom, leur petit-neveux Gabriel prend les commandes de la Samaritaine, suivi de la famille Renand après la seconde Guerre mondiale. La formule "on trouve tout à la Samaritaine" sacre de nouvelles années fastes.

Le déplacement des Halles à Rungis lui aurait porté un coup en réduisant fortement l'activité au centre de Paris pendant un temps.

Le chiffre d'affaires de la Samaritaine décline de 6% entre 1990 et 1999 pour atteindre 300 millions de francs en 2000, alors que les autres grands magasins parisien au contraire voient leur chiffre d'affaires progresser de 9% au cours de cette période, note l'Atelier parisien d'urbanisme dans une enquête datant de 2007. Un tiers des effectifs sont réduits. Le magasin 3 est loué à Etam en 1998.

LVMH dans le paquebot

En 2001, LVMH déjà propriétaire du Bon Marché, investit 230 millions d'euros et en acquiert la majorité. Deux autres magasins sont loués à Kenzo et Séphora ainsi qu'à Zara. En juin 2005, la direction décide de fermer les lieux suite à un avis préfectoral pointant du doigt la vétusté des lieux et des risques en cas d'incendie.

Au moment de la fermeture, plus de 1400 personnes travaillent à la Samaritaine. Entre 10.000 à 20.000 clients viennent tous les jours, un peu plus de la moitié sont des Parisiens. La part des touristes (12%) est moins élevée que dans les autres grands magasins, toujours d'après l'Apur qui note: "il s'agissait d'une clientèle moins aisée que celle des autres grands magasins."

Quelques années plus tard, LVMH relance la machine en présentant son projet évalué à 460 millions d'euros. Au programme: 26.400 m2 de commerces, des bureaux, une centaine de logements sociaux, une crèche et un hôtel de luxe Cheval Blanc, côté Seine. Une toute nouvelle histoire, donc.

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Querelle de façade

La cour administrative d'appel de Paris a confirmé en janvier la suspension décidée mi-mai 2014 par le tribunal administratif d'un permis de construire pour la rénovation du magasin n°4 de La Samaritaine. En cause : le projet de façade en verre ondulé de 73 mètres de long et 25 mètres de haut. Plusieurs associations, dont la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France (SPPEF) et SOS Paris qui contestent la conformité de ce projet avec le plan local d'urbanisme (PLU) de la ville de Paris.

Marina Torre

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