Livraisons de repas : Foodora en embuscade

En France et en particulier à Paris, le marché des repas préparés et livrés à domicile aiguise les appétits. Boris Mittermüller, qui dirige la filiale de l'allemand Foodora, livre quelques-unes de ses recettes.
Marina Torre
Boris Mittermüller, ancien de l'agence McKinsey, dirige les équipes françaises de Foodora.

Les livreurs de repas envahissent la Ville Lumière, mais le vainqueur de la course reste encore à déterminer. Plusieurs acteurs clament déjà avoir emporté le maillot jaune, notamment le britannique Deliveroo, qui affirme avoir livré un million de repas dans la capitale française au cours de l'année écoulée depuis son installation. Nouveau venu, le symbole de la "plateformisation", Uber, menace de rebattre les cartes avec UberEats.

Il faut dire que Paris, qui grâce sa très forte densité de population, près de quatre fois supérieure à celle de Londres, et sa grande concentration de restaurants, se présente comme une sorte de laboratoire géant pour ces nouveaux venus qui comptent beaucoup sur l'évolution des habitudes alimentaires de ses habitants. Après Paris, la mode se propage à d'autres villes de France notamment Lyon, Toulouse, ou Nice. Mais comme pour d'autres secteurs économiques, les places sont chères et seuls quelques acteurs devraient tirer leur épingle du jeu. Le point sur le cas de l'allemand foodora.

Dans l'écurie Rocket Internet

Ce membre de l'écurie Rocket Internet peut compter sur les conseils et surtout les subsides des frères Samwer. Or leur fonds, qui se cache notamment derrière Zalando ou Africa Internet Group, ne lésine pas sur les moyens lorsqu'il flaire une bonne affaire.. Il a injecté plusieurs centaines de millions d'euros dans une autre compagnie berlinoise, Delivery Hero, dont il détient près de 40% des parts et à qui il a cédé 100% de foodora en juin 2015. La valorisation de l'ensemble dépassant désormais les 3 milliards de dollars.

Mais il a aussi misé sur... un concurrent de Foodora, le belge Take Eat Easy. "Ce ne sont pas nos amis", s'amuse Boris Mittermüller, qui dirige la filiale française du site. "Pour Rocket Internet, cela reste un petit investissement, de moins de 10 millions d'euros, ce qui peut paraître beaucoup mais qui ne représente rien du tout dans ce marché. Delivery Hero est une licorne qui prépare son introduction en Bourse", ajoute-t-il.

Foodora, seul vrai compétiteur de Deliveroo?

Pour cet ancien de McKinsey appelé par les frères Samwer à diriger une branche française pesant "10 à 15%" des ventes du groupe:

"Il y a deux poids lourds dans ce marché, Deliveroo et nous. Uber, il faut voir ce que cela donne. Gérer une flotte de coursiers et des restaurateurs, c'est beaucoup plus compliqué que gérer des taxis. Je pense qu'ils sont encore en phase de test. Mais s'il y vont vraiment, ils seront clairement un gros concurrent. Il n'y a rien de mieux qu'un gros concurrent pour développer un marché."

Pour l'instant, c'est surtout Deliveroo qui fait figure de premier challenger dans cette course. Les points communs avec ce dernier vont bien plus loin que la proximité homophonique avec le nom de la maison-mère Delivery Hero.

Les deux étendent leurs horaires pour inclure les petits-déjeuners, et ciblent de plus en plus la livraison aux entreprises. Une clientèle triplement attractive: par des dépenses plus élevées, groupées, et susceptible d'aboutir à long terme à une fidélisation des particuliers à titre personnel.

Agence de marketing

Pour l'heure, la course pour attirer les gourmands va bon train. Comme en témoignent les opérations publicitaires dans le métro, la distribution de bons de réduction sur les commandes, voire la gratuité de la livraison pendant un mois chez Deliveroo.

Mais il faut aussi séduire les restaurants pour en référencer le plus possibles.  "Un restaurant qui travaille avec nous fait entre 20 et 40% de chiffre d'affaires additionnel, avec des marges très intéressantes", assure Boris Mittermüller. Sur un plat facturé 10 euros au client, Foodora demande 3 euros de commission - négociables en cas d'exclusivité. Il ajoute que les marges brutes peuvent aller "jusqu'à 40%", les coûts fixes étant supposément peu impactés par la demande supplémentaire. En pratique, selon plusieurs restaurateurs, la préparation des plats souvent commandés au moment des "coups de feu" peut se révéler complexe à gérer.

D'où la nécessité d'avancer d'autres arguments pour les convaincre. Les services fournis aux restaurateurs constituent d'ailleurs le principal élément de différenciation cité. "Une équipe de 20 personnes leur est est exclusivement dédiée et vont les voir une fois par semaine", indique le responsable. Outre une évaluation des menus pour choisir les plats qui se transportent le mieux, la fourniture des emballages, les services vont jusqu'à la prise de "photos professionnelles" et la gestion des pages Facebook des restaurateurs. Ce qui fait de la plateforme une sorte d'agence de marketing pour les restaurants.

Dans ce domaine, Deliveroo prévoit aussi des nouveautés, comme le confiait son PDG, William Shu à la Tribune début avril. Mais à la différence du site allemand, le britannique teste un partenariat avec la grande distribution. Il a ainsi mené une expérimentation avec Franprix pour des livraisons dans Paris. La filiale de Casino a également testé une autre compagnie de coursiers, la toute jeune "Stuart".

Du mieux pour les livreurs?

Difficile donc, de déterminer qui des acteurs de la livraison à domicile a déjà pris l'avantage. Sur le plan social non plus la question n'est pas tranchée. Le sort des flottes de livreurs prête à controverse même sur les forums de mordus de cyclisme. La question du statut des coursiers ne se pose pas qu'en France.  En Australie, FairFax Media, qui édite le Sydney Morning Herald, a mis l'accent dans un reportage publié en mars sur la précarité des coursiers indépendants de Deliveroo et Foodora.

Chez ce dernier, dans l'Hexagone , "la plupart sont auto-entrepreneurs". Ils gagnent au minimum 7,5 euros de l'heure avec une part variable pouvant aller de 2 à 4 euros par course selon l'ancienneté. Comme rien n'assure que les indépendants seront assez nombreux pendant les pics de commande qui correspondent souvent aussi à des moments où la météo n'est pas au beau fixe, les start-up du secteur embauchent parfois des coursiers en CDI. C'est le cas chez Foodora. Mais cela concernerait "moins de 10%" des effectifs.

"Certains livreurs gagnent jusqu'à 3.000 euros par mois", clame le patron de la filiale française. Un montant également avancé chez Deliveroo. Tous affirmant dans leurs petites annonces permettre à leurs coursiers de se rémunérer jusqu'à 25 euros de l'heure. Sauf que, pour espérer en arriver là, les conditions sont nombreuses.

A moins de tomber sur un client généreux en pourboires, atteindre ce niveau de façon régulière se révèle en pratique rarissime. Il faudra en effet tomber sur une période bien remplie avec plusieurs livraisons rapprochées et localisées dans un même quartier sans trop d'attente dans les restaurants ou aux domiciles des clients. Sans oublier de ne pas rechigner à se déplacer (vite), entre les voitures, et parfois sous la pluie pendant le week-end ou en soirée. Sportif.

Marina Torre

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