Aérien : la crise va-t-elle accélérer le declin du pavillon français ou le faire rebondir ?

Les compagnies aériennes qui battent pavillon français pourront-elles rebondir quand le virus aura disparu ? Moins compétitives que certains de leurs concurrents étrangers en raison d'une fiscalité trop lourde, d'un coût du travail élevé et de réformes tardives pour certaines d'entre elles, les compagnies hexagonales sont en danger. Réunis au Paris Air Forum, Marc Rochet, vice-président d'Air Caraïbes et président de French Bee, Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, Alain Battisti, président de la fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) et Jean-François Dominiak, président du syndicat des compagnies autonomes (Scara) se sont penchés sur les défis à surmonter pour éviter de sombrer.

Avec la crise du virus, la part de marché des compagnies aériennes françaises dans le transport aérien français va-t-elle continuer de chuter comme elle le faisait chaque année depuis 20 ans? En 2019, le pavillon français ne représentait plus que 41% contre 63% vingt ans plus tôt. L'an dernier, Aigle Azur et XL Airways ont déjà disparu avant même l'arrivée du Covid 19. Et la crise sanitaire a fragilisé tous les acteurs, tous sauvés de la faillite par les aides de l'Etat, soit des aides spécifiques comme en a bénéficié Air France et demain Corsair, soit par des aides générales comme la prise en charge du chômage partiel. Avec les annonces d'un vaccin et le début de la vaccination au premier trimestre, que va-t-il se passer durant les prochains mois? Pour Alain Battisti, président de la FNAM (Fédération Nationale de l'Aviation Marchande) et président de Chalair, « la prévision est une discipline plus que jamais compliquée. Le vaccin va simplifier la résolution de la crise sanitaire et réglementaire, mais personne ne connaît le tempo. Quand aurons-nous le droit de voyager ? ». Même vaccinés les voyageurs seront-ils quand même soumis à des quarantaines ? Et si c'est le cas, dans quels pays ? Sans réponse claire à leurs inquiétudes, les passagers risquent de continuer à délaisser l'avion. « La vitesse de rétablissement des flux sera différente en fonction des destinations : l'Europe et les Dom Tom en premier, puis l'Amérique du Sud, avec une interrogation forte pour l'Asie » estime Alain Battisti. Jean-François Dominiak, président du SCARA (Syndicat des Compagnies Aériennes Autonomes) et directeur général d'ASL Airlines France, partage ce constat : « la grande inconnue, c'est la confiance. Il faut des mesures simples et efficaces, sinon ce sera très difficile ». Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair International, est tout aussi prudent : « le vaccin est une  bonne nouvelle. Mais l'immunité collective nécessite au moins 50 à 60 % de couverture vaccinale.  Or, les Français y sont hostiles. Je ne vois pas de vraie reprise avant juillet 2021 ». Ce qui signifie une saison hivernale 2020 et un printemps 2021 sacrifiés.

Aéroports déserts et avions vides

Tout aussi sceptique, Marc Rochet, vice-président du conseil d'administration d'Air Caraïbes et président de French Bee, avertit : « il ne faut pas se bercer d'illusions. Nous connaissons la plus grande crise de l'histoire moderne de nos civilisations ». Son groupe subit la situation actuelle et a significativement réduit la voilure. Objectif : brûler le moins de cash possible en attendant des jours meilleurs. Et s'assurer que l'aéroport d'Orly reste ouvert, « un point fondamental » pour Marc Rochet.

L'absence de coordination dans les mesures de restrictions de voyages constitue autre frein à la reprise. Faut-il commencer à conclure des accords bilatéraux avec d'autres pays sur la réciprocité des tests antigéniques pour les passagers au départ dans les aéroports afin d'ouvrir des corridors sanitaires comme c'est le cas entre la France et l'Italie? Ou bien  attendre qu'une solution globale émerge ? Pour Alain Battisti « ça va être long et compliqué pendant de nombreux mois voire plusieurs annéesPour l'instant, les aéroports sont déserts et les avions vides ». Intensifier les efforts diplomatiques pourrait accélérer les choses selon Jean-François Dominiak, qui rappelle que « sur la destination Afrique du Nord, dès qu'il y a un vol Algérie France, il se remplit très vite ». De son côté, Marc Rochet réclame une simplification et une clarification des messages adressés aux clients : « rester dans l'ambiguïté se fait à notre détriment ». Il s'insurge par ailleurs sur la répartition des aides de l'Etat, trop favorables à son goût au groupe Air France (voir article). Sur ce sujet, Pascal de Izaguirre, dont la compagnie va être aidé par l'Etat, est en désaccord « L'Etat a aidé toutes les compagnies. il y  a eu un grand professionnalisme des équipes au sein de l'Etat. Notre dossier avance bien. Il est lourd, complexe mais en très bonne voie ». Il regrette néanmoins l'absence de plan d'action spécifique pour le transport aérien sur le modèle de ceux mis en place pour l'industrie aéronautique et le tourisme alors que les trois secteurs sont très liés.

Réduction des coûts obligatoire

La survie du pavillon français passe par une réduction des coûts, point sur lequel tous les dirigeants présents sont d'accord. Corsair est passé de 134 accords collectifs  d'entrepriseà seulement 3, un pour chaque catégorie de personnel, ce qui devrait permettre de réduire les coûts de 10 à 15 % en réduisant la masse salariale des pilotes et des hôtesses et stewards. Air Caraïbes a elle créé dès 2003 Air Caraïbes Atlantique, une structure à bas coût, une initiative réitérée en 2017 avec French Bee. Air Caraïbes a aussi signé avec les syndicats un accord de performance collectivepermettant une baisse des salaires de 10 % pendant deux ans en contrepartie d'un maintien de l'emploi. Cette volonté d'être plus compétitifs n'est pas un luxe alors que des concurrents puissants arrivent sur le marché européen, débarrassés des contraintes environnementales et soutenus par leur gouvernement. « La Turquie a ouvert un nouvel aéroport à Istanbul d'une capacité annuelle  de 200 millions de passagers qui vise clairement le marché européen, l'Allemagne en premier lieu mais aussi la France et le Royaume Uni. L'autre danger vient d'ailleurs de Grande Bretagne : après le Brexit, l'attractivité des entreprises anglaises va être décuplée et elles risquent d'aspirer les passagers continentaux » alerte Alain Battisti. Vent debout contre les critiques adressées à leur profession, les dirigeants des compagnies aériennes françaises rappelent que l'avion a aussi des qualités indéniables et que l'accumulation de taxes qui le vise est injuste. Le système de compensation CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation), qui fait l'objet de nombreuses critiques, pourrait augmenter le prix des billets dans les années à venir. Or, pour Jean-François Dominiak, « le transport aérien a toujours réduit ses nuisances en matière de bruit ou de consommation de carburant. C'est la seule industrie engagée au plan mondial sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre ». Pascal de Izaguirre, lui, s'insurge contre cette fiscalité « punitive » : « on croule sous le poids des redevances. On est déjà à terre, laissez-nous recouvrer nos forces ». Alain Battisti conclut les échanges en rappelant la contribution essentielle de l'aérien lors du premier confinement, avec l'acheminement des masques et appareils respiratoires : « qui va transporter les vaccins ? C'est nous. L'avion sauve des vies ! ».

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Commentaires 2
à écrit le 24/11/2020 à 16:07
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Je crois pas à la concurrence anglaise, pour le moment les gens n'ont pas envie de voyager et celà ne changera pas avant 2025. Oublions le monde d'avant.... il y a certaines niches comme les DOM TOM ou l'Afrique en raison des communautés qui vivent ...

à écrit le 24/11/2020 à 10:45
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La crise n'a pas pour rôle d'accélérer le déclin ou de faire rebondir le pavillon français mais de le stabiliser suivant les réelles nécessités et non d'alimenter une rente artificiellement construite!

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