Pour son PDG, Zalando doit "rester un David" face aux Goliath Amazon et Alibaba

Le site allemand Zalando, récemment introduit en Bourse, se mesure aux géants de l'e-commerce Amazon et Alibaba. Depuis l’un de ses bureaux berlinois, son PDG et co-fondateur, Robert Gentz détaille ses (grandes) ambitions.
Robert Gentz, 31 ans a lancé son site avec deux anciens acolytes de l'école de management WHU - Otto Beisheim (du nom du fondateur du groupe de distribution Metro),

Le "roi de la chaussure" se rêve en prince du numérique. Aux yeux de Robert Gentz, 31 ans, le PDG de Zalando, plus encore que sur ses éventuelles qualités de commerçant, c'est sur sa maîtrise des données et des outils technologiques que repose l'avenir de son groupe.

Le dirigeant du site de vente en ligne de prêt-à-porter allemand entend même, grâce à ces armes, défier le géant américain Amazon, déjà bien installé en Europe. Et même Alibaba qui lorgne le Vieux Continent avec un intérêt grandissant.

Une ambition défendue auprès de la Tribune par le jeune patron quelques mois après l'introduction en Bourse de sa compagnie cofondée en 2008 avec ses camarades d'université Rubin Ritter et David Schneider.

La Tribune : Vous vous mesurez souvent au géant chinois de l'e-commerce Alibaba et à l'américain Amazon, mais qu'avez-vous à leur opposer?
Robert Gentz : Ce n'est pas tant que l'on souhaite rivaliser avec eux, mais nous considérons comme une entreprise spécialisées dans les nouvelles technologies, au même titre qu'Amazon et Alibaba... et pas seulement comme un distributeur de vêtements.

Votre modèle repose sur l'adaptation d'une bonne idée éprouvée ailleurs puisqu'il est inspiré de Zappos, site de vente en ligne de chaussure américain acquis par Amazon). D'où proviennent vos dernières innovations?
L'innovation peut provenir de nombreuses sources: de bons éclairages techniques, d'études de marché ou des demandes des clients. Dernièrement, nous avons lancé une application de reconnaissance des vêtements. Il suffit de diriger son smartphone vers quelqu'un qui porte une pièce référencée et l'application la "reconnaît" avant de diriger l'internaute vers la page d'achat. C'est une façon de découvrir le contenu. La technologie que nous utilisons provient d'une entreprise britannique, située à Londres, avec laquelle nous avons un partenariat. [Il s'agit de Cortexica, également partenaire de la chaîne américaine Macy's ndlr].

Quelles startups seriez-vous prêts à acquérir?
Nous avons récemment acquis Metrigo, un spécialiste des enchères en temps réel d'espaces publicitaires. Nous recherchons principalement des entreprises spécialisées dans les technologies, dont les capacités seraient cruciales pour notre écosystème. Par exemple, cela pourrait être une entreprise qui accompli de belles choses dans le mobile, ou fourni de beaux procédés d'analyse de Big Data.

Et une entreprise d'e-commerce déjà importante en Europe ?
Je n'écarterais pas cette idée. Mais nous nous concentrons surtout sur la technologie.

Vous comptez embaucher 2.000 personnes cette année, notamment des ingénieurs. Leur mission consistera-t-elle uniquement à adapter des idées de services et de technologies éprouvées ?
Nous ne faisons pas qu'adapter des idées. La culture du risque est enracinée dans notre ADN, cela n'a pas changé. Mais nos ambitions sont plus grandes qu'avant. Quand vous ne faites pas de bénéfice et que vous concentrez sur la croissance, vous osez moins de choses que lorsque vous enregistrez des profits.

A ce propos, vous avez enregistré vos premiers bénéfices l'an dernier. Comment y êtes-vous parvenus alors que vos coûts restent très élevés (le taux de retour des chaussures peut atteindre jusqu'à 80% en Allemagne par exemple)?
Une part de notre succès vient justement du fait que l'on assure à nos clients la possibilité de renvoyer gratuitement les chaussures si la taille ne convient pas. Depuis le début, nous développons des moyens pour éviter ces retours, et quand ils ont lieu pour en minimiser l'impact grâce à des procédés les plus rationnalisés possibles. Dans nos premiers marchés, l'Allemagne et la Suisse, renvoyer des produits reste une habitude très forte des clients. Toutes les commandes ne rapportent pas tout de suite. Mais la marge brute dans la mode étant plutôt élevée, cela nous permet finalement d'en tirer des profits.

D'autant plus que vous avez lancé vos propres marques, où les marges sont encore plus élevées...
Elles peuvent l'être. Le but était surtout de compléter notre assortiment là où le marché ne nous semble pas répondre à la demande. Nous faisons donc produire pour nous mêmes, mais nous rendons une bonne partie des gains de marge brute aux clients en pratiquant des prix bas.

"Nous n'excluons pas d'ouvrir un magasin physique"

Google a ouvert un magasin à Londres, des bruits ont couru à propos d'un choix similaire d'Amazon à New York... Dans combien de temps ouvrirez-vous les vôtres ?
Nous avons déjà deux magasins, l'un à Berlin, l'autre à Francfort, spécialisés dans le déstockage. Avoir une boutique en "dur" fait sens dans ce cas puisque les chaussures vendues présentent des défauts et ne peuvent donc être venduse en ligne.

Plus largement, nous n'avons pas de projet spécifique d'ouverture de magasin, mais nous observons de près ce qui se fait. Tout le monde semble encore dans une phase d'expérimentation. Nous n'excluons pas cette éventualité, mais nous n'avons pas encore trouvé de concept intéressant.

Pourquoi prendre tant de précautions ?
Il existe déjà beaucoup d'acteurs qui savent très bien faire cela dans la distribution classique. Nous ne voyons pas encore précisément comment nous pourrions nous intégrer dans ce contexte.

Cela pourrait-il faire l'objet d'un accord avec un réseau physique existant?
Oui bien sûr, nous avons déjà conclu des partenariats pour des "pop up stores" [des magasins éphémères ndlr]. Nous les utilisons afin de promouvoir nos marques propres, en se fondant sur un marketing viral.

 Développer des points de collecte supplémentaires

Dans l'e-commerce, la bataille se joue aussi sur la rapidité de livraison. Jusqu'où seriez-vous prêt à aller pour livrer toujours plus vite?
Nos trois centres logistiques sont tous situés dans un cercle de 700 à 800 km, si vous dessinez un cercle autour d'eux, vous atteignez 80% de nos clients actifs. En théorie, il nous suffirait de deux heures pour livrer la majorité de nos produits. Mais il faut nous connecter aux systèmes postaux locaux, c'est ce qui prend le plus de temps.

Or, notre avantage réside dans notre choix très vaste et la possibilité de tout recevoir en une seule livraison. Les clés pour améliorer la livraison dans les prochaines années résideront sans doute dans le développement avec nos marques et nos distributeurs partenaires de nombreux points de collecte supplémentaires, grâce à leurs magasins physiques ou leurs entrepôts.

Seriez-vous prêt à ralentir le rythme des livraisons pour assurer de meilleures conditions de travail dans les centres logistiques?
Les conditions se sont améliorées, on peut toujours faire mieux. Nous avons augmenté les salaires ces derniers mois. Nous allons aussi embaucher du personnel en logistique pour suivre notre croissance.

Qu'avez-vous ressenti en voyant le reportage diffusé en 2014 par la chaîne de télévision RTL qui montrait les très dures conditions de travail au quotidien dans votre centre logistique d'Erfurt ?
D'abord, nous avons contesté certains points de ce reportage, d'autres représentaient des critiques justes. Depuis nous avons corrigé certaines choses. Ensuite, quand vous voyez l'entreprise que vous avez créée présentée de façon aussi sombre et presque diabolisée, cela ne fait évidemment pas plaisir. Surtout que notre image est passée de celle de "good guys", des gens qui créent de l'emploi, notamment à Berlin où le chômage était plus élevé qu'ailleurs, à celle de "bad guys". Pour nous, qui avons toujours été animés par ce que l'on apporte à l'économie, c'était très étrange.

Maintenant que vous êtes une entreprise cotée, comment préservez-vous cette motivation des débuts?
Même en grandissant, vous devez toujours prendre garde ne pas devenir un Goliath et de rester un David. Voilà ce qui nous maintient. Face à des Alibaba et des Amazon nous nous considérons comme des challengers de géants.

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