En septembre 2014, Florence Parly quittait Air France par la petite porte. Désabusée d'être mise sur la touche pour redresser le réseau court et moyen-courrier, celle qui, trois ans plus tôt, visait le poste de directrice générale de la compagnie française, claquait la porte pour rebondir ensuite à la SNCF. Huit ans plus tard, dont cinq années réussies comme ministre des Armées, elle pourrait revenir par la grande porte du groupe en prenant la présidence d'Air France-KLM. Selon nos informations, Florence Parly est en effet la grande favorite pour succéder à la présidente actuelle, Anne-Marie Couderc. Touchée par la limite d'âge, cette dernière doit quitter ses fonctions lors de la prochaine assemblée générale en mai 2023, mais elle pourra rester administratrice.
La partie n'est pas gagnée pour autant. L'ancienne ministre des Armées devra passer par les fourches caudines de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP); la même qui, récemment, a contrecarré les plans de reconversion de l'ancien ministre des transports, Jean-Baptiste Djebbari chez CMA CGM. S'il n'y a pas de relation entre le ministère des Armées et Air France-KLM, l'éventuel obstacle pourrait se situer du côté de son mari, Martin Vial, qui occupait jusqu'en juin le poste de directeur de l'Agence des Participations de l'Etat (APE). A ce titre, il représentait l'Etat au conseil d'administration du groupe et certains craignent que son importance au sein du groupe ne remette en cause l'indépendance de son épouse. D'autant plus au vu de son rôle majeur dans le sauvetage d'Air France pendant la crise sanitaire.
Le conseil avant la présidence
C'est pour éviter une telle critique que la nomination de Florence Parly, d'abord au conseil d'administration d'Air France-KLM puis à la présidence, peut attendre quelque temps, d'ici à la rentrée selon certaines sources. Il n'y a aucune urgence dans la mesure où Anne-Marie Couderc doit rester en poste encore 11 mois et qu'il existe un poste d'administrateur indépendant vacant. Le conseil peut accueillir jusqu'à 18 membres et n'en compte actuellement que 13. A ce total s'ajoutent quatre représentants des salariés et des salariés actionnaires, mais ces derniers ne sont pas comptabilisés dans le nombre maximal d'administrateurs.
Plusieurs places sont à pourvoir, dont une suite au départ d'Astrid Panosyan-Bouvet. Cette dernière vient de quitter son poste d'administratrice nommée par l'assemblée générale sur proposition de l'Etat, après avoir été élue députée à Paris sous l'étiquette de La République en marche lors des dernières élections législatives. L'Etat devrait également nommer un successeur à Martin Vial, celui-ci étant directement désigné par arrêté ministériel et non par proposition à l'assemblée générale.
Enfin, un poste d'administrateur indépendant est d'ores et déjà réservé à Rodolphe Saadé, PDG de CMA CGM, dont le groupe est devenu actionnaire de référence d'Air France-KLM à l'occasion de l'augmentation de capital qui vient de s'achever. Fort de son investissement de 400 millions d'euros, qui lui a conféré 9 % des actions et la place de deuxième actionnaire derrière l'Etat français, et d'un partenariat stratégique dans le fret aérien avec les compagnies du groupe, il arrive en position de force au sein du conseil.
Anne-Marie Couderc, discrète mais efficace
La succession d'Anne-Marie Courderc est le dernier chantier à accomplir pour ancrer la gouvernance d'Air France-KLM dans le long terme que recherchait l'Etat français il y a quatre ans lors de la crise de gouvernance rocambolesque qui avait secoué le groupe. Celle-ci avait été marquée par la démission du PDG de l'époque Jean-Marc Janaillac et l'arrivée quelques mois plus tard de Ben Smith.
En mai dernier, après la prolongation de ce dernier pour cinq ans à la direction générale du groupe et la nomination de Marjan Rintel à celle de KLM, en remplacement de Pieter Elbers à partir du 1er juillet, avait déjà permis de baliser en grande partie la gouvernance pour les prochaines années.
Bien que discrète, la présidente sortante est saluée assez largement pour sa capacité à mettre de l'huile dans les rouages entre Air France et KLM et à entretenir le dialogue avec les pouvoirs publics (et actionnaires) français et néerlandais. Si de gros sujets de tensions sont passés avec la réussite de l'augmentation de capital, à laquelle ont participé les deux Etats, le groupe doit encore continuer à redresser ses fonds propres, à se désendetter et à profiter de l'amélioration du contexte opérationnel, avec un été qui s'annonce bon.
Anne-Marie Couderc restera administratrice jusqu'à la fin de son mandat au moment de l'assemblée générale 2024. En effet, la limite d'âge ne s'applique qu'à sa fonction de présidente.
Huit ans chez Air France
Florence Parly connaît bien Air France. L'énarque de 59 ans y a travaillé entre 2006 et 2014, avec plusieurs postes à la clef. Elle est successivement directrice de la stratégie d'investissement (jusqu'en 2008) à une époque où Air France étudiait une multitude de dossiers (Alitalia, Cityjet, prise de participation dans Delta et Easyjet...) puis directrice générale adjointe en charge du Cargo (jusqu'à fin 2012) devenant ainsi membre du comité exécutif.
Florence Parly termine son passage chez Air France comme directrice générale adjointe en charge de l'activité passagers à Orly et des escales France, avec la lourde tâche de réorganiser ce pole structurellement déficitaire dans le cadre du plan Transform 2015. Florence Parly intègre ensuite la SNCF en 2014, comme directrice générale déléguée en charge de la stratégie et des finances. Un poste qu'elle occupe jusqu'à sa nomination à l'Hôtel de Brienne.
Une fin de parcours compliquée chez Air France
Le passage de Florence Parly chez Air France n'est pourtant pas un long fleuve tranquille. Son mandat à la tête du cargo est marqué par le virage stratégique donnant la priorité au transport en soute face à la flotte tout cargo, qui poursuit dès lors son attrition. En quatre ans, le nombre d'avions cargo en exploitation est divisé par deux : la flotte passe de dix Boeing 747 à seulement trois 747 et deux 777F. Client de lancement du 777F en 2005, avec cinq avions fermes et trois en options, Air France n'exploite finalement que deux appareils, revendant notamment deux exemplaires neuf à Fedex en 2010.
Mais le moment le plus compliqué intervient sur son poste suivant, à la tête d'Orly et des escales France. Alors qu'elle s'attelle à redresser les vols intérieurs de la compagnie depuis fin 2012, elle voit le "Pôle régional français" se structurer en parallèle sous l'égide de Lionel Guérin, alors PDG de la filiale Transavia et d'Airlinair. La compagnie HOP est officiellement créée en mars 2013.
La douche froide intervient après l'été 2013 : Frédéric Gagey, tout juste nommé PDG d'Air France, demande à Lionel Guérin de réfléchir à une organisation entre Air France, HOP et Transavia afin de redresser non plus seulement le pôle régional, mais l'ensemble de l'activité court et moyen-courrier du groupe. Une demande qui rejoint celle du puissant syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), formulée quelque temps plus tôt. Bien que son périmètre soit directement concerné, Florence Parly n'est pas mise dans la boucle et apprend la décision lors d'un comité exécutif. Un rapport sur des préconisations à mettre en place est remis fin juin 2014 à Frédéric Gagey, qui en adopte les grandes lignes. Lionel Guérin, devenu PDG de HOP, reste à la manœuvre tandis que Florence Parly, écartée dès l'origine du projet, ne montera jamais à bord. Elle claque la porte et rejoint alors la SNCF.
Si l'équipe de direction d'Air France a bien changé depuis, et que les principaux protagonistes sont partis, il s'agirait tout de même d'une revanche pour Florence Parly. Reste à savoir si elle serait bien accueillie.
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