Air France, Etihad, Emirates…, quel Yalta pour le transport aérien ?

L'essor phénoménal d'Emirates, Etihad et Qatar Airways chamboule les grands principes qui structuraient ce secteur depuis 15 ans. Le Yalta du transport aérien passera-t-il par le Golfe? Ce sera l'un des thèmes abordés lors du Paris Air Forum le 12 juin sur lequel débattront Alexandre de Juniac, PDG d'Air France-KLM, et Thierry Antinori, Executif Vice Président CCO d'Emirates.
Fabrice Gliszczynski

Comment va s'organiser le transport aérien au cours des prochaines années ? Quelle sera la place des trois compagnies du Golfe, Emirates (Dubaï), Etihad (Abu Dhabi) et Qatar Airways, déjà très puissantes aujourd'hui alors qu'elles étaient microscopiques, voire inexistantes il y a encore 15 ans ? Vont-elles dominer le transport mondial comme elles en prennent le chemin grâce à leur croissance vertigineuse, à l'excellente position géographique de leurs hubs, à la qualité de leur flotte et de leurs services, et au soutien direct ou indirect de leurs riches états actionnaires ? Ou bien devront-elles revoir à la baisse leurs ambitions en raison de réactions «protectionnistes» de certains Etats, soucieux de défendre leur pavillon frappé de plein fouet par cette offensive? C'est tout l'enjeu du transport aérien aujourd'hui.

Les alliances transportent près des 3/4 du trafic mondial

L'essor phénoménal des trois compagnies du Golfe depuis une dizaine d'années chamboule cette industrie structurée depuis une quinzaine d'années autour des trois grandes alliances globales (Star Alliance, Oneworld et Skyteam) dont la soixantaine de compagnies membres transportent les ¾ du trafic mondial. Il trouble également la vision du Yalta du transport aérien de demain que les experts avaient en tête jusqu'ici : un monde structuré autour d'une dizaine de grands groupes de taille mondiale fonctionnant sous forme de partenariats très puissants (joint-venture) entre membres de l'une des trois alliances mondiales. Ceci après une phase de consolidation qui devait s'opérer, non plus sur une base régionale comme c'est le cas depuis les années 90, mais sur une base mondiale.Bref, la suite logique de la libéralisation croissante du secteur du fait de la généralisation des accords de ciel ouvert et de la levée progressive des règles de propriété qui empêchent les transporteurs de passer sous contrôle d'investisseurs étrangers.

Les fusions intercontinentales, l'Arlésienne?

Si cette vision reste encore valable, il est néanmoins difficile de fixer l'horizon d'une consolidation mondiale tant les Etats sont réticents aux fusions intercontinentales dans l'aviation. Surtout, les vainqueurs ne seront probablement pas tous ceux imaginés il y a moins de 10 ans, à savoir trois grosses compagnies américaines, autant d'Européens et de Chinois, quelques Indiens, au moins un Japonais. Vu leur plan de marche, les trois compagnies du Golfe ainsi que Turkish Airlines (qui connaît un développement analogue), en feront partie.
Car, à coup de commandes d'avions pharaoniques et, dans le cas d'Etihad, de prises de participations capitalistiques dans de nombreuses compagnies en difficulté (Alitalia, Air Berlin, Jet Airways, Virgin Australia, Air Serbia...), l'influence des compagnies du Golfe, est désormais mondiale.

«Ce sont les premiers acteurs mondiaux avec une marque mondiale et du personnel venant de tous horizons, contrairement aux compagnies historiques qui restent des acteurs multinationaux à fort ancrage national », reconnaissait récemment Alexandre de Juniac, le PDG d'Air France-KLM, lors d'un colloque organisé par la direction générale de l'aviation civile (DGAC).

Au final, Emirates, Etihad et Qatar Airways ne cessent de gagner des parts de marché aux compagnies traditionnelles sur tous les continents. Elles perturbent le jeu des alliances quand elles parviennent à casser des partenariats historiques comme Emirates l'a fait en s'alliant avec Qantas, obligeant celle-ci mettre fin à son alliance avec British Airways (et comme le fait Etihad en mettant fin à l'alliance entre Air France-KLM et Alitalia) mais aussi le processus de consolidation lorsque Etihad (toujours) maintient en vie à coups d'injection de cash des compagnies qui étaient condamnées comme Alitalia ou Air Berlin.

Quelle évolution du cadre réglementaire?

La machine peut-elle s'enrayer ? Tout dépendra de l'évolution du cadre réglementaire.
De plus en plus de compagnies tirent la sonnette d'alarme pour dénoncer une concurrence qu'elles jugent déloyale de la part compagnies du Golfe, soutenues directement ou indirectement par leur Etat-actionnaire. Essentiellement porté jusqu'ici par quelques rares compagnies comme Air France, KLM, ce débat est aujourd'hui relayé par d'autres mastodontes du secteur comme Lufthansa en Europe, ou Delta, United et American aux Etats-Unis. Une inquiétude qui s'étend aussi de manière plus discrète en Asie, en Chine et au Japon notamment, ou dans certains pays d'Afrique. Selon les trois compagnies américaines, Etihad, Qatar Airways et Emirates ont touché 42 milliards de dollars de subventions au cours des dix dernières années. 18 milliards pour Etihad, 17,5 milliards pour Qatar Airways et 6,8 milliards pour Emirates. Face à cette concurrence qu'elles estiment faussée, les Majors américaines poussent Washington à remettre en cause des accords de ciel ouvert signés avec les pays du Golfe. En Europe, la France et l'Allemagne cherchent convaincre les autres pays européens de donner mandat à la Commission pour négocier avec les pays du Golfe des « règles de concurrence équitables », en contrepartie d'un accès total au marché européen... qu'elles ont quasiment déjà puisque la quasi-totalité des pays européens ont accepté de signer un accord de ciel ouvert.

Les compagnies américaines ont-elles beau jeu d'accuser leurs rivales du Golfe?

De leur côté, les pays du Golfe et leurs compagnies réfutent le terme de subventions, notamment Emirates dont les comptes sont audités par un organisme international. Mais elles reconnaissent le rôle de l'Etat pour mettre en place un environnement favorable à l'essor du transport aérien, notamment les faibles redevances aéroportuaires. Pour les compagnies du Golfe, la hausse du trafic mondial appelé à doubler d'ici à 15 ans justifie l'émergence de nouveaux acteurs mais aussi l'implication des pays du golfe dans le transport aérien. Elles rappellent que toutes les compagnies ont bénéficié lors de leur démarrage ou même après du soutien de leur Etat. Commandé par Etihad, une étude du cabinet Risk Advisory Group, chiffre à 71,48 milliards les avantages publics reçus par les trois grandes compagnies américaines American, Delta, United au moment de leur passage sous le chapitre 11 de la loi des faillites américaines et du renflouement de leur fonds de pension par le Pension Guaranty Corporation mis en place par le gouvernement américain.

Les aides d'Etat se retrouvent sous toutes les formes

Le sujet des soutiens publics dans le transport aérien est complexe. D'une part car les soutiens sont encore monnaie courante à l'échelle de la planète et d'autre part car la notion d'aides d'Etat reste floue. Celle-ci se heurte au principe de souveraineté des États. Les aides d'Etat "se retrouvent sous toutes les formes, explique un expert. Très vite, on tombe sur des questions de fiscalité qui relèvent des politiques nationales. Il n'y a pas de règles mondiales sur les aides d'État".
Rien n'empêche les Etats d'aider leur compagnie en créant un écosystème favorable au transport aérien. "Le point clé dans ce débat, c'est que les Etats du Golfe considèrent le transport aérien comme une activité stratégique (...). Ils ont par conséquent investi massivement dans les infrastructures et ont mis en place un cadre réglementaire et juridique permettant de développer le transport aérien. C'est le droit de chaque pays de définir les secteurs qu'ils jugent stratégiques", expliquait récemment Thierry Antinori, Executive Vice-Président, chief Operating Officer d'Emirates.

L'OMC n'est pas compétente pour le transport aérien

Il n'y a pas d'arbitre sur les aides d'Etat au niveau mondial. Régi par régi par l'organisation internationale de l'aviation civile (OACI), le transport aérien ne peut recourir à l'OMC (l'organisation mondiale du commerce) pour trancher les différends. Si l'OACI ne brille pas par son dynamisme sur ce sujet, elle travaille sur la définition de règles concurrentielles équitables pour tenter de la présenter lors de la prochaine assemblée générale de l'OACI en 2016. Vu la complexité du dossier, il est peu probable qu'elle y parvienne, du moins avec le degré d'attente des Européens. D'où la nécessité à court terme de régler la question par le jeu de la négociation dans le cadre d'accords bilatéraux comme tente de le faire Bruxelles. Pour autant, vu la longueur des débats mais aussi la puissance économique et diplomatique des pays du Golfe qui ont toujours su mettre en balance les droits de trafic pour leurs compagnies dans une négociation commerciale et diplomatique globale, l'essor des compagnies du Golfe ne semble pas prêt de s'enrayer. Suite à la vente du Rafale au Qatar, l'engagement de la France d'accorder à Qatar Airways des droits de trafic supplémentaires dans l'Hexagone en témoigne. Et aux Etats-Unis, Washington n'a, pour l'heure, toujours pas bougé malgré l'intense lobbying des compagnies américaines.

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Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 27
à écrit le 22/05/2015 à 14:10
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Bonjour, Je suis africain et je rejoins les critiques formulés concernant AF, personnellement, je viens d'un pays où AF a eu le monopole après la fermeture d'Air Afrique. Air Afrique qu'ils ont d'ailleurs torpillé pour prendre la clientèle d'Afrique...

à écrit le 21/05/2015 à 16:02
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article intéressant qui souligne la complexité du problème dans le monde des affaires.

à écrit le 20/05/2015 à 23:05
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Article interessant qui met bien en balance les arguments de chaque camp (US vs Middle East). Neanmoins chacun oublie de preciser qu'ils ne sont pas vraiment des concurrents de premier rang. En effet, en regardant les routes que chacun opere et la lo...

à écrit le 20/05/2015 à 19:32
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Encore un crash évité d'un 777 AF. A quelques secondes de percuter le Mont Cameroon! Incroyable de négligences. http://www.jacdec.de/2015/05/19/2015-05-02-air-france-boeing-777-200-pull-up-warning-near-mount-cameroon/ "Scare France"

le 21/05/2015 à 23:24
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Quel est le rapport avec l'article ? Et conclusion, tout c'est bien terminé. Sortie de la trajectoire prévue cause violents orages, pas de controle radar ni de suivi de la part des controleurs, niveau de vol faible car saut de puce entre Malabo et D...

le 21/05/2015 à 23:24
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Quel est le rapport avec l'article ? Et conclusion, tout c'est bien terminé. Sortie de la trajectoire prévue cause violents orages, pas de controle radar ni de suivi de la part des controleurs, niveau de vol faible car saut de puce entre Malabo et D...

le 21/05/2015 à 23:25
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Quel est le rapport avec l'article ? Et conclusion, tout c'est bien terminé. Sortie de la trajectoire prévue cause violents orages, pas de controle radar ni de suivi de la part des controleurs, niveau de vol faible car saut de puce entre Malabo et D...

à écrit le 20/05/2015 à 17:08
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le transport aerien est aussi un instrument de souveraineté et désenclavement géographique et économique. On ne peut pas le soustraiter depuis l'étranger.

à écrit le 20/05/2015 à 15:33
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Ce qui fait le succes des compagnies du golfe c est le respect de la clientele le professionaliste du personnel de bord . Avec AIR FRANCE les passagers sont un fardeau on fait le minimun syndical car a AIR FRANCE ce sont les syndicats qui dirigent ce...

le 20/05/2015 à 16:56
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Désolé, en tant qu'employé de cette entreprise, je ne suis pas trop d'accord, a part un syndicat qui est systématiquement nommé dans les articles, les autres ne dirigent plus grand chose ou plus grand monde, mais gèrent quand même leurs carrières hab...

le 20/05/2015 à 18:19
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Sans grèves, les résultats ne seraient ils pas plus haut? ... Et sans syndicats, pas de grèves ...

le 20/05/2015 à 18:19
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Sans grèves, les résultats ne seraient ils pas plus haut? ... Et sans syndicats, pas de grèves ...

le 20/05/2015 à 18:40
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Moi j'ai voyagé une fois avec air france est je ne référa jamais sauf obligation service est nul nul pour 2:30 de vol on te donne un sandwich de 10cm j'ai été choqué. Pour un billet de 380€ merci

le 20/05/2015 à 21:09
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en tout cas le personnel AF n'a pas toujours le sourire, ça c'est sur. l'image du fardeau n'est pas loin…

le 21/05/2015 à 7:16
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Effectivement on ne va pas revenir sur le spectre des grèves à répétition qui plane sur nos projets de voyages quand vous optez pour AF. Néanmoins lors du dernier long courrier fait avec eux il y a quelques mois, l équipage en cabine était absolument...

le 21/05/2015 à 7:59
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Habitant Singapour, J'ai le choix d'un vol direct avec Air France et Singapour Airline. Le service d'Air France n'est pas mauvais mais il n'est pas exceptionel non plus. Citer moi quelques choses qui vous fasses choisir AF? Et puis y a ces greves qui...

le 21/05/2015 à 12:21
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Quand la compagnie aura fermé Vous pourrez enfin fêter cela. A force de cracher dessus vous aurez gagné. La liberté de l'air sera faite de telle manière que il vous faudra parler plusieurs langues pour voyager, langues que je suis sur vous maitris...

le 21/05/2015 à 13:38
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Où est le problème de parler plusieurs langues? Avec l'anglais, on va presque partout. Restera à apprendre qq mots pour le "presque partout" et le tour est joué ;-). Par contre, j'ai un doute, n'y a t il pas plusieurs syndicats chez AF?

le 21/05/2015 à 15:48
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Ce qui m'éberlue au plus haut point, c'est de la petite critique. Permettez moi juste de mettre en avant quelques points interressant : 1 - Le prix du billet AF comparé aux autre compagnies inclu : La taxe Chirac, une charge salariale élevée, non pa...

le 21/05/2015 à 20:09
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C'est que la grève (ou les grèves) est un produit traditionnel de la culture française ainsi que le camembert, le croissant, le bordeaux, la cigarette…. on ne peut pas s'en passer. :-)

le 01/06/2015 à 13:03
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Le Sol chez AF est un pb? Vous pouvez développer Cyril?

à écrit le 20/05/2015 à 12:54
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Article très intéressant qui pointe quand même le manque de clairvoyance de la part de la part de la direction précédente ! AF n'a pas anticipé les montée en puissance des low costs ni celles des compagnies du golfe. Son produit vient enfin d'être mi...

à écrit le 20/05/2015 à 12:04
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On attend les bonnes nouvelles au sujet d'Air France parce que ces dernières années, on broie plutôt du noir en lisant l'actualité concernant notre compagnie nationale. Les choses ont bien changé depuis l'époque où on titrait dans la presse "Air Fran...

le 20/05/2015 à 14:04
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En effet, c'est dommage mais cet état de choses n'a qu'un seul responsable : les très mauvaises gestions qui se sont enchaînées chez Air France toutes ces années. Quand on veut être le premier il faut d'abord savoir si on en a les moyens pour, et pas...

le 20/05/2015 à 16:50
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"Si AF était une compagnie d'un autre pays elle n'existerait plus". Vous pouvez développer ?

à écrit le 20/05/2015 à 10:52
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Juste pour le rappel, à Yalta (la conférence d'Yalta du février 1945 pour le partage de l'Europe par les trois pays vainqueurs de la 2ème guerre) la France n'a pas été représentée…. ;-)

le 20/05/2015 à 12:12
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@ nico: à bon entendeur....

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