Quand Air France-KLM a étudié le rachat d'Easyjet

Fin 2008-début 2009, alors que l'action d'Easyjet avait chuté et que le principal actionnaire de la compagnie britannique, Stelios Haji-Ioannou, était en conflit avec la direction, Air France-KLM a étudié le rachat des 38% que Stelios détenait, avant de renoncer de peur d'embraser son corps social.
Fabrice Gliszczynski

Alors qu'Air France-KLM se démène pour tenter de rattraper son retard dans le transport aérien low-cost en Europe, le groupe a-t-il manqué, dans le passé, une occasion en or d'être aujourd'hui un leader du low-cost européen? Car, selon des sources concordantes, la direction du groupe a secrètement étudié, il y a quelques années, la possibilité de prendre le contrôle d'Easyjet, l'un des deux poids lourds du low-cost européen avec Ryanair, pour, in fine, ne pas donner suite, faute de consensus en interne sur le sujet.

Stelios refuse d'approuver les comptes d'Easyjet

C'était fin 2008-début 2009, après que le cours de Bourse d'Easyjet ait chuté de 55% en 2008, suscitant l'ire de Stelios Haji-Ioannou, le fondateur de la compagnie low-cost britannique, actionnaire à hauteur de 26,9% du capital et même à 38% avec la participation d'autres membres de sa famille. En désaccord sur la stratégie suivie de la compagnie et l'absence de dividende aux actionnaires, Stelios Haji-Ioannou était entré en guerre ouverte avec Andrew Harrison, le directeur général d'Easyjet à l'époque. Le 18 novembre 2008, lors de la publication des comptes annuels 2007-2008, clos six semaines plus tôt, fin septembre, «Stelios» annonçait qu'il ne les approuvait pas.

Fenêtre de tir

Pour Air France-KLM, il y avait une fenêtre de tir. Contrairement à aujourd'hui, le groupe français était, à l'époque, beaucoup plus costaud que sa rivale low-cost. Sa valeur d'entreprise dépassait les 10 milliards d'euros quand celle d'Easyjet atteignait à peine 1,5 milliard.

«Le schéma que nous avons étudié consistait à prendre contact avec Stelios pour lui racheter les 38%», expliquent plusieurs sources proches du dossier. «L'idée était de mettre sur la table près de 850 millions d'euros pour acquérir ces 38% (un montant supérieur à la valeur de la participation de la famille Haji-Ioannou), la moitié en cash, la moitié en actions Air France-KLM, correspondant à 5% du capital du groupe français», précise-t-on à La Tribune.

La banque Lazard a même travaillé sur le sujet, notamment sur les questions de réglementation boursière au Royaume-Uni. Air France-KLM estimait que ces 38% étaient suffisants pour pouvoir influencer la stratégie d'Easyjet sans lancer d'OPA sur le reste du capital.

«L'objectif était d'en prendre le contrôle, pour faire d'Easyjet une low-cost européenne, comme l'a fait Iberia (puis IAG) avec Vueling», explique un connaisseur du dossier.

Séminaire stratégique

En fait, cette idée était apparue dès avril 2008, à l'occasion d'un séminaire stratégique où furent exposés les résultats des travaux, lancés un an auparavant (au moment du lancement de Transavia France), lors d'un séminaire de même nature qui s'était tenu à Calvi, sur les différents scénarios à mettre en œuvre face aux low-cost. Lancer une compagnie à bas coûts européenne avait été écarté. Cette stratégie avait été jugée trop tardive et coûteuse pour espérer combler le retard pris par rapport à Ryanair et Easyjet. Acheter une low-cost, en revanche, était considéré comme envisageable si une opportunité se présentait. Ce fut Easyjet.

Le dossier tranché aux Pays-Bas

Pour mémoire, au cours du dernier trimestre 2008, Air France-KLM est en compétition avec Lufthansa (au moins officiellement) pour être le partenaire stratégique et l'actionnaire de référence d'Alitalia. Début janvier 2009, Air France-KLM signe un accord pour prendre 25% de la compagnie italienne pour 323 millions d'euros. Ce qui fut finalisé en mars 2009.

Mais «l'opération Easyjet» n'est pas allée très loin. Elle est restée un sujet du Joint Executive Committee (JEC), l'organe stratégique du groupe qui regroupe le top management d'Air France-KLM. Stelios Haji-Ioannou n'a jamais été contacté, et le dossier n'est, a fortiori, pas remonté jusqu'au conseil d'administration. "Le dossier a été tranché lors d'une réunion aux Pays-Bas", se souvient un acteur du dossier

Les Hollandais et Pierre-Henri Gourgeon opposés

Car le dossier a très vite divisé le top management, en particulier les Hollandais, qui ont fait bloc.

«Dès le début, ce sujet a suscité une réaction négative de quasiment tout le monde, en particulier des Hollandais, sauf de Bruno Matheu (directeur général adjoint d'Air France en charge du marketing et du réseau à l'époque, depuis peu Chief operating officer d'Etihad Airways en charge des participations capitalistiques, ndlr)», explique un proche de Jean-Cyril Spinetta, le PDG d'Air France-KLM à l'époque, qui avait annoncé en septembre 2008 qu'il laisserait le 1er janvier 2009 les manettes opérationnelles à son numéro 2 Pierre-Henri Gourgeon, pour conserver la présidence du conseil d'administration.

Selon toutes les sources interrogées, Jean-Cyril Spinetta était lui aussi favorable. Piero Ceschia, en charge des acquisitions, également.

Pas suffisant pour faire pencher la balance. Car les Hollandais, Leo Van Wijk, vice-président du conseil d'Air France-KLM et Peter Hartman, directeur général de KLM en tête, mais aussi Pierre-Henri Gourgeon, étaient contre. L'avis de ces deux derniers était considérable dans la mesure où ils auraient été en charge de l'exécution de ce projet s'il avait été lancé.

La crainte des remous sociaux

Plusieurs raisons ont été mises en avant pour expliquer ce refus.

«Les remèdes qu'auraient demandé les autorités de la concurrence risquaient d'être lourds pour Air France-KLM. En outre, il y avait la problématique du réseau français d'Easyjet avec celui d'Air France», explique un proche de Pierre-Henri Gourgeon.

La crainte de remous sociaux au sein d'Air France-KLM et d'Air France en particulier a été la principale cause du rejet immédiat du projet, selon plusieurs acteurs clés du dossier. Les Hollandais de KLM ont joué un rôle clé dans cette décision.

«Ils formaient un bloc, ils étaient tous opposés», se souvient un acteur du dossier.

Avec le recul, plusieurs observateurs français donnent trois explications à l'attitude des Hollandais. Outre la crainte sociale que pointe notamment le DRH de KLM à l'époque, Wim Kooijman, les Hollandais ont toujours redouté un élargissement du groupe qui leur aurait fait perdre le poids qu'ils détenaient dans la gouvernance du groupe, supérieur largement supérieur à leur taille (KLM pèse pour un tiers du chiffre d'affaires d'Air France-KLM).

«Ils ont été réticents à toutes les opérations capitalistiques», expliquent plusieurs sources au sein d'Air France. Les Hollandais ont en effet toujours été réticents à l'idée de racheter Alitalia et se sont également opposés à se rapprocher, après l'abandon du dossier Easyjet, d'Air Berlin.

«C'est vrai qu'ils ne voulaient pas perdre leur influence, mais ils n'étaient pas aussi disposé à tenter des mouvements stratégiques, en rupture. Comme s'ils avaient épuisé leur capacité d'audace dans le rapprochement avec Air France en 2004 », fait valoir une source française.

Une occasion manquée?

Six ans plus tard, la majorité des sources interrogées estiment qu'il s'agit d'une énorme occasion manquée. «C'est sûr qu'aujourd'hui ça serait bien de manger dans la même gamelle qu'Easyjet. Mais qu'est-ce que cela nous aurait coûté ? Quelle aurait été la réaction sociale ?», explique un cadre. "Avec la grève des pilotes de septembre de cette année sur le dossier Transavia, on ose imaginer comment le corps social d'Air France aurait pu, il y a six ans, accepter un tel mouvement stratégique", ajoute-t-il.

«Nous avons renoncé à approfondir le scénario Easyjet sur des éléments généraux, sur des considérations sociales qui n'auraient pas dû nous retenir. C'est une mauvaise chose».

Pour se consoler, rien ne dit que Stelios aurait accepté de vendre ses parts s'il avait été contacté. Pas sûr qu'il ait donné suite au vu de son attachement à la compagnie qu'l a fondée en 1995.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 14
à écrit le 16/12/2014 à 15:57
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Performance du cours de l'action sur 5 ans AFKLM :-30% / capitalisation : 1.8 MEURO EASYJET: +400% / capitalisation :8 MEURO

à écrit le 16/12/2014 à 12:24
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Si ca continue, c'est Easyjet qui va acheter AF.

le 16/12/2014 à 15:26
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exactement ce que je pensais.... Non je pense que AIr France fait fallite et qui paye les frais ??? LES IMPOTS !!!

le 30/12/2014 à 3:55
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N'importe quoi, encore un qui n'a pas compris qu'airfrance est privée et sur l'état ne met plus d'argent depuis 1993. Tout le monde se gavent, politique, ex prédisent, businessman, patrons des conseils d'administration, haut cadres du groupe, vache à...

à écrit le 16/12/2014 à 11:04
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Easyjet ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui si AF l'avait rachetée à l'époque. Non seulement les "stratèges" d'Air France n'auraient jamais su atteindre ce résultat et d'autre part, les syndicats auraient mis leurs habituels bâtons dans les roue...

le 16/12/2014 à 12:16
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+ 33'000

à écrit le 16/12/2014 à 9:14
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Si B. Matheu était pour, AF-KLM a bien fait de couper court à ce projet tant les erreurs de jugement de l'ancien directeur Marketing ont été lourdes : développement des low-costs, réseau régional, London City airport, ouverture Londres-New York, faut...

à écrit le 16/12/2014 à 9:00
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Après les nouvelles faits divers du style "prise d'otage à Sydney" sous la rubrique ECO voici maintenant les nouvelles "Archéologiques". Donc, je vous l'annonce, La Tribune publiera demain : "Quand les Mayas ont presque acheté une mine d'or Aztèque"...

le 16/12/2014 à 12:20
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J'avais parlé hier de cette nouvelle rubrique "Archéologiques" de LT lors d'un article sur….. Giscard d'Estaing ! c'est la panne de créativité en toute son évidence.

à écrit le 16/12/2014 à 8:54
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à diffuser largement auprès du personnel syndiqué : leur conservatisme a fait rater une belle occasion leur entreprise

le 16/12/2014 à 9:30
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Air France ne pourrait pas tenir une compagnie aussi dynamique que Easy Jet, nous sommes trop bureaucratisés, trop politiques en France.

le 30/12/2014 à 3:58
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Oui merci les syndicats, les seuls a se battirent contre le dumping social et l'appauvrissement de la France au profit des autres pays d'Europe !!!

à écrit le 16/12/2014 à 8:45
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Easy Jet l'a échappé belle !

à écrit le 16/12/2014 à 7:29
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Eh oui, la crainte de perdre le pouvoir et le contrôle par blocage du groupe a poussé les hollandais à refuser même d'étudier sérieusement le sujet. Tout cela continue aujourd'hui sur tous les sujets.

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