Redistribuer les invendus alimentaires : plus compliqué que ne le dit Mme Royal

La ministre de l’Ecologie enjoint les distributeurs à se conformer malgré tout aux mesures censurées de sa loi de Transition énergétique, concernant la lutte contre le gaspillage alimentaire. Mais pour les destinataires des dons induits, le problème est ailleurs.
Marina Torre
Les banques alimentaires ont distribué l’an dernier des repas à 1,8 million de personnes en France.

Des milliers de porcs invendus, des litres de lait déversés dans une rivière, des fruits et légumes jetés... la récente crise agricole aura apporté son lot d'images à celles déjà nombreuses des mouvements de colères estivaux des agriculteurs. Elles se superposent désormais à celles du gaspillage alimentaire. Comme la destruction des stocks d'invendus à l'eau de javel par des distributeurs brandie par la ministre de l'Ecologie qui souhaite réunir ces derniers afin de mettre en pratique les mesures de sa Loi de transition énergétique censurées par le Conseil constitutionnel.

CE QUE GÂCHENT VRAIMENT LES MÉNAGES...

L'un d'eux, le patron de Système U, Serge Papin ne voit dans ces propos et cette réunion qu'un "coup de communication". Se référant au  rapport du député de la Mayenne Guillaume Garot remis en avril et sur lequel s'était en partie fondé le gouvernement pour ces mesures, le responsable des chaînes de grandes surfaces Super et Hyper U affirme que seuls "7% du gaspillage total" provient des grands distributeurs contre "75% des ménages et 15% de la restauration". Pour être exact et compte tenu du fait que le gaspillage des ménages ainsi que celui intervenant au moment de la production sont difficiles à évaluer, ce sont plutôt entre 7,7 et 13,6% qui sont imputables à la grande distribution contre 37 à 40,3% aux ménages et 11 à 20% à la restauration en France d'après les estimations de la mission Garot.

QUESTION DE LOGISTIQUE

Reste qu'au total, le gâchis pèse entre 20 et 30 kg par personne et par an.  Les paragraphes de l'article 103 de la loi de transition énergétique censurés par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure tentaient justement de le limiter. Il s'agissait d'introduire la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le parcours scolaire, d'interdire la destruction des invendus par les surfaces de plus de 400m2 ou de permettre aux grandes surfaces de plus de 1000 m2 de distribuer leurs surplus à des associations locales.Cette partie censurée pourrait à nouveau être soumises au vote des Parlementaires puisque des sénateurs ont réintroduit le 17 août une proposition de loi en ce sens.

DE LA SOUPE

Anticipant cette nouvelle réglementation française, les associations s'activent déjà pour repenser leurs organisations."Nous rencontrons dès septembre une entreprise spécialisée dans la fabrication de soupes", explique ainsi Jean-Louis Callens, secrétaire national chargé de l'aide alimentaire au Secours populaire. Objectif : imaginer des moyens pour transformer et redistribuer efficacement les produits collectés, ce qui au passage "pourrait créer de l'emploi", espère ce responsable.

La disposition concernant les surfaces de plus de 400 m2 "devrait multiplier les dons alimentaires par 10", chiffre-t-il. Ce dernier juge ce nouvel approvisionnement d'un très bon œil dans la mesure où "cela permettra aux ménages les plus démunis de payer leurs loyers, des vêtements, des fournitures scolaires pour leurs enfants".

Avec les autres associations responsables de la distribution des aides alimentaires comme les Restos du cœur, le Secours populaire s'emploie actuellement à chiffrer le surcoût logistique que représenterait les nouveaux dons. "Il nous faut évaluer quels magasins sont concernés, dans quel périmètre, le nombre de nouveaux camions frigorifiques qu'il faudra" etc, précise Jean-Louis Callens. Paradoxalement, la difficulté serait même supérieure dans les zones rurales en particulier, plus éloignées des entrepôts des grandes associations.

INCITATIONS FISCALES

Les acteurs de la grande distribution, déjà incités fiscalement à donner plutôt que jeter les invendus "jouent globalement tous le jeu", estime-t-il. Une opinion partagée au sein du réseau des Banques alimentaires qui ont conclu depuis plusieurs années des conventions avec des distributeurs mais aussi des associations d'agriculteurs.

Le président de la Fédération française des banques alimentaire, Jacques Bailet, évalue à 35 tonnes les denrées récoltées l'an dernier auprès d'eux, principalement dans les hypermarchés et de centres logistiques. De quoi distribuer 70 millions de repas. "Nous avons 100.000 m2 d'entrepôts, 400 camions frigorifiques. En l'état, nous ne pouvons pas faire face à l'afflux de nouvelles denrées", prévient-il. Le responsable ce cette fédération qui regroupe plus de 5000 associations et missions locales exprime son souhait "d'être convié aux négociations avec les distributeurs" et réclame "au moins trois ans" pour pouvoir s'adapter.

CHAÎNE DU FROID

Pour ces associations, pas question non plus de laisser n'importe qui se servir dans les poubelles des supermarchés. Jacques Bailet met en garde:

 "Il faut comprendre la réalité, lorsque l'on voir les denrées disposées sur les trottoirs, à même le sol, cela ouvre la porte au marché gris. Car il y a de fortes chance que la distribution gratuite de produits qui comme la viande peuvent coûter 10 à 20 euros le kilos attire surtout des personnes mal intentionnées au détriment des plus fragiles. Sans compter que ce mode de distribution a quelque chose de dégradant pour les bénéficiaires."

Autre difficulté: les dons alimentaires sont bien entendus eux aussi soumis à des règles d'hygiène comme la nécessité de maintenir la chaîne du froid. Une étude comparative menée en 2014 par le cabinet Deloitte pour le Comité économique et social européen en fait même la mention :

"(...) le développement de l'infrastructure et le financement des transports et de la logistique représentent les principales barrières au développement des dons de nourriture. "

Les rapporteurs constatent en outre que la réglementation européenne n'est pas interprétée partout de la même manière, certains Etats membres se montrant plus "rigides" que d'autres en matière de respect de l'hygiène notamment. Jusqu'à une nouvelle tentative d'harmonisation ?

Les partisans d'une législation contraignante contre le gaspillage alimentaire tournaient déjà les yeux vers Bruxelles avant même la censure de la loi par le Conseil constitutionnel. Dès le mois de mai, Arash Derambarsh, le conseiller municipal de Courbevoie qui s'est fait le héraut de la lutte contre le gâchis alimentaire en France en lançant une pétition très médiatisée, tente désormais de porter son combat au niveau européen.

>> La ligue française anti-gaspillage alimentaire part à la conquête de l'Europe

Marina Torre

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Commentaires 9
à écrit le 28/08/2015 à 9:29
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Ce qui est aussi dingue, c'est que les associations et autres font la fine bouche sur les invendus. Nombreux sont les produits qui ne sont pas acceptés en raison de leur "esthétique" : packaging abîmé (ex: boîte de céréales, le produit à l'intérieur ...

à écrit le 27/08/2015 à 12:07
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Cette image je l'ai vue en grandeur nature pas plus tard qu'hier soir devant un leader price face au ministère des affaires étrangères sous haute surveillance. Pas besoin de Ségolène ni de loi. Les pauvres affamés savent où se servir.

à écrit le 27/08/2015 à 10:45
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Le problème est très compliqué et ne doit pas être à réglé avec des annonces médiatiques. Il faut évaluer les coûts et les gains possibles et ce n'est pas évident. Cordialement

à écrit le 27/08/2015 à 10:43
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Et que devons nous faire....des socialistes ,qui ont réussi a se vendre en 2012 et devenu invendables 3 ans et 3 mois après...?

le 27/08/2015 à 14:06
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Ils ont fait croire à une DLUO mais c'était une DLC..... Groß Tromperie.

à écrit le 27/08/2015 à 9:59
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C'est bien l'état qui a raccourci les dates DLC/DLV ... alors que Mme ROYAL commence à faire le ménage dans ses écuries bureaucratiques !

le 27/08/2015 à 14:10
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?? un reportage montrait que les fabricants de rillettes avaient décidé de raccourcir les dates pour éviter tout problème potentiel (parapluie + bretelles). Bientôt les pots auront 5 jours de vie une fois arrivés en magasin. La viande hachée même cu...

à écrit le 27/08/2015 à 9:57
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Plutôt que de combattre le "gaspillage alimentaire" en s'attaquant à ceux qui travaillent, Madame Royal ferait mieux de combattre le gaspillage administratif que la gauche s'emploie à générer.

à écrit le 27/08/2015 à 8:13
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Les distributeurs font déjà le job madame Royal, mais qui a obligé les marchandises invendues par de la javel ce n'est pas une décision des distributeurs mais des autorités sanitaires de notre pays !!!!

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